EuropaCity : « Des radis pas des caddies »

Les opposants à Europacity, futur temple de la consommation et du divertissement voulu par le groupe Auchan dans le nord de Paris, ont réussi à mobiliser plus de 1000 personnes dimanche 21 mai pour leur première grande manifestation à Gonesse. Radio Parleur était sur place et vous explique les raisons de la lutte contre ce grand projet inutile.

Europacity, la banderole de la manifestation
Europacity, la banderole de la manifestation

« Des radis pas des caddies. Des escargots pas des McDo. » Une fois n’est pas coutume, ce sont des enfants qui tiennent la banderole du « Cortège de tête » de la manifestation contre Europacity, dimanche 21 mai. C’est la première fois qu’un tel rassemblement est organisé sur les terres convoitées par Immochan (filiale du groupe Auchan) en vue d’y bâtir un nouveau temple de la consommation et du divertissement. Entre 1000 et 1300 personnes se sont réunies pour apporter leur soutien à une lutte qui dure depuis mars 2011, date de création du collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG), à l’initiative de la journée. « Nous avons enfin réussi à donner une dimension régionale à notre combat « , se félicite Bernard Loup, président du CPTG et figure historique de l’opposition à Europacity. A 70 ans passés, cet homme élancé et infatigable ne ménage pas ses efforts pour mobiliser les énergies.

Ce dimanche, plusieurs dizaines d’organisations étaient présentes, à la fois syndicales (Solidaires, CGT, la Confédération Paysanne), écologiques (les Amis de la Terre, France Nature Environnement, ATTAC, le réseau des AMAP, des Biocoop) ou sociales (le DAL). Des militants du COSTIF (Coordination pour la Solidarité des territoires en Ile-de-France et contre le Grand Paris) qui luttent contre d’autres grands projets inutiles ont fait le déplacement. On découvre ainsi de multiples combats locaux, comme celle pour la sauvegarde du parc de la Courneuve, portée par un collectif dont fait partie Valérie, venue à Gonesse par solidarité car « chacun est concerné par la bétonisation des terres dans tout le Grand Paris. Il s’agit ici de mouvements citoyens, loin des formes classiques du militantisme ».

Les slogans des manifestants contre Europacity
Les slogans des manifestants contre Europacity

Gilles Monsillon, candidat France Insoumise dans la 7e circonscription du Val-d’Oise se réjouit également de l’élargissement de la lutte. « Ca monte en puissance, regardez toutes les organisations mobilisées aujourd’hui, tous ces gens qui sont venus jusqu’ici et même des jeunes ! Parce qu’avant, on était un peu entre vieux », s’exclame-t-il. Parmi les nouveaux arrivés, beaucoup d’anciens Nuitdeboutistes, comme Sylvain, Yoann, Thomas et Boris, qui ont dormi sur place pour surveiller le matériel. Jules, également de Nuit Debout, revient avec émotion dans la ville de son enfance, où sa grand-mère vit toujours. »Europacity est la métonymie d’une société dont on ne veut plus. Mais je ne suis pas un parangon de l’agriculture et le projet proposé par les opposants (CARMA) est une des solutions à envisager. On pourrait aussi imaginer d’autres choses pour ces terres qui ne soient pas à but lucratif ». Un peu plus loin, un autre jeune est venu de Paris en sortant de son travail. Il a découvert Europacity il y a seulement un mois, grâce à un tract distribué Place de la République. Plutôt habitué des cortèges de tête, il trouve que les slogans sont un peu trop gentils à son goût. « Ce n’est pas assez offensif, il faut leur montrer qu’on a la rage, sans pour autant être violent « . Dans la foule également, des militants contre les compteurs Linky, contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, la bétonisation du plateau de Saclay, et bien sûr contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. « Nous avons en commun de nous battre contre la bétonisation des terres agricoles », explique le président de l’ACIPA, venu avec toute une délégation d’opposants à l’aéroport.

Depuis les champs de Gonesse, la tour Eiffel n'est pas plus grande qu'une boîte d'allumettes
Depuis les champs de Gonesse, la tour Eiffel n’est pas plus grande qu’une boîte d’allumettes

« Auchan dégage, résistance et maraîchage »

Ici comme à Nantes, populariser la lutte aura pris du temps mais au regard du succès de la mobilisation de dimanche, Bernard Loup croit avoir réussi son pari. « Les gens sont venus voir à quoi ressemblait le coin, ils ont planté des graines et se sont approprié ce territoire. La fréquentation a dépassé nos prévisions ». Un succès presque inattendu car sur le papier, le triangle de Gonesse est loin d’être un lieu glamour. Enclavé au milieu de zones commerciales et de voies à grande vitesse, en plein couloir aérien, difficile d’imaginer construire ici un écovillage.

Dans ses brochures, Europacity vante une « vue panoramique sur Paris ». De fait, on aperçoit la Tour Eiffel pas plus grande qu’une simple allumette. On discerne également la butte Montmartre et le quartier de la Défense en miniature. Sauf à installer des longues vues, les touristes risquent d’être déçus… Mais en dépit du constant bourdonnement des voitures et des avions, ces champs dégagent un certain charme. Et surtout, ils sont d’une utilité cruciale pour l’équilibre écologique de la région. Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris, explique qu’en supprimant cette dernière zone humide aux portes de la capitale, la température pourra grimper de 2 degrés pendant l’été. Soit la limite des engagements pris par la ville lors de la COP 21. « Je demande donc à la maire de Paris de ne pas vendre les quelques terres agricoles qui lui appartiennent encore ici ».

A Gonesse comme à Notre-Dame-des-Landes, c’est une bataille d’experts qui se joue depuis des années, à coup de chiffres et de rapports, sur la préservation de ces terres fertiles, mais surtout sur la question de l’emploi. Europacity projette d’en créer 11 000. Un chiffre remis en cause par les opposants, comme Jacqueline Lorthiois, une socio-économiste qui rappelle, études à l’appui, qu’aucun grand projet similaire n’a jamais tenu ses promesses. (Voir son entretien dans Mediapart) Mais surtout, ces emplois créés seront siphonnés aux centres commerciaux des alentours, ainsi qu’aux petits commerçants des centre-ville déjà bien désertés.

Des candidats France Insoumise aux législatives sont venus apporter leur soutien aux opposants à EuropaCity
Des candidats France Insoumise aux législatives sont venus apporter leur soutien aux opposants à EuropaCity

Les fausses promesses d’emplois

Cette supercherie est dénoncée par de nombreux candidats aux législatives de la France Insoumise des circonscriptions du Val-d’Oise. « Nous sommes bien entendu opposés à ce projet qui, au final, va supprimer des emplois. Regardez ce qui se passe à Aéroville tout proche. Je connais des gens qui travaillent sur place et qui sont contents lorsqu’ils ont un client dans la journée « , s’exclame Pamela Hocini, candidate pour la 8e circonscription. Certains assurent que les résultats du troisième plus grand centre commercial de France seraient 40 % inférieurs aux prévisions. Sébastien Davigon, candidat du même parti dans la 3e circonscription du Val-d’Oise, dénonce lui aussi ce miroir aux alouettes. « Au final, le solde d’emploi global restera similaire. De plus, il s’agira de postes plutôt précaires, ce qui ne correspond ni aux idéaux, ni aux valeurs de la France Insoumise ». Pourtant, de nombreux habitants continuent de croire aux belles promesses d’Auchan, dans une région où le chômage est endémique. Un aveuglement qui fait soupirer Bernard Loup. En effet, il y aurait 14 000 emplois à Gonesse pour 12 000 actifs (sur 26 000 habitants). « La ville de Gonesse est riche, avec pléthore d’activités. Mais les gens qui vivent ici ne sont pas forcément formés pour. C’est vraiment lamentable de la part du maire d’utiliser la misère sociale pour faire venir Europacity. Car cela ne réglera rien ». 

Pour occuper les champs de Gonesse, certains ont planté des graines, d'autres des billets de 20 euros !
Pour occuper les champs de Gonesse, certains ont planté des graines, d’autres des billets de 20 euros !

 Des politiques pas toujours au diapason

Du côté des politiques aux commandes, les soutiens officiels sont nombreux. Mais en privé, certains osent afficher leur scepticisme. « Je connais la mairesse d’une commune du Val-d’Oise qui est personnellement opposée au projet mais qui refuse de l’exprimer publiquement par crainte de perdre des subventions », assure Marc Necand, de la Confédération des Commerçants de France. « Un autre adjoint au maire d’une commune locale m’a reçu en m’expliquant bien mal connaître le dossier et voter comme ses collègues. C’est ainsi que fonctionne la démocratie aujourd’hui », s’insurge-t-il.

Si certains maires, réunis dans le collectif Terre D’envol, ont affirmé leur opposition à Europacity, celui de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, reste son plus fervent partisan. Signalons cependant que Jean-Pierre Blazy est membre de l’équipe de campagne d’Arnaud Montebourg pour la primaire citoyenne de 2017, qui a apporté son soutien à Benoit Hamon, opposé à Europacity. De plus, le maire défend un centre commercial dont les prévisions de croissance sont basées sur le doublement du trafic à l’aéroport de Paris Charles-de-Gaulle. Alors qu’en parallèle, il se bat aussi contre le développement dudit aéroport, et du balai incessant des avions dans le ciel de sa commune. Mais les élus n’en sont plus à un paradoxe près.

En attendant, le nom de Nicolas Hulot, le nouveau ministre de l’Environnement, est sur toutes les lèvres. Beaucoup espèrent qu’il soutiendra leur lutte sans pour autant se bercer d’illusions. « Aura-t-il la force de s’opposer aux lobbies », s’interroge Cécile Coquel, la trésorière du collectif pour le Triangle de Gonesse. Bernard Loup compte bien interpeller Nicolas Hulot pour demander son soutien. « Sa présence au gouvernement est un bon présage. Mais il faudra qu’il passe des paroles aux actes. Et j’espère que Macron ne va pas se jeter dans les bras de Mulliez le patron d’Auchan ».

LA

Crédits photos:

  • Europacity: Laury-Anne Cholez
  • Europacity: Laury-Anne Cholez
  • Europacity: Laury-Anne Cholez
  • EuropaCity: Laury-Anne Cholez

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