Unité et pureté : la stratégie de l’échec

L’année dernière, j’ai fait un choix. Diplômé d’une grande école, j’aurais pu devenir consultant ou manager junior dans une grosse boîte, comme l’ont fait beaucoup de mes camarades. J’ai finalement préféré une autre voie, un peu par flemme naturelle, beaucoup parce que je savais que je ne serais pas heureux. J’ai essayé de creuser ce que j’entendais par « mes valeurs » pour agir en cohérence avec mes pensées, et six mois plus tard me voilà entouré d’un aréopage de militants de toutes sortes : syndicalistes, associatifs, engagés dans les partis politiques, collectifs informels, ONG… Cette diversité est unique dans l’espace politique et elle a deux conséquences : l’appel à l’unité et la course à la pureté.

L’Unité : tous ensemble, rejoignez-moi !

D’abord, un truc m’a embêté, puis franchement consterné. Cette diversité coexiste avec des appels permanents à l’unité : meeting unitaire, manifestations communes, on ne compte plus les collectifs qui cherchent à faire converger les autres derrière leur bannière. Je prétends, à l’inverse de cet article de Mediapart, que le premier cancer de la gauche, ce n’est pas la désunion, c’est l’appel permanent à l’union.

« Que nous soyons proches du PS, du PCF, de EELV, du PG, du PAC, de LO ou de la Fédération anarchiste, il faut se regrouper et s’unir ! »

Sérieusement, qui peut croire à ça ? C’est totalement méconnaître les traditions politiques de ces divers courants. La chose qui nous rassemble, pour le dire pompeusement, c’est notre opposition au néolibéralisme. Or, l’union « contre » est peu constructive, beaucoup moins à terme que « pour » un projet : la détestation mobilisera toujours moins que l’espoir. Contrairement à la coopération, l’union suppose un accord total avec ses partenaires, et c’est bien là que le bât blesse : nous sommes ontologiquement incapables de ça. On se lance dans des débats sans fin sur nos micro-différences, sur nos stratégies respectives qui semblent incompatibles, et on finit par se tirer dans les pattes en se lançant de terribles accusations qui font bien rire nos adversaires : « social-traître », « allié du capital ». Bref, si vous avez un peu traîné vos guêtres en manifestations, vous connaissez ces bêtises.

Ces six derniers mois, j’ai rencontré des activistes espagnol-e-s. Ils m’ont appris le fork, un concept issu de la sphère hacker, qui déglingue la course à l’unité en trois coups de cuillère à pot. « Un fork est un objet ayant une racine commune avec un second. Ces deux objets, jumeaux au départ, suivent chacun, après séparation, leur évolution propre ». Appliqué à la politique, ça revient à préférer la multiplicité à l’unité. Notre racine commune, c’est la volonté de changement, non ? Alors construisons des dizaines, des centaines d’objets dérivés, chacun aura son autonomie, chacun attaquera le système que nous combattons par l’angle et selon les méthodes qui lui sembleront les meilleures. Oui aux Blacks Blocks, s’ils ne me demandent pas de casser les vitres sous un déluge de gaz lacrymogènes avec eux. Oui aux ONG, si elles ne me demandent pas de participer à leurs actions toutes mignonnes que je trouve parfois naïves. Oui à ce collectif d’écolos s’ils ne me condamnent pas parce que je ne connais pas les enjeux liés à la disparition du phytoplancton dans le Pacifique sud. Oui à ma petite association, que je développe dans mon coin, si elle n’est pas phagocytée par tous les « sachant-e-s » qui étaient là avant moi.

Cette méthode, bête comme chou, demande deux qualités : humilité et bienveillance. Humilité de reconnaître qu’on n’est pas l’Alpha et l’Omega de la lutte, que d’autres sensibilités existent, qu’elles ont le droit de s’exprimer. Humilité aussi pour comprendre que toutes les formes de contestation sont nécessaires (et donc légitimes), parce que notre ennemi commun est protéiforme. Bienveillance d’entretenir une coexistence pacifique avec d’autres, de donner des coups de mains quand on dispose des compétences, de collaborer lorsque des convergences sont possibles et que la situation l’exige.

Rentrée : occupons les places

La Pureté : juge-moi si tu peux

Le néolibéralisme a une force : il dénature ses contestations, les intègre et les digère. Ainsi, passées à la moulinette du marketing, l’écologie devient « la croissance verte », la lutte contre la discrimination à l’embauche devient la « discrimination positive », etc. Cet état de fait a créé chez nous un comportement délirant : la course à la pureté. Alors que les forces manquent partout, que les militant-e-s se font rares, nous nous payons le luxe d’examiner en détail le pedigree et le passé des volontaires et de refuser ceux qui n’ont pas l’honneur de nous plaire : tout cela n’a pas de sens.

Notre responsabilité collective, c’est de prendre conscience des structures qui pèsent sur nous (économie, patriarcat, etc.) et de les renverser quand elles sont source d’oppression. Ça c’est ce qui est marqué dans le manuel. Dans la réalité, on est tou-te-s pris-e-s dans tout un tas de compromis : on achète au supermarché des légumes estampillés Monsanto, on va parfois au McDo, on achète même nos fringues chez H&M et on bosse dans des boîtes qui n’œuvrent pas toujours à un monde meilleur. L’anticapitaliste chimiquement pur est un fantasme, et je soupçonne que cette recherche effrénée soit une manière de rassurer celles et ceux qui culpabilisent en cédant à l’envie d’acheter un Iphone7, une façon de chercher une paille dans l’œil du voisin quand les poutres sont nombreuses dans le leur. Au-delà de son côté puéril, cette chasse aux sorcières menée par des apôtres décidant qui aura le droit de mener la lutte est contre-productive. L’entre-soi n’a jamais permis aucune victoire, débattre avec des convaincus ne sert qu’à flatter son ego.

La seule manière de vaincre, c’est d’être nombreux-ses, divers-ses et bienveillants-es les un-e-s envers les autres.

Inatone


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