Feuilleton Debout #36. Sur le moniteur

FEUILLETON DEBOUTLe Feuilleton donnera la légende de la Nuit.

La devanture était littéralement remplie d’individus vêtus de blousons, de casquettes et de lunettes de soleil, fouillant l’ensemble du lieu. Aucune trace d’Andrew. Il était difficile de comprendre comment les agents n’avaient pas repéré les caméras. Etaient-elles trop bien cachées ? Avaient elles été laissées là à dessein afin de pouvoir le terrifier ? Ange ne réfléchissait plus de façon très nette après deux jours de grande faim.

Au moins, il en avait le cœur net, une recherche active avait été lancée contre lui, et ses liens avec Andrew, connus de Louis seul, mettaient ce dernier au centre du viseur de l’ensemble de cette affaire. Louis et Liz, s’ils n’avaient pas nécessairement organisé tout cela, étaient au moins le coeur des renseignements fournis aux services gouvernementaux. Si Ange parvenait à se sortir vivant de ce traquenard, il se promettait de tuer l’ancien amant de Lucie.

Sortir de ce traquenard ? Aucun moyen vu ce qu’il pouvait observer sur le moniteur.

Ange regarda les agents fouiner pendant un bon moment. Cela l’intriguait. Ils ne semblaient pas chercher nécessairement des preuves ou collecter des indices, mais ils tentaient plutôt de trouver un objet en particulier. Comme des gens qui auraient perdu leur clef. Une grande désorganisation en ressortait. Ange lia, intuitivement, cette  démarche avec les photos de Mary qu’Andrew avait retrouvées, et qu’il avait pu voir dans le téléphone de son ami. Une disparition active était orchestrée pour faire disparaître leur ancienne camarade. Cette obsession pour les évidences de Mary pouvait expliquer pourquoi les agents dans la devanture ne songeaient pas à chercher dans les plafonds et n’avaient pas détecté les caméras.

Ange cliqua sur la flèche située en bas du logiciel de surveillance. Cela permit de voir ce qui se passait cette fois à l’intérieur du dépôt. Vide, celui-ci était entièrement vide. En comparant les deux pages de visualisation, Ange vit en effet que dans la devanture, aucune trace d’ouverture n’était présente dans le mur du fond. Et que même cette entrée était particulièrement bien camouflée puisqu’il n’y avait sur l’image, assez nette, aucun encadrement de porte. Ange ne s’expliquait ni comment Andrew s’y était pris pour fermer cette porte, ni comment les agents avaient pu ne pas la repérer.

Il était vrai qu’Ange ne l’avait pas vue fermée, puisque quand il était arrivé dans le magasin, la porte de derrière était déjà ouverte. Cela n’expliquait cependant pas le mystère, puisqu’Andrew, en allant répondre à l’alarme au moment de quitter Ange, avait pourtant du ouvrir la porte entre la réserve et le magasin ! A moins que..

A moins qu’il n’y ait une sortie du dépôt sur l’extérieur, ce qui présenterait l’avantage de pouvoir rallier le magasin par la rue, en faisant comme si l’on arrivait de l’extérieur de la boutique. Ange sentit l’espoir grandir démesurément en lui. Il avait enfin une chance de sortir de ce guêpier. Seulement, il restait un problème majeur. Il était pratiquement certain que, malgré le camouflage époustouflant de la porte par Andrew, les agents finiraient par trouver les murs creux et donc à faire en sorte d’abattre la cloison entre la devanture et la pièce de stockage. De plus, Ange n’avait pas la moindre idée de l’issue qui était peut-être présente dans le dépôt.

Une chose était certaine, à partir des caméras, Ange pouvait aller se nourrir sans entrave dans cette pièce. Il alla ouvrir les lourds verrous de sa porte immédiatement. Il avait oublié que la porte pouvait être close de l’extérieur également. Problème rapidement surmonté parce qu’Andrew, décidément aussi prudent qu’un agent du gouvernement (ce qui était d’ailleurs assez troublant pour Ange qui ne l’avait jamais estimé aussi compétent du temps où il l’avait connu à la Nuit Debout new yorkaise), avait installé dans la version privée de son ordinateur un appareil de déverouillage numérique de la porte. En quelques minutes, Ange ayant trouvé la solution, il parvint à ouvrir la porte de sa prison et se retrouvait dans le garde manger géant.

Il se rua sur une salade toute préparée qu’il avala en fort peu de temps. Puis bu la moitié d’une canette de jus d’orange. Il se sentit la tête tourner et du s’asseoir un moment.

Adossé au mur, assis par terre, il entendait maintenant les agents fouiller à quelques mètres de là. Il ne ressentait pourtant aucune peur, parce qu’il avait un avantage sur eux et avait pu les appréhender à partir des moniteurs. Il se sentait en position de supériorité, pour une fois si rare, et il en profitait. Il se fit la réflexion qu’à aucun moment de sa vie il n’avait eu une longueur d’avance sur des services secrets. Grâce à Andrew, il en avait maintenant eu chance pour la première fois. Il savoura cette pensée en ouvrant un fromage qu’il étala sur des crackers. Il se sentit les forces revenir, termina la canette puis se mit en branle afin de trouver cette issue qui devait avoir été empruntée par Andrew au moment de le quitter deux jours auparavant.

Il inspectait les murs à la lampe torche, n’ayant allumé aucune lumière de peur de donner un signe aux investigateurs. Aucune fissure n’apparaissait ni sur les parois, ni sur le plafond. De même, en passant sa main un peu à toutes les hauteurs et contre les surfaces, Ange ne sentit aucun changement dans l’air, aucune arrivé de fraîcheur ou de chaleur. Il ne savait d’ailleurs pas s’il devait s’attendre à de l’air chaud ou froid, n’ayant aucune idée du temps qu’il faisait dehors. Il fit ce geste de garder les mains en l’air pendant plusieurs dizaines de minutes, jusqu’à ce qu’il en soit fatigué.

Aucune trace de trappe, de porte, ou d’un quelconque passage à aucun endroit. Il fallait pourtant qu’Andrew ait pu sortir assez facilement de la pièce pour aller répondre à l’alarme l’autre jour.

Il en était à ces réflexions quand un bruit sourd le terrifia. De l’autre côté de la cloison, à l’endroit de la devanture, on frappait d’un objet lourd.

On avait compris que la cloison résonnait. Et on tentait de l’abattre. Ange n’en avait que pour quelques minutes.

*   *    *

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Crédits photos:

  • ED-Urbain15: Framboise Debout - DR

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