Comment Nuit Debout s’est réveillée à République

Cet été, Nuit Debout à Paris semblait avoir pris quelques vacances. Mais les membres les plus engagés ont travaillé d’arrache-pied pour relancer le mouvement, sans attendre la manifestation du 15 septembre. — Reportage

Dans une cave sombre où l’on peut difficilement tenir à plus d’une personne, sous un immeuble de la rue du Temple, à quelques pas de la place de la République à Paris, Paul*, 30 ans, engagé dans Nuit Debout depuis les premières semaines, se charge de faire passer le matériel sans rien oublier aux quatre autres, qui les remontent par un escalier d’un mètre de large. En ce début d’après-midi, samedi 4 septembre, c’est la quatrième fois qu’ils répètent l’opération depuis mercredi, date de la rentrée officielle de Nuit Debout Paris avec un programme de cinq jours de débats, de conférences et d’animations. C’est lourd et les corps transpirent. Le barnum de l’accueil, des tables, des bâches, des câbles électriques, des tubes PVC, des tableaux blancs et une foule d’objets en tous genres : ils ne sont pas trop de cinq pour tout charger sur les chariots. Depuis quelques mois, Nuit Debout dispose de plusieurs caves autour de la place, prêtées par des particuliers, pour entreposer son matériel.

« C’était exactement la chose à ne pas faire », lance Paul en découvrant le tout au beau milieu de la cour intérieure, sans qu’on sache si le ton est froid ou empathique. « Il faut absolument éviter que la voisine croie que sa cave est un moulin « . La solution n’est pas encore pérenne et les propriétaires qui acceptent de prêter une cave sont précieux.

Il est 14h45, les cinq arrivent sur la place chargés comme des mulets, entre la bouche principale du métro et la rampe de skate. Quelques autres les rejoignent petit à petit. Nous commençons à monter les installations quand Nicolas, un des signataires de la déclaration en Préfecture, prévient les nouveaux : « Pas question ! Cette année, s’il y a une chose sur laquelle la police nous embête, c’est bien les horaires ». Même si la surveillance policière n’a pas diminué l’été arrivant. Nous attendrons donc 15 heures précises. Pendant que nous nous attelons à la tâche, les passants regardent d’un air interloqué la quinzaine de personnes qui s’affairent sur la place.

« Dur d’abandonner »
La tente de l’accueil est montée en quelques minutes, des bâches sont tirées entre des arbres pour faire de l’ombre. Les drapeaux « Nuit Debout » et la grande banderole « Occupons les places » sont accrochés en hauteur et le programme de l’après-midi est écrit sur un tableau blanc bien en vue, devant lequel les passants s’arrêtent avant même qu’il soit rempli. Puis, on s’attaque au grand dôme, conçu par ArchiDebout spécialement pour Nuit Debout et qui a déjà voyagé à Berlin et à la Biennale de Venise. L’installation, entièrement composée d’arceaux en PVC, mesure tout de même huit mètres de diamètre. Ceux qui s’occupent de la logistique sont parmi les plus impliqués, mais les raisons qui les font revenir sur la place sont diverses.

Le montage du dôme en début d'après-midi, samedi 3 septembre 2016, place de la République à Paris | Photo R.G.
Le montage du dôme en début d’après-midi, samedi 3 septembre 2016, place de la République à Paris | Photo R.G.

Je pose la question à un membre de la commission Logistique. Ce trentenaire travaille aux impôts, il ne souhaite pas que son nom soit connu. « C’est dur d’abandonner », reconnaît-il. « Tu es chez toi, tu fais ta vaisselle, ton ménage, tu te fais chier; alors tu retournes sur la place. Ici, je fais quelque chose que je ne fais pas ailleurs : penser avec mes mains. Tout ce qu’on fait, c’est offrir le minimum de conditions d’accueil pour donner les moyens de débattre ». Même si Nuit Debout rassemble une certaine communauté d’idées, il estime trouver ici « une vraie diversité de la France », bien plus grande qu’au sein des militants des partis politiques.

Il fait horriblement chaud, alors avec Lison, de la commission Coordination, nous nous assurons que nous pouvons nous éclipser quelques minutes pour prendre une boisson fraîche dans un café voisin. Lison fait partie du noyau de trente participants qui se sont réunis tout l’été pour préparer cette rentrée.

« Le mouvement a été récupéré par tout le monde »
Elle me raconte qu’après avoir pris quelques jours de vacances en juillet et en août – parfois entre membres de Nuit Debout devenus amis –, des réunions initiées par les plus motivés se sont tenues tous les mercredis à 18 heures sur la place pour relancer le mouvement. La commission Accueil et Coordination a fait sa rentrée le 20 août lors d’une réunion qui a duré six heures, de 15 heures à 21 heures, avec une pause pour dîner. La Coordination s’est assurée par la suite que le programme de la rentrée pouvait bien se tenir, avec des effectifs suffisants en logistique et en Sérénité, en diffusant un message par Internet intitulé « Nuit Debout a besoin de nous ! » le 26 août.

Avec les 13 commissions qui ont répondu à l’appel – comme Économie politique, Jury Citoyen ou Écologie Debout -, un programme a été mis sur pied avec des intervenants d’associations et de mouvements citoyens divers. Mais le manque se fait surtout sentir du côté de la Sérénité, l’équipe de médiation de Nuit Debout. Son existence est une condition posée par la Préfecture de police pour permettre au mouvement de monter ses installations sur la place, mais les membres de Nuit Debout ont eu dès le départ l’ambition de mettre sur pied une large équipe, rapidement confrontés aux vagabonds qui venaient interférer au dernier moment avec les ordres du jour, mais aussi aux militants d’extrême-droite décidés à leur mettre des bâtons dans les roues, sans compter les vendeurs d’alcool qui pullulaient dès que la place se remplissait. Lors de cette rentrée, des membres qui n’avaient jamais fait partie de la Sérénité ont été invités à s’inscrire pour des créneaux de deux heures. Mais cela n’explique pas tout dans la diminution de l’effectif à la Sérénité.

Le public nombreux assiste au concert de l'Orchestre Debout, dimanche 4 septembre 2016 place de la République à Paris.
Un public nombreux assiste au concert de l’Orchestre Debout, dimanche 4 septembre 2016, place de la République à Paris. | © Yann Schreiber, Twitter @YannSchreiber

Nombre de ses membres étaient des militants dotés d’une forte conscience politique et avaient rejoint cette commission avec une idée très précise de la direction que devait prendre le mouvement. Ils se sont heurtés à une réalité : « Le mouvement a été récupéré par tout le monde », résume Lison qui regrette que certains se plaignent des orientations prises alors qu’ils pourraient s’impliquer et peser sur celles-ci. Au lieu de cela, la question de savoir si Nuit Debout devait être « citoyenniste » et débattre démocratiquement sans position politique définie, ou bien de « déranger quelques personnes », comme l’expliquait par euphémisme Frédéric Lordon, n’a pas été tranchée. Le débat sur la violence comme forme d’action est également resté stérile. À défaut d’avoir une position commune, l’horizontalité de Nuit Debout implique que toutes les initiatives, même contradictoires, puissent se cumuler. Autrement dit, qui propose fait, et nul n’est a priori empêché de participer ou de lancer des projets sans demander rien à personne. Cette ouverture permet au mouvement de rester en phase avec toutes les aspirations de la société. Cela s’est vu à l’Assemblée populaire quelques heures plus tard.

« Une fois, pas deux »
Un Français d’origine asiatique, la vingtaine, lève la main pour s’inscrire sur le tour de parole à l’assemblée qui vient de commencer, vers 19 heures. Son tour venu, il fait part des discriminations répétées contre les Asiatiques, des préjugés tenaces ancrés parmi les autres minorités. Il faut dire que le 7 août, Chaolin Zhang, un couturier de 49 ans, a été agressé à Aubervilliers par trois jeunes qui voulaient voler le sac d’un de ses amis. Il a succombé à ses blessures. Beaucoup y ont vu une agression raciste. Pas plus tard que le lendemain, 12 000 personnes ont manifesté au départ de la place de la République pour exiger la « sécurité » et dénoncer une « justice laxiste ».

Pour tout dire, il n’y a qu’à donner la parole pour que les gens la prennent. Mais le programme de cinq jours a demandé des dizaines d’heures de préparation, sans compter la mobilisation de chacun pour sa réalisation. Pendant que plusieurs centaines de personnes regardent le film Alors c’est qui les casseurs ?, la commission Coordination tient sa réunion à quelques mètres de là. La nuit vient de tomber, il commence à pleuvoir doucement et la quinzaine de participants s’abrite sous la cantine. Assis en rond à même le béton, on aborde le bilan de la rentrée du point de vue de la coordination. Si beaucoup de monde vient prendre part aux commissions et aux débats, très peu restent pour les corvées de matériel, qui est pourtant entièrement monté et démonté tous les jours.

« — Les trente mêmes personnes ne vont pas tenir éternellement, prévient Marie au mégaphone.
Je propose que ceux qui comblent les trous arrêtent de le faire, ajoute Olivier.

Vient le tour d’Emmanuelle :
Vous savez que je suis très investie, mais par rapport à ce que je voulais faire, j’en ai fait trop, renchérit Emmanuelle qui formule ainsi ce que beaucoup pourraient reprendre à leur compte. On a relancé le mouvement, c’est cool, mais cinq jours de suite, c’est mortel. Une fois, pas deux. »
Gérard propose que chaque commission se charge de sa logistique ou délègue une ou deux personnes pour le matériel.
« — On ne se rend pas compte qu’à l’échelle d’une vie humaine, il y a une part de nécessaire énorme qu’on sous-estime. Il faudrait en discuter pour que les gens prennent conscience que la part d’activités contraintes est beaucoup plus importante. Il n’y aurait même plus besoin de faire des appels pour mobiliser, poursuit Emmanuelle.
Ça fait un mois que les gens disent qu’ils sont à bout, mais la place est montée tous les soirs ! », fait remarquer Gérard.

L’occupation de la place semble avoir encore de beaux jours devant elle, au moins jusqu’à ce qu’un événement politique majeur jette les citoyens dans la rue – tellle une crise économique… ou l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.

Raphaël Georgy logo-twitter-23x20 

*Le prénom a été changé.

Crédits photos:

  • Montage du dôme: Raphaël Georgy
  • L’installation République samedi 3 septembre 2016: Raphaël Georgy

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