Manifestations : témoignages de participants

TEMOIGNAGES – Suite à la manifestation du jeudi 28 avril et à ses débordements, la Gazette Debout a réuni plusieurs témoignages de manifestants. De quoi porter un autre regard sur les événements.

Molo, patron de PME : « Je suis révolté que la police ait autant droit à la violence. »

« Je suis patron de PME, j’ai un profil qui peut faire changer les a priori sur Nuit Debout. Pendant cette manifestation, j’ai eu le sentiment de m’être fait agresser par la police alors que je ne suis en aucun cas un casseur. Je n’ai jamais lancé quoi que ce soit. Ce soir-là, je n’avais ni bu ni consommé de drogues, pensant prendre le volant pour rentrer. Sauf que dans l’état où j’étais après m’être fait gazer, flashballer et matraquer, j’étais un peu remonté et je suis rentré à pied. J’ai tout filmé sur Periscope, mais apparemment j’étais quand même dans l’illégalité par le simple fait d’être sur la place, bien que je n’aie pas entendu de sommations. J’ai entendu éclater les grenades assourdissantes, c’est vrai. J’aimerais m’assurer de mes droits et éventuellement porter plainte. Je suis révolté que la police ait autant droit à la violence.

Nos rêves ne rentrent pas dans vos urnes

Tim : « Ces violences donnent une image déplorable de notre combat. »

« J’ai débuté la manifestation au niveau des syndicats avant de remonter le cortège. Au fur et à mesure, le public rajeunissait. Ça a commencé à chauffer près d’Austerlitz. Les MILI et les Black Blocks étaient équipés de gants et de casques. Je ne sais pas qui a commencé, eux ou des CRS, mais la fin de la manifestation, c’était vraiment n’importe quoi. Ça gazait dans tous les sens et il y a eu beaucoup de casse. Il y avait clairement des gens qui étaient là pour en découdre, seulement pour la baston. Cela a gâché la manifestation et donne une image déplorable du mouvement, de ce pour quoi nous nous battons. Le débat sur le rapport à la violence est d’ailleurs récurrent au sein de Nuit Debout. Certains pensent que cela fait partie du combat, qu’elle est nécessaire pour montrer notre détermination. D’autres, comme moi, pensent au contraire que cela effraie les gens qui ne voient que les dégradations et les flics à l’hôpital.

En arrivant à Nation vers 17 heures, nous avons voulu sortir de la place. Les flics nous ont dit ‘vous faites bien de sortir car on va charger et gazer’. Pourtant, à ce moment-là tout était encore calme. »

Manif 28 avril

Eonubes : « Personne ne comprenait pourquoi les CRS nous envoyaient des grenades lacrymogènes. »

« La manifestation avait été généreuse, malgré la pression ostensible des forces de l’ordre qui semblaient vouloir nous imposer des étapes en pleine marche par un blocage et une démonstration de force. Jusqu’au bout, nous nous sommes demandés si nous allions arriver jusqu’à la place de la Nation. Lorsque nous l’avons enfin atteinte, au bout de plusieurs heures, nous étions tous très heureux. Tout le monde semblait se regarder comme pour éprouver l’évidence : oui, nous étions bien là en nombre. Les forces de l’ordre semblaient, elles aussi, se tenir au ‘repos’, comme si elles faisaient partie du paysage des façades haussmanniennes de la place de la Nation.

Les gens, en tous cas, se tenaient éloignés des murs de CRS qui, impassibles et étanches, bloquaient toute la place, en laissant seulement les manifestants entrer par un étroit goulet. Nous nous contentions de déambuler autour du terre-plein central. Beaucoup d’entre nous se sont assis tranquillement sur la pelouse ou sur le bitume. Nous sommes restés ainsi une bonne heure. Moi-même je m’apprêtais à repartir quand tout à coup, il y a eu plusieurs déflagrations. Le ciel s’est obscurci.

Résistance
Résistance. Photo Francis Azevedo

Tout le monde s’est mis en mouvement en courant vers les colonnes du Trône. Malgré le mouvement de foule, j’ai voulu attendre pour comprendre ce qui se passait. Les gens étaient choqués, furieux et vindicatifs. Personne ne comprenait pourquoi les CRS nous envoyaient des grenades lacrymogènes. La place s’est remplie de gaz ; partout où nous allions un mur de CRS nous bloquait le passage. Il ne restait qu’une issue : celle par où continuait d’arriver le reste du cortège, qui ignorait encore ce qui l’attendait. Les CRS ont envoyé d’autres charges de gaz toxiques et de grenades assourdissantes devant et derrière nous, là où nous espérions nous réfugier.

C’est alors que ce dont les médias se régalent en boucle a commencé…

Manif 28 avril

Camille :  » On avait l’impression d’être des poissons dans un petit bocal. »

« Avant tout, je tiens à dire que je n’ai jamais rien balancé sur des flics, que je n’ai jamais été violent avec eux. En manif, j’aime bien endosser le rôle du ‘médic’. Sans être de formation médicale, je distribue du petit matos aux manifestant-e-s qui m’en font la demande, sans les juger – du Maalox, du sérum phy, des pansements, etc. Du coup, je suis souvent en tête de cortège, là où ça chauffe le plus : j’assiste donc à tous les affrontements.

Pour info, l’ordre du cortège était le suivant : autonomistes (MILI, Black Blocks, jeunes des cités…), organisations de jeunes (UNL, UNEF…), et enfin syndicats.

Hier, j’ai rejoint la manif à 15 h 30 à Austerlitz, au niveau du pont. Quand je suis arrivé, l’ambiance était tendue : les CRS étaient déjà tous équipés et le groupe de tête était immobile devant eux, en silence. Une atmosphère très étrange : personne ne parlait, et on ne savait pas pourquoi les autonomes n’avançaient pas. On a compris plus tard que les flics avaient bloqué l’autre côté du pont.

Tout d’un coup, les autonomes se sont mis à balancer des projectiles sur les flics, qui ont répliqué immédiatement à base de lacrymos, forçant tout le monde à s’engager sur le pont, toujours bloqué à l’autre bout.

Manif 28 avril

Il y a eu des va-et-vient entre les personnes sur le pont et les CRS. Au bout de quelques minutes, ils ont envoyé la sauce de lacrymos et ont débloqué l’autre bout du pont : le cortège a donc pu reprendre. En traversant la Seine, j’ai entendu des CRS gueuler : « On va chercher des grenades ! » Ambiance. Il y a eu des coups de matraque rapides, sans raison apparente non plus.

Ensuite, des jeunes ont renversé des poubelles et ont essayé d’y mettre le feu. Pluie de lacrymos immédiate. Je me suis enfui avec des gens dans une impasse, ce qui était stupide : quatre BACeux (NB : policiers de la BAC) nous ont vus et sont retournés voir leurs collègues en criant : « Il y en a plein ici ! » J’ai eu peur de me faire embarquer. Finalement, au bout de quelques minutes, on a pu sortir de l’impasse.

J’ai remonté le cortège pour revenir en tête. Atmosphère : détonations de lacrymos presque à chaque minute, devant et derrière moi. À un moment, les CRS ont divisé le cortège, je ne sais pas pourquoi. Je me suis retrouvé sur une place, entre deux rangées de CRS qui ont avancé sur nous avec leurs boucliers. Nous étions totalement compressés. Encore une fois, je n’ai pas compris l’objet de la manœuvre. Ils nous ont laissés tranquilles quelques minutes plus tard.

Note : des manifestant-e-s m’ont dit que les CRS bloquaient le cortège toutes les 10 min. À plusieurs reprises ils ont séparé le cortège en plusieurs parties. C’est la première fois qu’ils font ça aussi souvent dans une seule manif, à mon avis.

Manif 28 avril

J’ai dû à nouveau remonter le cortège. J’ai croisé des BACeux en file indienne, très agressifs dans leur démarche et bousculant tout le monde.

Puis je suis arrivé à Nation. Je me suis posé sur le terre-plein central pendant quelques minutes. Les CRS avaient fermé toutes les avenues menant à la place, sauf celle par où on arrivait. En tête de cortège, les Black Blocks, qui allaient d’avenue en avenue pour provoquer les flics. Honnêtement, ce n’était très pas violent : quelques bouteilles lancées, c’est à peu près tout. Tout à coup, une trentaine de BACeux ont chargé les Black Blocks mais se sont trop avancés sur la place : se sont trouvés isolés ; ils se sont donc fait charger à leur tour par la foule, ce qui était assez jouissif, je ne le cache pas. Les BACeux ont vite couru derrière les CRS.

Par la suite et pendant deux heures (de 17 h à 19 h environ), il y a eu une véritable pluie de lacrymos. Les bouches de métro ont été fermées, on ne pouvait pas non plus sortir de la place par les avenues. Le cortège n’en finissait pas d’arriver. Concrètement, on était obligés de courir en rond tout autour du terre-plein central en évitant les nuages de lacrymos. Il n’y avait aucune violence de la part des manifestants, je suis catégorique là-dessus. On avait l’impression d’être des poissons dans un petit bocal, on respirait des lacrymos sans cesse et on étouffait. Encore une fois, ces lacrymos ne répondaient à aucune violence ou provocation de la part des manifestant-e-s.

Il y avait aussi un drone au-dessus de nous, qui filmait, ainsi qu’un hélicoptère (un bruit assourdissant pendant deux heures, j’avais un mal de crâne à hurler). Des flash-ball ont été utilisés, ainsi que des grenades assourdissantes et de désencerclement. C’était un déchaînement de moyens policiers complètement dingue.

J’ai vu des gens boîter après avoir reçu des grenades de désencerclement, d’autres faire des malaises et des convulsions à cause des lacrymos. Des personnes âgées et même des enfants ont été gazés. Une personne a eu une partie du visage arrachée. Un festival de tirs tendus de lacrymos, ce qui est illégal.

Manif 28 avril

Au bout de deux heures, les policiers ont commencé à resserrer la nasse et ouvert une station de métro par laquelle j’ai pu m’esquiver vers République.

Pour conclure, je dirais qu’il y a eu de la violence des deux côtés (manifestant-e-s et forces de l’ordre), mais dans des proportions extrêmement opposées. Pour moi, la réponse des CRS était clairement disproportionnée, et surtout, elle visait indistinctement la foule de manière absolument délirante.

J’ai l’impression que le pouvoir emploie une stratégie d’écrasement pure et simple du mouvement, de répression féroce. Même pendant les manifestations contre le CPE ou au moment de la crise des banlieues en 2005, on n’avait pas vu ça. C’est l’opinion de beaucoup de gens en manif et à République aussi.

Sur Periscope : « Halte à la désinformation. »

« Une nouvelle tactique de la part des CRS : se positionner au cœur des cortèges pour les disloquer et provoquer la violence. Je regrette sincèrement que la Gazette Debout se fasse le relais aveugle de mensonges médiatiques. Merci de diffuser des contre-témoignages : 1/ un système de nasse en plein cœur de cortège, des gens bloqués devant-derrière, pris de panique ; 2/ des mouvements de foule ; 3/ puis des lancers de lacrymos face à des gens en t-shirt, mains levées, qui tentaient juste de poursuivre leur chemin ; 4/ et enfin, enfin seulement, une réaction légitime de quelques-uns. Halte à la désinformation SVP. »

Gazette Debout. 

Crédits photos:

  • Nos rêves ne rentrent pas dans vos urnes: Nuit Debout
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  • Résistance: Francis Azevedo
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  • Manif 28 avril « Faites-nous confiance »: Nuit Debout / DR
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Une réaction sur cet article

  • 1 mai 2016 at 0 h 05 min
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    Bonsoir,
    Cette phrase qui me cite « Cela a gâché la manifestation et donne une image déplorable du mouvement, de ce pour quoi nous nous battons » est un peu trompeuse, comme la fin: on a l’impression que je défends les crs, ce que n’est pas le cas. Je regrette simplement, outre la violence clairement disproportionnée des policiers et les débordements, que ces affrontements accaparent les déjà étroits passages médiatiques de Nuit Debout (cf les différents sondages d’ajd).

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