Nuit Debout, les bourgeons d’un monde en devenir
Un an après l’adoption de la loi travail et la fin de l’occupation de la Place de la République les détracteurs de Nuit Debout pouvaient facilement décrire le mouvement comme une escroquerie, un vulgaire buzz médiatique même pas digne de ses ambitions. Au-delà d’un printemps 2016 marqué par un conflit social très dur et de nombreuses assemblées dans toute la France, Nuit Debout a été pour beaucoup un moyen de s’initier à l’action politique. Que ce soit par les discussions, par les manifestations ou par des propositions.
Une fois la poussière retombée sur la place de la République que reste-t-il de Nuit Debout ? « Rien » nous disent ces détracteurs. Lors de mon retour ce mois de mars, j’y ai pourtant été accueilli par un concert de casseroles qui dénonçait la corruption en politique. Le combat contre la collusion des milieux d’affaires et milieux politiques est un des axes de Nuit Debout. Le mouvement s’est tout d’abord construit autour de la lutte contre la loi travail. Le gouvernement n’a-t-il pas alors été face à une des contestations les plus fortes depuis longtemps? Au cours de ces trois mois intenses, ponctués par des manifestations bi-hebdomadaires, la mobilisation n’a pas décru. Seul un passage en force de la loi, avec une majorité socialiste en plein doute a permis au gouvernement Valls de ne pas y laisser sa peau. Certes l’alliance avec les syndicats n’a pas été totalement au rendez-vous, malgré les nombreux actes de solidarité avec les travailleurs CGT en grève. Et de même, on voyait une certaine méfiance entre deux mondes qui ne se connaissaient pas si bien. La fracture entre un salariat plus traditionnel, plus syndiqué et de nouveaux métiers plus indépendants, moins habitués aux grandes centrales et aux combats sociaux.
Après l’adoption de la loi El-Kohmry, la place s’est dépeuplée. L’heure du bilan pour une assemblée vaincue, qui n’avait pas réussi à s’organiser. A contrer l’arme atomique du 49-3. A exister en dehors du spectre des médias traditionnels. A s’opposer à des partis bien implantés et surs de leur force. On pourrait se gausser de la tribune de mars 2016, qui appelait à une improbable alliance entre intellectuels, bobos du XIe et les classes populaires, des mondes distincts qui ne peuvent se comprendre. Et bien sûr, on ne peut pas leur donner entièrement tort. Dans plus de cent assemblées générales, des néophytes de la politique se sont retrouvés à discuter avec leurs voisins, sans peut-être toujours réussir à dépasser les limites de l’entre-soi, qui prévaut dans ce cas. Mais n’était-ce pas déjà une victoire de faire sortir les gens de chez eux ? Que ceux qui avaient des convictions semblables puissent se rencontrer ? Que ceux qui s’opposaient puissent argumenter ? Elaborer un futur alternatif, plus écologique, plus humain doit bien commencer par ces premiers rassemblements, qui ne furent pas aussi transverses que certains l’auraient souhaité.
Au-delà de ces synergies qui laissent un goût d’inachevé, ne faut-il pas se poser la vraie question ? Comment un mouvement qui se cherche lui même peut-il déjà forger des alliances, se placer d’égal à égal avec des structures bien éprouvées, bien organisées ? Ce que Nuit Debout a fait, c’est rassembler des milliers de personnes qui ne se connaissaient ni d’Eve ni d’Adam pour parler des sujets les plus brûlants de notre société. Ceux qui divisent, qui interrogent : le voile, l’organisation des pouvoirs, le salaire universel, le travail. Evidemment qu’il faudra du temps pour que de cet amas de questions, de débats, d’objection sorte quelque chose de construit. La vraie valeur du mouvement n’est pas là. C’est l’espace d’expression politique qu’il a créé qui en fait la singularité. Par les débats sur la place. Par les questions de vos collègues ou amis : c’est quoi Nuit Debout ? Et toi tu y vas ? Pourquoi ? Et aussi par la non-réaction des hommes politiques, ceux qui pourtant s’expriment à longueur de journée, professionnellement.
De cet interstice ouvert dans un monde médiatique verrouillé, qu’en est-il sorti ? Des paroles, un flot de résolutions, de débats. Mais aussi des actes politiques. Souvent venus sur les places en simples curieux, beaucoup se sont mués en militants politiques. Qui est intervenu dans un débat. Qui a rejoint une commission. Qui a créé un site. Qui a organisé une manifestation. Ce qu’a offert Nuit Debout apparaît alors clairement. Des têtes nouvelles sont entrées dans l’arène politique. En dehors de toute organisation déjà bien établie, avec ses règles, ses codes et procédures, chacun a pu expérimenter, créer de toute pièce en profitant d’un mouvement non défini qui lui offrait à la fois un élan populaire et la liberté de créer.
Avec ses tâtonnements et ses erreurs, mais pour apprendre à marcher il faut bien tomber. Apprendre sans faire, voilà bien qui est impossible. D’aucuns voudraient réduire la démocratie au suffrage universel. Sans nier le besoin évident de représentation, il est pourtant clair qu’une démocratie sans débats, sans contributions des citoyens à la vie politique est un bien triste régime. Nuit Debout représente avant toute chose cette bouffée d’air frais dans un paysage politique sclérosé. On y a aperçu une commission pour la rédaction d’une nouvelle constitution. Une commission pour la réforme européenne. Une commission pour les libertés numériques. Le mouvement a permis ce passage, celui de simple spectateur à agent politique agissant. A notre époque de crises, autant environnementales que politiques, ce sont les transformations impulsées par Nuit Debout qui vont nous permettre d’inventer ce monde de demain. Discuter, se concerter, agir sont les conditions nécessaires à son élaboration. Chacun doit faire ses armes, forger son esprit critique, expérimenter, apprendre de ses erreurs pour que notre société malade du non-agir, du non-discours puisse-t-être réparée.
A.G
Crédits photos:
- Statue de la place de la République: Darius
Ces travaux seront utiles pour participer à la Constituante de Jean-Luc Mélenchon !