Au Louvre, l’art lutte contre le pétrole
Une « marée noire » a coulé devant la statue de la Victoire de Samothrace, un des symboles du Louvre. Dimanche 5 mars, une quarantaine de militants ont organisé un happening en plein cœur du célèbre musée parisien pour dénoncer ses liens avec Total. L’opération a été organisée par l’ONG 350.org qui estime que « le Louvre ne devrait pas brader son image aux entreprises fossiles, qui se servent de ces partenariats pour renforcer leur influence politique et asseoir l’idée que nous pouvons exploiter les combustibles fossiles sans dommage ».
Les militants ont lentement déposé leurs vêtements sur le sol de marbre blanc pour former cette rivière de pétrole au pied de la statue. Après avoir pris la pose, ils sont partis en laissant des tracts #zerofossile que les touristes se sont empressés de photographier. Une performance mélangeant l’art et l’activisme qui a demandé des semaines de préparation pour que la chorégraphie soit parfaite.
Ce n’est pas la première fois que 350.org s’en prend aux liens entre l’institution culturelle et les géants de l’industrie fossile. En décembre 2015, lors de la COP21, des militants avaient déversé de la mélasse figurant une marée noire au bas de la pyramide tandis qu’en surface d’autres ouvraient des parapluies noirs portant en lettres blanches « Fossil-Free Culture ». L’ONG dénonçait à l’époque les relations entre le musée et Eni, entreprise pétrolière italienne. Une action qui a porté ses fruits : Eni n’est plus mécène du Louvre depuis janvier 2016.
Dans une lettre envoyée à l’ONG, le directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, explique que le partenariat avec Total respecte la législation en vigueur. Il permet de mettre en valeur l’histoire du musée, de développer l’accès à la culture des publics les plus éloignés et de rénover le patrimoine. Il assure par ailleurs que ce partenariat n’a aucun impact sur les choix artistiques du musée.
Nicolas Haeringer, porte-parole de 350.org en France, lui a répondu par missive interposée, assurant que « les choix très stratégiques des expositions que Total finance montrent bien que les enjeux du mécénat dépassent le seul intérêt pour le patrimoine : financer une exposition ou une galerie est un moyen discret mais incroyablement efficace pour un groupe tel que Total d’étendre sa sphère d’influence ». L’impact de Total sur les choix du musée n’a pas encore été clairement établi, mais il serait bien naïf de penser que l’entreprise investit de façon désintéressée. (Lire ici l’enquête du magazine Basta)
On peut comprendre qu’un musée répugne à se séparer d’un généreux mécène en période de crise. Pourtant, dans son rapport financier annuel de 2015 on note que le « mécénat et les partenariats médias » représentent 7% de ses recettes, pour un montant total de 7 millions d’euros. La part de Total n’est pas publiée, mais l’ONG compte bien la rendre publique. Poussée par 350.org, la Tate Gallery de Londres a été contrainte de publier le montant des dons rapportés par BP : 200 000 euros, 0,5% de son budget total. Le musée a mis fin à cette collaboration au bout de 26 ans.
L’ONG milite pour mettre fin aux relations entre les institutions culturelles et les entreprises pétrolières, estimant que ces dernières se rachètent une image de marque à peu de frais tout en poursuivant la destruction de la planète. L’ONG rappelle que des militants britanniques ont révélé des documents suggérant que BP ou Shell ont cherché à influencer certains choix muséographiques des institutions qu’elles financent, et collaboré étroitement avec elles pour faire face aux protestataires. BP a par exemple financé l’acquisition d’une œuvre d’artistes aborigènes australiens pour inclusion dans une exposition du British Museum à un moment où l’entreprise était au centre des critiques en Australie du fait de ses projets de prospection offshore dans la Grande Baie Australienne. La même entreprise a financé au printemps 2016 l’exposition « Villes englouties : les mondes perdus de l’Égypte », qui présentait des découvertes archéologiques récentes dans le delta du Nil alors même qu’elle était en négociation avec le gouvernement égyptien sur le lancement de forages pétroliers dans la même zone. Cette exposition avait été présentée auparavant à l’Institut du monde arabe à Paris sous le titre « Osiris, mondes engloutis d’Égypte » avec le soutien de la fondation Total.
Les musées ne sont pas les seuls concernés. 350.org demande aussi aux universités, institutions religieuses, caisses de retraites, fonds de pensions, banques publiques et toutes institutions culturelles de se séparer de leurs investissements dans les énergies fossiles dans un délai de cinq ans.
Pour que notre culture ne soit pas polluée par les grandes entreprises de l’industrie fossile, vous pouvez signer la pétition ou vous engager avec l’ONG pour d’autres opérations. Plus d’informations sur le site.
L.A
Crédits photos:
- Opération Zero Fossile au musée du Louvre: 350.org
- Opération Zero Fossile au musée du Louvre: 350.org