Nucléaire : comment défaire le « Bure de Merlin » ?

Poursuivant la lutte contre la poubelle nucléaire de Bure, les associations ont appelé à une manifestation au bois Lejuc, samedi 18 février. Alors que, reconnaissant l’importance de l’enjeu, plusieurs candidats à l’élection présidentielle avaient envisagé de se rendre sur place, les défenseurs de la forêt avaient fait savoir que ces derniers, qu’ils soupçonnaient de vouloir simplement faire un coup médiatique, n’étaient pas les bienvenus. C’est donc sans personnalité politique que les six cents manifestants sont entrés dans la forêt. Contrairement à ce qui s’était passé cet été, le 16 juillet, le cortège, parti du village, n’a pas traversé les champs pour rejoindre le bois en contournant les forces de gendarmerie qui en bloquaient l’accès, mais a suivi le chemin qui mène à son extrémité méridionale, désormais baptisée Vigie Sud, où il ne restait, samedi, aucune présence policière.

Manifestation contre le nucléaire à Bure

Le bois Lejuc libéré

Lorsque je pénètre dans la forêt pour la première fois depuis six mois, je suis d’abord frappé par le calme qui y règne. Alors que les manifestants du 16 juillet dernier s’étaient immédiatement attelés à l’érection de barricades à plusieurs endroits stratégiques, l’enjeu cette fois est différent : le bois est presque vide de présence humaine, rendu pour ainsi dire à son état naturel, à l’exception de quelques cabanes construites dans les arbres ou dans des clairières. De la barricade sud il ne reste plus rien, seule celle du centre demeure. Je n’ai pas poussé plus loin vers le nord, faute de temps. Surtout, ces parties du bois auxquelles il était rigoureusement impossible d’accéder au tout début de la construction du mur, ces lieux farouchement gardés par les vigiles de l’ANDRA et les Gendarmes Mobiles, ont été libérés.

Défaire le mur

Sur la route de chantier qui part de la vigie sud et qui fait le tour du bois, on trouve rapidement, une fois franchies les barricades des défenseurs du bois, les vestiges du mur démantelé par les manifestants, chaque portion basculée à renforts de leviers et de cordes. Un pan de mur toujours debout, trop gros pour être abattu sans une pelleteuse, mais néanmoins attaqué à coups de masses en plusieurs endroits, porte l’inscription suivante : « Seules les masses sont révolutionnaires (Karl Masse) ». Les blocs de béton armés qui se répartissent de chaque côté de la route forment comme des pierres tombales entre lesquelles le promeneur marcherait ; certains sont ornés de pots de fleurs ou de gerbes ; la forêt a désormais son cimetière : là où ils voulaient enterrer les déchets les plus polluants et les plus dangereux de la planète, on peut désormais lire les épitaphes du capitalisme, de la corruption, de la violence policière et du mensonge d’État, de tout ce que les manifestants combattent et dénoncent, de tout ce qu’ils ont le désir d’enterrer pour de bon. Certains blocs portent aussi des noms de lieux de la honte : Calais, Vintimiglia, Gaza… Les lieux où l’on érige d’autres murs, tout aussi détestables.

Les tag sur le mur de l’ANDRA à Bure

Les militants qui ont taggé ici expriment leur colère, mais raillent aussi avec humour ; ils manient la contrepèterie : « Le Bure de Merlin » ; le jeu de mots : « Ci gît l’ANDRA labo minable » en référence au laboratoire de recherches installé depuis 2000, cheval de Troie du projet d’enfouissement, ou encore « On défait le mur« . Les conseils aux forces de l’ordre (« mets ta visière, il pleut des pierres ») s’affichent aussi sur les barricades en bois. Les tags les plus récents dénoncent le viol de Théo L. par les policiers d’Aulnay-sous-bois. Quant à la corruption, qui est aujourd’hui au coeur d’un emballement médiatique au point d’occulter bien des enjeux de toute autre envergure, elle a également sa place sur le mur du bois Lejuc : « Achat des consciences : 30 millions d’euros chaque année au Conseil général de la Meuse », dénonce un tag. Les militants anti-nucléaire n’oublient pas que la lutte se joue à tous les niveaux : sur les barricades, mais aussi sur le terrain judiciaire, politique, médiatique ; quand l’ANDRA désinforme, il faut communiquer, et quand l’ANDRA corrompt, il faut la dénoncer. Ce jour-là, la lutte va prendre sa forme la plus visible : une marche.

Vers le labo-cheval de Troie

Après un repas chaud servi par l’organisation – on mange dans des assiettes en porcelaine, avec des couverts en métal et l’on fait sa vaisselle dans des bassines collectives de manière à ne laisser derrière soi aucun déchet, chacun revêt son masque de hibou – ils sont très nombreux -, ses lunettes, ou son masque de protection, et un cortège se forme à nouveau qui, dès 15h, prend la direction du laboratoire de l’ANDRA, situé à deux kilomètres au sud du bois. On chante. On reprend des slogans : « Solidarité avec les irradiés », « Mur par mur et pierre par pierre on va détruire le nucléaire », « La forêt elle est à qui ? Elle est à nous ! ». On prend aussi avec soi des morceaux du mur, pour les rendre à leur propriétaire, et lui signifier que l’on n’en veut pas. L’opération aurait pu se dérouler pacifiquement, en déposant ce tas de béton devant les grilles de l’Agence ; mais les choses ne se finirent pas comme cela.

Le cortège avance, accompagné par les percussions d’une batucada, et plusieurs centaines de mètres avant destination, la route se borde d’une rambarde métallique qui va servir d’instrument de musique pendant une bonne partie de la marche et ensuite jusqu’à la tombée de la nuit, les manifestants tapant dessus en rythme avec les blocs de béton qu’ils ont amenés. Une manière de s’annoncer de loin, une réponse aussi aux coups de matraques que les CRS donnent parfois sur leurs boucliers pour intimider les foules. La présence policière justement, une soixantaine de gendarmes visibles, attend les manifestants et bloque l’accès au laboratoire.

Une barricade en feu à Bure

Il est environ 16h30 et pendant un moment, rien ne se passe : le cortège demeure face aux policiers et à leur dispositif anti-émeute. Sur le chemin, une barricade avait été dressée sur une route parallèle, vraisemblablement pour éviter un encerclement. Quand la colonne de manifestants tente d’avancer, les grenades lacrymogènes commencent à tomber. Les grilles de l’ANDRA sont prises d’assaut et tombent les unes après les autres, au milieu des tirs de grenades (de désencerclement, ou assourdissantes). Le vent ramène cependant les gaz vers les Gendarmes. Les manifestants investissent largement le champ qui se trouve devant les grilles, du côté gauche de la route : le champ n’est pas dépierré, ce qui en fait une réserve quasiment inépuisable de munitions. Surtout, la terre meuble permet d’enfouir les grenades et minimiser l’effet des gaz. Une course de vitesse s’engage ainsi entre les forces de l’ordre qui tirent des grenades et les manifestants qui se précipitent à leur point d’impact pour les recouvrir de terre.

Manifestation à Bure.

A gauche du champ les manifestants récupèrent de grands pieux en bois de plusieurs mètres de long, qu’ils transportent à deux pour les ajouter aux barricades déjà enflammées sur la route face au portail de l’ANDRA. Pendant presque deux heures, constamment défiés par la batucada installée en deuxième ligne, les gendarmes, sans abandonner leurs positions, ne feront pas reculer les militants, qui parviennent à arracher des dizaines de mètres de grilles métalliques. Ce n’est qu’à l’approche de la tombée de la nuit, et grâce à des renforts, qu’ils finissent par entamer une manoeuvre d’encerclement en avançant par le flanc. Les manifestants se replient alors sur la route, où l’arrière-garde n’a cessé depuis deux heures de taper en rythme sur la rambarde métallique, et après un face à face immobile d’une quinzaine de minutes, vers 18h30, le cortège retourne vers la Maison de Résistance, où thé et café sont sur le point d’être servis. Malgré les blessés (on comprend le danger des grenades lorsque l’on voit la chaussure d’un manifestant déchiquetée et deux personnes ont été prises en charge par les pompiers, bien d’autres encore par les medics présents sur le terrain) et les interpellations (au moins deux), la Maison de la Résistance résonne de conversations détendues, de rires, et sur les visages, c’est bien la victoire que l’on peut lire.

L’effet d’une grenade assourdissante sur une chaussure.

Solidaires face aux gendarmes, solidaires contre le nucléaire

Les manifestants étaient, en ce 18 février, malgré le froid, plus nombreux qu’au mois de juillet. On a pu voir une solidarité réelle entre les trois lignes qui se sont distinguées au moment de la confrontation entre le cortège et les forces de l’ordre : la première ligne, en grande partie regroupée autour des banderoles renforcées et qui ripostait aux tirs de grenades lacrymogènes et assourdissantes par des jets de pierre ; la seconde ligne qui occupait le champ, empêchant de fait l’encerclement de la première, évitait les grenades et s’efforçait même de les enterrer ; la troisième enfin, qui se tenait sur la route et continuait de faire vibrer la rambarde, comme pour accompagner l’effort des plus audacieux.

Le combat continue, avec des échéances judiciaires dans les jours qui viennent et notamment le 28 février concernant la légalité ou l’illégalité de la cession du bois Lejuc à l’ANDRA par la commune de Mandres-en-Barrois. La Maison de la Résistance contre la poubelle nucléaire (Bure Zone Libre) dispose de son propre organe d’information, extrêmement complet : Vmc.camp qui a publié un résumé de la journée du 18 février ainsi qu’une revue de revue de presse. N’hésitez pas à les suivre sur Facebook et Twitter pour être informés des prochaines mobilisations.

Mathieu Brichard. 

Crédits photos:

  • Manifestation contre le nucléaire à Bure: Vmc camp
  • Les tag sur le mur de l’ANDRA à Bure: Bure
  • Une barricade en feu à Bure: Mathieu
  • Manifestation à Bure: Bure
  • Bure-chaussure: DR
  • Bure manifestation: Vcm camp

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