Strasbourg vous souhaite un « Mairie Christmas ! »

Nous sommes le 25 novembre 2016, une nouvelle fois la magie de Strasbourg bat son plein, le marché de Noël est inauguré, le flot de touristes ininterrompu va démarrer pour un mois. Mais, cette année, ce marché est différent car l’île de la vieille ville s’est transformée en bunker commercial anti-Daesh.

Cette sécurité a un coût qui semble astronomique mais presque ridicule si on le compare aux retombées économiques de cette fiesta de la consommation. La ville va dépenser 450 000 € pour la sécurité pour 250 millions de retombées économiques attendues, avec une moyenne de 2 millions de visiteurs.

Je vous fais grâce des commentaires habituels des Strasbourgeois qui, en général, n’approuvent pas la débandade commerciale qu’est devenue le marché de Noël au fil des années, oubliant totalement l’esprit local et traditionnel de l’événement. Avec des amis sympathisants de Nuit Debout, nous sommes allés faire un sondage place Kleber pour connaitre les points de vue des visiteurs. En fin de sondage, nous avons orienté nos questions vers la place des SDF au milieu de cette « féerie ». A la question : « les SDF sont-ils chez eux dans la rue ? » les réponses sont diverses mais certaines nous interpellent et particulièrement deux d’entre elles. Une strasbourgoise de 50 ans nous explique qu’ils « ne sont pas bien dans la rue parce que ça manque d’intimité. » Une jeune fille de 25 ans du centre de la France nous répond que « les sdf sont là, c’est triste que les gens ne les voient pas, ils ne font pas partie de la fête». Elle est émue.

Le marché de Noël à Strasbourg

Cette dernière met le doigt sur un fait : avec le marché de Noël et son flot de visiteurs, les SDF devenaient totalement invisibles. Pourtant, ils sont toujours là, transis par ce froid qui ne représente pas la fête pour eux. Un froid qui leur rappelle chaque année que leur vie ne tient plus à grand-chose au moment de l’hiver. Et pour le coup, même le réconfort nécessaire des passants leur est confisqué par la fête qui les encercle.

Cette même fête qui, le soir de l’inauguration le 25 novembre, a été perturbée par le collectif « Sans dents mais pas sans droits ». Il rassemble des associations qui luttent chaque jour pour venir en aide aux sans-abris, mais malheureusement se sentent désarmés face au manque de soutien de la mairie et à son immobilisme. Ce soir là, le but était de montrer clairement et simplement une réalité : pendant que vous allez déambuler dans les allées du marché de Noël, 476 adultes et 63 enfants vont dormir dans la rue.

Que fait la Mairie ? La question me hante. Ont-ils les moyens d’agir ? Je ne peux m’empêcher de repenser aux 450 000 euros d’investissement et aux 250 millions de retombées économique attendues. Il apparait plutôt clair que la mairie a bien les moyens quand « le jeu en vaut la chandelle ». Mais alors, la vie des SDF, notre vie (puisque nous pourrions être à leur place) n’en vaut-elle pas la chandelle ? Que pouvons nous faire ? Nous cherchons, mais les réponses ne viennent pas. Et puis la magie des rencontres nous amène à comprendre un autre aspect du problème.

Nous nous rendons dans un bar strasbourgeois et en chemin, nous rencontrons un sans-abri célèbre de nos rues. Fréderic nous reconnaît et décide de nous accompagner. Il est souvent pris pour un fou, un ahuri alcoolique, mais une fois de plus, le simple fait de lui laisser la parole et de l’avoir écouté nous a ouvert de nouvelles voies. Certes, il est difficile à comprendre puisque gavé de médicaments et blindé par son exclusion. Mais à la question « de quoi as-tu besoin pour survivre ? » il nous répond tout simplement : « bah ! d’une agence immobilière ! ». Ces simples mots m’ont glacé. Il savait très bien qu’il ne pouvait pas se permettre d’acheter un appartement, mais son rêve et son besoin immédiat est bien d’avoir un logement.

Le marche de Noel de Strasbourg

Dans les 10 minutes qui suivent, j’essaie de comprendre, j’échange encore avec Fréderic, mes amis aussi et puis je comprends alors. L’agence immobilière était loin d’être aussi risible qu’il le pensait. Une agence immobilière est là pour mettre en vitrine les logements détenus par des particuliers en vente ou en location. C’est-à-dire qu’un privé, s’il veut gagner de l’argent avec son logement, doit faire savoir à tous que son logement est libre à la location ou à la vente. Et chaque personne qui passe devant la vitrine d’une agence peut voir les appartements du parc privé disponibles.

Et le parc public ? Comment savoir quels sont les biens immobiliers dépendants de l’Etat ou des collectivités locales qui seraient disponibles ? Rien ne permet de tenir le rôle de l’agence immobilière pour les biens publics. Mais alors, si un particulier veut mettre son appartement en vitrine parce qu’il a besoin d’argent, on peut déduire facilement que la ville n’a pas besoin d’argent. Elle ne fait pas de publicité pour rentabiliser ses biens vaquants. Et si elle n’en attend pas de rentabilité, pourquoi ne pas les laisser à ceux qui en ont besoin et en urgence ?

Chaque hiver, on assiste aux mêmes scènes : des hommes, des femmes et des enfants dans nos rues, et en miroir de cette situation, la ville orchestre une débauche commerciale sous le nom de Marché de Noël. Nous avons tous la possibilité de demander des comptes à nos élus, nous sommes le peuple et ils sont censés nous représenter. Une nouvelle question me vient à l’esprit : l’inaction de nos maires est-elle représentative de nos volontés ? Est-ce que nous sommes d’accord pour laisser les gens dans la rue ?

Le marché de Noël à Strasbourg

Un groupe de citoyens strasbourgeois a décidé d’agir et surtout de vous faire agir. On ne sait pas qui ils sont, ce qui renforce leur liberté d’action. Pas de bannière, pas de parti, pas de mouvement, ils ont juste voulu faire ce qu’on devrait tous faire. Le seul post Facebook que j’ai trouvé qui parle de cette action vient de la page Nuit Debout Strasbourg Tient Parole. Ils y précisent bien qu’ils ne savent pas non plus qui sont les initiateurs de cette campagne. Je vous invite à y jeter un œil et surtout à imprimer ces cartes postales et à les diffuser massivement. Les humains meurent dans nos rues, encore aujourd’hui : soit on continue à fermer les yeux, soit on met de coté son appartenance à un courant, un parti, un syndicat pour agir.

Je finis quand même avec une note positive sur le marché de Noël. Et non, ce n’est toujours pas place de la cathédrale que ça se passe, mais place Grimeissen, où se situe le « Marché de Noël OFF, pour les agités du local ! ». Une initiative géniale, un marché solidaire, local, responsable, écolo. Vous y trouverez  un monde qui ne demande qu’à exploser dans nos vies. On rencontre, on échange, on retrouve une tradition perdue, et surtout on achète responsable. J’y suis passé et j’y ai vu de l’espoir mélangé à de l’initiative citoyenne. Cette première de 2016 est cachée dans une petite place près de la petite France, à l’écart du « vrai » marché de Noël, mais il ne tient qu’à nous de faire en sorte que l’année prochaine, le « OFF » prenne le pas.

Malgré ce point positif, l’histoire se répète sans cesse et cette fois, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas : Les journaux TV et papiers, les réseaux sociaux, les associations, tous nous parlent de ce drame de la rue et ceci chaque jour depuis des décénies. Comment nous pouvons nous taire alors que nous savons ? La peur d’être à la place des SDF ne suffit pas à justifier notre inaction. Le besoin de nos élus à faire « bonne figure » devant un panel de ré-électeurs ne justifie pas non plus leur inaction coupable.

Alors n’oubliez pas, cette année, ce n’est pas le Père Noël qui va recevoir les cartes postales. Ce sont vos maires ! Alors « Mairie Christmas à tous ! »

La Hulotte,  Correspondant à Strasbourg pour Gazette Debout

La Hulotte Prod

Crédits photos:

  • Le marché de Noël à Strasbourg: La Hulotte
  • Le marche de Noel de Strasbourg: La Hulotte
  • Le marché de Noël à Strasbourg: La Hulotte
  • Le marché de Noël à Strasbourg: La Hulotte

Une réaction sur cet article

  • 19 décembre 2016 at 0 h 03 min
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    Encore un bel article. Qui est votre mystérieuse Chouette ? J aime vraiment le côté humaniste de ses écrits. Avez vous au moins un nom ou une adresse mail ? J habite en Alsace et j’aimerai bien le ou la rencontrer. Sinon c’est pas grave. J’attendrai don prochain article. 😉

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