Manif sauvage du 23 juin : « Tout le monde était chaud bouillant »

TÉMOIGNAGE — Jeudi 23 juin, il est environ 19h quand on nous annonce en AG une manif sauvage en partance de République. L’ordre est donné de prendre le métro. En quelques secondes nous nous engouffrons dans la station. L’excitation est à son comble. Des groupes se forment à la va-vite, environ 200 personnes investissent les quais. Le point de ralliement est inconnu, nous prenons différentes directions et nous suivons un meneur désigné au préalable pour chacun des cortèges.

Le groupe dans lequel je me trouve s’arrête au métro Richard-Lenoir et nous continuons à pied vers la station Ménilmontant. Nous attendons les autres puis nous nous dirigeons tous ensemble vers un lieu que je tiendrai secret, proche du métro. Au total, 400 personnes cassent la croûte, se désaltèrent ou se reposent un peu après cette rude journée de lutte. Une petite AG se forme, les gens discutent dans un périmètre restreint, le groupe, dense, est composé de militants ayant entre 18 et 30 ans.

Une bonne heure après notre arrivée sur les lieux, on entend au mégaphone : « Allez on y va ! On bouge, on bouge, manif sauvage ! » répété à plusieurs reprises. Nous sommes à ce moment précis entre 250 et 350 personnes à défiler en tapant dans nos mains. Nous déboulons sur le boulevard de Ménilmontant, puis celui de Belleville. Des slogans sont lancés et tout le monde reprend avec entrain : « Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous ! », « Anti, anticapitaliste ah ah ! ». L’ambiance est bon enfant, les gens nous font signe, nous prennent en photo; d’autres, surpris, nous regardent, les yeux écarquillés. Nous marchons sur la chaussée, aucune voiture ne circule. Nous avançons, déterminés, mais sans savoir où nous allons.

Manifestation sauvage du 23 juin
Destruction de la vitrine de la CFDT pendant la manifestation sauvage du 23 juin. Nuit Debout / DR

Parmi le cortège, des black-blocs (entre 15 et 20 personnes) cachent leur visage derrière un foulard et enfilent leur sweat à capuche noir. Arrivé devant le siège de la CFDT – un hasard complet -, certains d’entre eux commencent à s’exciter et jettent de gros cailloux ainsi qu’un grille sur les vitres de la façade. On a pu lire sur la devanture les inscriptions en lettres de sang « Collabo » et « C’est fini de trahir ». Nous avons continué à marcher puis certains manifestants s’en sont pris à trois voitures électriques, les fameuses Autolib’ de notre cher Bolloré, à un Franprix et à deux distributeurs de la banque BNP Paribas. Tout le monde était chaud bouillant mais personne d’autre n’a fait de dégâts, rien n’était prémédité. Le cortège de la manif n’était, lui, absolument pas violent.

Au son des slogans habituels, nous avons pris à gauche, puis à droite, et sommes arrivés devant une agence Pôle Emploi; là encore, certaines personnes ont brisé les vitres. Nous avons commencé à trotter, j’ai eu l’impression que le cortège était plus long qu’au départ, comme si on avait réussi à happer des gens sur notre passage.

Nous avons zigzagué dans Paris puis nous sommes tombés nez à nez avec une voiture de police en repérage. Elle a été visée par des jets de bouteille de bière. À son bord, trois policiers, dont un avec un flashball ; il visait tout le monde, une scène surréaliste en plein Paris. Les gens se sont mis à courir, il y avait du bruit partout, des cris, des insultes envers les policiers.

Le groupe s’est divisé en deux. L’arrière est remonté, puis redescendu aussitôt à la vue des premiers cars de CRS. À partir de là tout s’est passé très vite; la queue de cortège s’est élancée dans la même direction pour rejoindre la tête, partie en courant elle aussi une minute plus tôt. Il y avait des poubelles renversées partout, sur la chaussée, sur les trottoirs pour faire barrage… Les gens du quartier n’en revenaient pas; il y en avait à toutes les fenêtres et certains filmaient avec leur téléphone. Nous avons galopé sur 300 mètres avec les cars de police derrière nous ; des CRS, plutôt sportifs, dégageaient la voie en shootant dans les poubelles. J’ai pris le temps de me retourner cinq secondes et vu des dizaines de CRS nous courir après sur les trottoirs.

À ce moment-là, je me suis planqué dans une épicerie à 50 mètres du carrefour où tout le monde s’est dispersé par la suite. Etant avec mon casque et mon sac photo, j’ai préféré cette solution car il était insensé de continuer jusqu’à l’essoufflement. Les flics étaient déterminés à nous rattraper et nous rouer de coups. Ils ne cherchaient pas à choper les plus casseurs mais n’importe qui, les moins rapides, les garçons comme les filles.

J’ai vu depuis l’entrée de l’épicerie 30 cars de CRS défiler à toute allure et à contresens. Cinq minutes après, je me suis rendu au niveau du carrefour, le cortège s’était divisé en trois, les flics le suivaient. J’ai vu un gars très blessé à la tête, plaqué au sol par deux CRS, l’un d’eux faisant pression de son genou sur sa tête ensanglantée. Il ne bougeait pas, on a cru un long moment qu’il était très gravement blessé; certains pensaient même qu’il était mort, tué par une grenade de désencerclement. Les gens se sont rebellés contre le CRS, tout le monde filmait la scène, d’autres essayaient de parler aux policiers.

Collage #4-2
Collage de Stéphanie Pouech/DR

J’ai retrouvé ensuite des planqués du cortège et d’autres qui avaient réussi à revenir incognito. Les pompiers sont arrivés en dix minutes et ont secouru le pauvre gars, sous les applaudissements et les remerciements des badauds. Je crois bien qu’il y avait aussi deux interpellés  à ce moment-là, coincés entre un mur et une rangée de CRS.

Pendant ce temps, je discutais avec Esteban de TV Debout (arrivé sur les lieux juste après les pompiers); tout à coup, deux CRS m’ont pointé leur matraque en pleine figure en me gueulant de dégager. J’étais devant l’entrée d’une résidence, donc au plus loin de l’action. J’ai levé les mains en l’air en disant que je n’avais rien fait et j’ai demandé calmement par où partir. À ce moment-là, je me suis fait choper par le col par un CRS complètement taré qui m’a agressé en me disant de « [fermer] ma putain de gueule ! » ; je lui ai répondu que je n’avais rien fait, il m’a serré un peu plus fort pour me faire mal et m’a relancé un « Ferme ta gueule ! ». Des gens ont dit qu’ils étaient témoins, je n’avais évidemment rien fait, le comble c’est que je me suis retrouvé bloqué à cause des deux premiers CRS. Le fou casqué m’a emmené à son supérieur et lui a demandé : « On fait quoi des interpellés ? » ; son chef lui a dit de me relâcher, je me suis alors retrouvé projeté entre deux voitures.

Nous sommes restés sur les lieux avec une dizaine de personnes du cortège. Aucune nouvelle des autres; j’ai entendu dire qu’il y avait eu 40 interpellés, mais finalement le chiffre est bien inférieur. On est de vrais sprinteurs en fait.

Ce soir-là, comme d’habitude, j’ai vu des flics complètement dingues, violents, abusant de leur pouvoir, des flics à l’image de notre premier ministre.

J., photographe

Crédits photos:

  • Manifestation sauvage du 23 juin: Nuit Debout / DR
  • Collage #4-2: Stéphanie Pouech / DR
  • Manifestation sauvage du 23 juin: Nuit Debout / DR

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