Sors de ta bulle !

Trump président ? Si la dystopie (Idiocracy) devient réelle, pourquoi est-il si compliqué de vivre l’utopie ?

 

Bienvenue sur terre,

L’utopie semble inaccessible ? Rien d’étonnant. Nos outils démocratiques, économiques et sociaux sont rongés par le temps qui passe, et ne permettent pas de faire valoir les idées y tendant. On n’a jamais réinventé la roue et par conséquent, celle que l’on traîne depuis longtemps est bien trop cabossée pour être réparée. Oligarchie, technocratie, suprématie de l’économie, montée d’un fascisme : la liste des freins et frictions à la « société de demain » s’allonge de jour en jour. Aux USA, en Turquie, en Angleterre, au Brésil […] , en France, chaque jour, des libertés disparaissent et l’espoir d’un monde meilleur s’estompe peu à peu. Entre la peste et le choléra, les colons de l’espace ou de la société post apocalyptique, quel monde pour demain ?

« Le monde de demain » n’existe pas.

Nous ne sommes plus que spectateurs d’un vieux monde se mourant. L’industrie du spectacle, l’entertainment se retrouve dans toutes les strates de notre société. Derrière un écran, le monde tel qu’on l’observe s’en retrouve déformé. L’allégorie de la caverne de Platon ne se joue plus dans une grotte, mais chacun chez soi, dans l’obscurité sociale, les yeux aveuglés par une lumière bleue, le doigt prêt à cliquer sur « Refresh » pour recevoir le dernier tweet sur lequel jaser. Un temps consacré à suivre l’actualité et à y réagir via nos claviers, tandis que derrière nous, le vrai monde se joue à travers les fenêtres de nos cages.

Nous préférons le rêver, plutôt que d’y participer.

Tous les jours, on crache nos valeurs, on exprime ce que l’on pense, on partage nos opinions, au nom d’une sacro-sainte liberté d’expression. S’exprimer, étymologiquement : faire sortir. Ce mot, de nos jours, prend plutôt le sens de vomir. Cette boulimie addictive de l’information nous fait régurgiter sans réflexion et digestion des opinions préformatées, par des équipes de communicants et des faiseurs de buzz.

Plus le temps de réfléchir, juste celui de refléter. Nous sommes devenus des miroirs, la réflexion d’une auto-complaisance. L’algorithmisation et le profilage nous enferment dans des cercles et l’effet Droste nous paralyse dans la mise en abîme. On aime que des ami.e.s partagent ce que l’on aime, nous sommes tenus loin des opinions qui nous déplaisent.

Collectivement, nous laissons ce phénomène persister, collectivement nous aimons nous isoler dans l’entre-soi idéologique et sémantique. Le numérique et le web ne font qu’accélérer cet état de fait, simple réplique de comment nous vivons au quotidien. Plongé.e.s dans un monde hostile, il est réconfortant de se construire un nid douillet. Bien au chaud, bien installé, il fait meilleur d’y rester que de se confronter aux intempéries extérieures. Jugement des autres, difficulté à se faire comprendre, à entrer en désaccord… Pour ne pas subir cette violence du quotidien, trouver et entretenir un écosystème favorable semble permettre une bien plus agréable finalité. Sortir dans un bar qui répond à l’atmosphère que l’on veut. Tomber amoureux sur Tinder d’une personne qui « nous ressemble ». Garder un cercle d’amis avec qui partager. « C’est là que j’appartiens », « c’est ma place », « c’est la personne avec qui je veux faire ma vie ». Un sentiment d’appartenance, réconfortant, alors que nous nous tenons à part.

Rassuré.e.s sans doute que d’autres personnes pensent et disent comme nous, dans un monde où chacun.e sait que nous sommes tous.tes différent.e.s. des autres. Dorloté.e.s peut-être, parce que l’on partage des valeurs, alors que chacun.e en a sa propre conception et définition. Dans cette opulence de différence, nous continuons de diverger dans nos bulles, errant dans la nébuleuse, chacun de son coté. Il est rare de croiser des personnes « comme nous » et lorsque cela arrive, nous y attribuons une grande valeur et pensons qu’il s’agit de la source d’une grande richesse. Nous flottons dans ces milliers de bulles, incapables de saisir que nous ne sommes qu’un point dans une immense nébuleuse, la masse d’un corps s’agitant en fonction d’où ces sphères se déplacent. Tant que nous resterons au chaud dans ces bulles de confort, nos rêves continueront d’exister dans des mondes parallèles : ce vaste champ des possibles.

Se pose alors une question : n’est-ce pas cette même différence qui fait la rareté de chacun ? Autant de sources de richesses qu’il y a d’individus qui s’agrègent pour faire société ? C’est pourtant là le discours tenu lorsqu’on nous parle d’égalité, de fraternité, de liberté, de laïcité ou bien de démocratie. Mais la tête dit une chose pendant que nous agissons en contradiction. Nos interactions se résument à des échanges économiques, se déroulent dans des moments de consommation. On célèbre les victoires du passé plutôt que celle du quotidien…Le monde de demain n’existe pas tant que nous ne le bâtissons pas au quotidien.

Du chemin des possibles nous avons pris une impasse.

Nous sommes aujourd’hui au bord d’un précipice, nos erreurs du passé nous rattrapent plus vite qu’on ne peut les résoudre. Pris en entonnoir par des frontières, nous voilà tous.tes sur une même ligne, prêt.e.s à plonger. Une société forcée à l’horizontalité. Beaucoup trop ont déjà sauté, beaucoup trop se sont déjà fait sauter. Des âmes isolées voulant s’envoler pour un monde meilleur, tandis que les plus privilégié.e.s s’offrent les meilleurs places, poussant avec des boucliers le cortège de tête, qui essaye tant bien que mal de faire résistance. La pyramide est fêlée, elle s’écroule sur ses fondations. Il n’y a pas d’avenir, les tas d’urgences sont les seules à venir. Cette civilisation fait son deuil. Après le déni, la colère, l’expression, et la dépression, l’heure est à l’acceptation.

 

Cessons d’imaginer, nous savons bien où mène la spéculation. Nous ne pouvons plus fermer les yeux en acceptant collectivement l’individualité. Retournons-nous, faisons face à ce mur d’urgence. Individuellement, ouvrons grands les yeux pour que chaque point de vue soit partagé à la collectivité. Pour un panorama des possibilités et une vision d’ensemble faisant commune. Expérimentons chacun les moyens de se faire comprendre plutôt que de communiquer. L’heure vient à s’affirmer, à s’exprimer. S’émanciper. Dans le sens vrai, de la Poésie : l’action de faire, la création à son épicentre. Lâchons nos armes et prenons nos pinceaux. Séchons nos larmes et utilisons l’art, mélange de nos cultures. Devenons les artisans du monde de demain au quotidien. Radicalisons-nous. Prenons racine pour former ces vastes forêts et récifs colorés disparus des civilisations et des espèces que nous avons colonisé. Surtout, tenons-nous les mains, le choc va être rude, toutes les forces sont à mobiliser, il en faudra pour que la canopée de nos rêves pousse plus haut que le mur, et puisse entrevoir un nouvel horizon. Pour cela, il est important de défaire, pour se déconnecter, et maintenant de faire, pour s’enraciner et retisser du lien.

 

Sors de ta bulle,

Assied-toi donc,

Tend les mains,

Bien ancré au sol,

Nos pavés sont les graines,

Des bouteilles à la mer,

Sous les pavés la plage,

Demain commence Mains tenant.

Crédits photos:

  • Igloo d’ArchiDebout: ArchiDebout / DR

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