La démocratie rêvée #2 : « Libérer la parole pour agir ! »

TRIBUNESuite de notre essai/feuilleton « Nuit debout, la démocratie rêvée ? » reprenant un essai de Benjamin Sourice initialement publié sur son blog Mediapart, pour mieux comprendre Nuit Debout à la lumière des différents mouvements d’occupation de places en Europe depuis 2011.

Dans leur ouvrage, Le principe démocratie (Le Seuil, 2015) Ogien et Laugier nous disent que : « Cette revendication de démocratie réelle, et de réappropriation de sa voix propre par le citoyen, se présente ainsi, tout comme la désobéissance civile, comme une critique des failles, des lacunes et des mésusages de la démocratie. » Pour les auteurs, le renouveau des revendications démocratiques pourrait alors se circonscrire à un élément radical, à la base de tout, à « l’expression la plus extrême : celle qui défend l’idée de démocratie comme pluralisme radical », c’est à dire un espace de discussion où toutes les opinions puissent s’exprimer pleinement. Dans ce contexte de pluralisme idéologique, les auteurs notent qu’il est parfois difficile de mesurer la satisfaction de revendications  généralistes, telles qu’« abolir la finance », « rendre la planète vivable », « annuler les discriminations ethniques ou sexuelles ».

Ce qui compte n’est pas tant la satisfaction immédiate de ces demandes que leur positionnement comme constat d’une époque où tous ces maux s’accumulent, sans réponse, ni même, et de là vient la demande de démocratie, la possibilité de résoudre ces exigences dans le cadre institutionnel actuel capturé par la classe dominante. Ceux qui occupent les places souhaitent simplement que ces problématiques soient honnêtement débattues, et non plus ostracisées dans le silence et le mépris, tandis que les victimes et les premiers concernés voient leurs luttes être invisibilisées, pour emprunter un élément de vocable commun aux mouvements féministes et LGBT.

Cependant, se concentrer uniquement sur l’expression du pluralisme comme le font ces sociologues ne restreindrait-il pas la revendication de démocratie à la seule liberté d’expression et d’opinion ? Or, les réclamations émises sur les places ne peuvent se limiter simplement à la défense d’un espace de dialogue certes libre mais totalement circonscrit. Elles appellent au contraire un élargissement de cette sphère de liberté conquise à l’ensemble de la société et son institutionnalisation dans un nouveau cadre « réellement démocratique ». Tout en expérimentant cette libération de la parole, les personnes assemblées perçoivent également les limites performatives immédiates des mots et des slogans énoncés (« on parle, mais on n’agit pas »).

République
Place de la République – Alan Nuit Debout – DR

Dans tous les mouvements d’occupation, la parole précède et libère naturellement l’action, pour le moins elle permet d’en exprimer le désir, là où encore hier tout n’était que silence et résignation. Donc, pour répondre à celles et ceux valorisant l’action directe en premier lieu, nous nous amuserons de voir que l’agir passe souvent pour ces militants par l’inscription à la bombe de peinture de slogans et de discours sur les murs, drolatique passage de l’oralité à l’écrit chez un « peuple de casseurs-cueilleurs ! ».

Cette liberté de parole conquise, la question centrale devient alors celle du pouvoir et de l’expression pleine et entière de la puissance populaire attribuée à la « démocratie réelle ». L’action, placée dans la continuité du discours, et non dans son opposition, est donc ce désir de puissance essentiel aux hommes et aux femmes, cette affirmation positive de leur existence qui dessine un destin devenu affaire de tous, c’est-à-dire un bien commun. Ce désir partagé de puissance se traduit par un lien invisible entre les multiples formes d’expressions et d’actes sur la place occupée, que ce soit l’envie de faire masse pour expérimenter la force du nombre, à travers des « manifestations sauvages » ou d’autres actes de défi de l’autorité. Ce désir s’exprime également dans une dimension intellectuelle par la volonté d’apprendre et de transmettre le savoir, ou bien encore d’imaginer et d’expérimenter des contre-pouvoirs citoyens à travers les jurys ou l’écriture d’une constitution.

Après les attentats commis à Paris, nombreux furent les participants à témoigner au micro de la place de la République leur « soulagement de se retrouver » et leur joie de sortir de l’impuissance. Ils faisaient écho à un sentiment plus vaste expérimenté par les Français lors des marches-hommages aux victimes des attentats de janvier 2015. Des regroupements que le gouvernement s’empressa d’abord de récupérer, puis d’interdire après novembre 2015, pressentant peut-être la menace que constituait cette nouvelle multitude, ce peuple embryonnaire communiant dans les sentiments mais encore loin de penser, de se penser.

Suite (épisode #3, « L’irruption du peuple dans l’espace public« ) le mardi 12 juillet.

Crédits photos:

  • République: Alan Tréard / DR
  • La démocratie rêvée: Nuit Debout

Benjamin

Auteur, blogueur, agitateur.


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