Nuit Debout soutient Notre-Dame-des-Landes avec une anamorphose
Quand on refait la géographie de la France
Ce week-end, les 9 et 10 juillet aura lieu à Notre-Dame des Landes (NDDL pour les intimes) un festival musical et citoyen, alternant réunions, conférences, projection débats, et concerts, sur ce site hautement symbolique de l’opposition aux logiques capitalistes et technocratiques. Après le vote farcesque du 26 juin 2016, après le déni de démocratie du 49.3 qui a mobilisé les Nuitdeboutistes et plus généralement les opposants à la Loi Travail devant l’Assemblée Nationale le 5 juillet, il était important de marquer la convergence des luttes. De dire que le pont sur lequel les manifestants ont été parqués, assiégés, matraqués parfois, n’enjambe pas que la Seine. Il traverse la France vers d’autres lieux de conflits, lignes de front ou lignes de faille, là où le magma suinte et où la colère gronde.
Et ce jeudi 7 juillet, Nuit Debout a manifesté son soutien à Notre-Dame des Landes à coups de craies. Parce qu’ici, c’est aussi là-bas, et que Notre-Dame des Landes c’est un peu ici aussi. D’ailleurs certains vont s’y rendre à NDDL, et ce matin, c’était un peu comme un voyage immobile.
De la République à NDDL à coup de craies.
Il est dix heures trente, le soleil écrase déjà la place grise de sa chaleur, qu’un autre jour nous aurions accueilli avec bonheur mais qui ce matin laisse augurer des efforts plus difficiles, de longues suées froides, au bord de la fébrilité. Premier imprévu, un camion : le « bus de la création d’entreprise », qui s’est invité depuis quelques jours à République et occupe l’espace initialement choisi pour peindre. Habituellement installé à l’écart, il s’est placé devant la bouche de métro, semble-t-il à la demande de la Mairie qui saisit depuis deux semaines tous les prétextes pour rogner l’espace disponible. Il forme à la fois un rempart contre l’invasion et un paravent destiné à cacher à l’usager l’obscénité démocratique et libertaire. On l’a avancé comme un pion dans une partie d’échecs dont il ne voit que sa petite case et celles qui l’entourent immédiatement, sans poser de question aux pièces maîtresses qui fomentent victoires et trahisons, visant le mat, ou l’abandon. D’ailleurs la place ressemble bien à un échiquier aux dalles allongées, dont les intersections nous serviront de repères.
Une anamorphose pour soutenir la révolte
On installe sur un trépied un appareil photo qui permettra de vérifier l’effet d’optique produit par le tag. Le principe de l’anamorphose consiste à dessiner sur un support horizontal (le sol où nous salissons nos fesses, nos genoux, tous les soirs depuis fin mars) une image telle qu’elle soit vue par le passant comme si elle était apposée sur un support vertical, face à lui. Il s’agit donc de compenser les déformations d’angles de la perspective : plus le message est proche plus il est resserré, plus il est éloigné plus il faut l’élargir. Tout cela se prépare en amont sur un ordinateur ou du papier gradué, en prenant le dallage de la place comme matrice : matrice du dessin géométrique mais aussi matrice de l’expérience démocratique. Peindre une anamorphose, au-delà du message militant qu’elle peut véhiculer, c’est aussi faire confiance à la géométrie plutôt qu’à son œil, anticiper rationnellement ce qui sera vu par tous, en sacrifiant sa propre vision instinctive, individuelle, celle qui est la nôtre lorsque nous avons le nez collé à notre objet.
Les premiers coins sont repérés à la craie. Quatre dalles de large en bas, huit de large en haut. Quelques hésitations puisqu’il faut que cette diagonale paraisse verticale. On regarde dans le viseur, on se gratte la tête. Finalement c’est bien la géométrie qui a raison.
Une fois le cadre délimité, on trace les lignes principales au moyen d’un fil imprégné de pigment rouge. Une fois tendu entre deux repères, il suffit de le faire claquer comme une corde de guitare pour tracer un trait de plusieurs mètres d’un seul coup.
On relie les points, on relie les personnes. L’anamorphose d’aujourd’hui est un travail collectif, les repérages sont des appropriations, répétant le geste de chaque soir. C’est aussi passer par la dissemblance pour produire la ressemblance, écrire le faux pour que celui voit découvre le vrai. Un mouvement inverse, symétrique de celui par lequel les gouvernants confisquent le langage et produisent la tromperie.
Un message aux passants et au gouvernement
Une jeune femme en robe rouge passe. La même femme en robe rouge repasse, traverse la place dans l’autre sens, tenant serré contre elle le carton d’emballage d’un ventilateur. Nous brûlons sur le granit. Échange de sourires. D’autres passants moins pressés s’arrêtent, posent des questions, s’attardent. Petites parenthèses qui font que déjà, l’action d’un petit nombre déborde et essaime. Avant que le message ne soit lisible, nous sommes déjà visibles. Alors que les grands médias décrètent la mort de Nuit Debout, il se trouve encore des personnes pour venir le matin, fatigués de la veille, confirmer que cette place est à tous, et donc à nous puisque nous y sommes. Des personnes qui tracent à la craie un pont entre Paris et Notre-Dame des Landes, où le découpage électoral a permis de faire voter un projet d’aéroport dont ceux qui en subiront les nuisances ont pourtant dit, et nettement, qu’ils n’en voulaient pas. Mais la démocratie, selon les gouvernements qui se succèdent, consiste à nouer les opposants pertinents dans une masse d’approbations vaguement indifférentes et fort peu concernées. La démocratie, selon les gouvernants, consiste à faire gagner de l’argent aux patrons en détruisant les territoires de ceux qui vivent sur l’espace dévolu à un futur parking d’avions, un futur supermarché sans taxes, un futur volcan cracheur de fioul, une cataracte éructante de kérosène en feu, un futur furoncle sur le visage de la France.
Aujourd’hui à Paris, on dit à Notre-Dame des Landes : Résistance ! Solidarité ! Aujourd’hui nous sommes devenus des peintres. À ceux qui disent que Nuit Debout n’existe plus, on répond : anamorphose. Question de point de vue. Et vous, vous voyez quoi ?
Mathieu Brichard.
Crédits photos:
- nddl_2 appareil photo: Mathieu DR
- nddl_3 modèle: Mathieu DR
- nddl_4 mesures1: Mathieu DR
- nddl_5 mesures2: Mathieu DR
- nddl_1résultat: Nuit Debout DR
- nddl_7 Réalisation1: Mathieu DR
- nddl_8 Réalisation2: Mathieu DR
- nddl_9 Réalisation3: Sébastien DR
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