Nuit de Lyon. Du possible sinon j’étouffe
Une indocilité réfléchie
Il y a un point commun aux centaines de milliers de personnes qui participent aux Nuits Debout en France : le sentiment d’une nécessité, celui d’être gouverné autrement. Cette insurrection est alors plus qu’une manifestation oppositive. C’est non seulement résister, mais c’est aussi exister en acte.
Les Nuit(s) Debout nous invitent tous à résister autrement que par les règles de la domination, autrement que par la manifestation ou le vote qui ne produit rien d’autre qu’une force contre, là où il nous faut créer une altérité, une nouvelle manière de conduire nos conduites.
Résister ici et maintenant, c’est dans l’immanence, la matérialité du politique, un exercice d’endurance pour s’inventer au jour le jour. Ce qui est à l’œuvre sur nos places n’est rien d’autre qu’une indocilité réfléchie. Les impératifs du peuple qui se réunissent sont à prendre au sérieux : redéfinir le jeu politique actuel, où les dés sont toujours déjà pipés, en changeant le fond des structures qui nous gèrent, sclérosées par la toute puissance de l’empire des actionnaires.
Rendre au peuple ce qui lui appartient de droit, c’est à dire le choix du cadre qui le gouvernera, l’éduquera, le constituera en tant que citoyen.
La place Guichard de Lyon
Il ne faut pas sous-estimer dès lors l’effervescence des Nuits Debout. Leurs activités sont non seulement riches en possibilités de réflexion, d’échange et d’écoute, mais aussi incroyablement intelligentes dans leurs organisations. J’en veux pour preuve ce qu’il se passe depuis plus de dix jours place Guichard à Lyon.
Les lyonnais ont su s’imposer et tout faire pour prendre possession de cette place. Il n’y a plus aucune force de police présente, le mouvement s’est installé durablement, nuit et jour. Des cuisiniers travaillent dur pour donner à manger à tout le monde à toute heure. Et ça marche.
La place Guichard a, par ailleurs, tous les traits d’un symbole fort. Elle fait sens à la fois par sa géographie, elle jouxte la Bourse du Travail avec sa gigantesque fresque, et par son urbanisme, en son centre se trouve un amphithéâtre en béton. Voilà l’Agora lyonnaise, une Agora indestructible à l’image de notre volonté de changement. Se crée autour de l’Agora un ensemble de groupes de réflexion afin d’analyser plus profondément des questions dont certains sentent la nécessité de faire émerger : l’organisation du travail, l’éducation populaire, la place des médias, la santé, le féminisme, l’intermittence, l’alimentation, l’université, etc.
La place Guichard rend ainsi possible la démocratie car elle donne la parole à tout le monde et rend possible l’analyse de cette parole. Rappelons la définition de la Démocratie qu’a donnée Paul Ricoeur : « Est démocratique une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêts et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions [Agora], l’analyse de ces contradictions [groupes de réflexion] et la mise en délibération de ces contradictions [Assemblée Populaire] en vue d’arriver à un arbitrage. »
Nuit Debout n’est qu’un début
Et après ? Demandent les plus sceptiques. Quels sont vos objectifs politiques ? Les élections 2017 ? Qui est le porte-parole ? L’intellectuel ? Le journaliste ? Le lycéen ? L’étudiant ? La féministe ? Le cuisinier ? Le sans-domicile ? Mais que peut réellement Nuit Debout ? STOP ! Quand on étouffe depuis trop longtemps, le premier réflexe est d’abord de s’ébrouer.
L’Agora est cet espace, nous l’avons montré, où les citoyens reprennent leur souffle. Cela fait du bien, cela rend heureux et cette nouvelle énergie est heureusement bonne à prendre. Mais du possible ? C’est précisément ce qu’on invente. Le mouvement a besoin de la force du nombre, de plus de souffle s’il veut dans un premier temps balayer cette loi dont on a déjà assez prononcé le nom. Non à la loi El-Khomri… et à son monde ?
« Fakir et la commission convergence des luttes invitent à une soirée-débat sur L’étape d’après » le mercredi 20 avril à la Bourse du Travail. L’enjeu est de se poser la question d’une voie possible pour le mouvement : nouer de nouvelles alliances stratégiques. Et il va bien falloir se lier si la sédition aspire à supprimer ce monde bien en place qu’elle ne veut pas. Et affirmer un monde qu’elle veut pour tous. Qu’est-ce à dire si ce n’est que toutes ces places occupées, comme l’Agora, sont déjà la manifestation d’une révolution politique ! Que peut-on espérer de Nuit Debout ? A nouveau de l’inspiration, entendue à la fois comme moment de la respiration empêchée par longue asphyxie et comme l’émergence d’idées mobilisatrices, bref du possible.
Donc, n’ayez crainte : un vent se lève.
Anthony et Maxime Nuit Debout Lyon
Crédits photos:
- ND Lyon Etre actif: Nuit Debout Lyon
- ND Lyon Fresque Bourse du travail: Nuit Debout Lyon / DR
- ND Lyon Plan Pl Guichard: Nuit Debout Lyon