Quand va-t-on enfin parler d’austérité ?

M. Macron est président de la République depuis 2 mois et, s’il est bien trop tôt pour tirer un bilan de ses actions, il est temps de dénoncer sa politique pour ce qu’elle est : une austérité de la pire espèce.

 

Le psychodrame politique de la semaine dernière a eu pour sujet, une fois n’est pas coutume, l’armée française. Petit rappel des faits, le chef d’État major des Armées, le général cinq étoiles de Villiers, s’est plaint à huis-clos devant une commision de l’Assemblée nationale, de la réduction des budgets militaires annoncée quelques jours plus tôt par le gouvernement. Ses propos se sont retrouvés dans la presse; le chef de la Grande Muette a parlé ! Il n’en fallait pas plus pour que M. Macron voie rouge et le pousse à la démission après l’avoir vertement tancé à plusieurs reprises dans des déclarations publiques : “Je suis votre chef”, a-t-il ainsi rappelé.

 

Personnellement, la réduction des budgets de l’armée ne me fait ni chaud ni froid; en tant qu’anti-militariste convaincu, cela me fait même un peu plaisir. Mais cette petite passe d’arme est révélatrice de la politique de M. Macron, et surtout de sa façon de la mettre en scène. Tout au long de la campagne il a promis à tous les secteurs que leur budget serait sanctuarisé. La recherche et l’enseignement supérieur, sanctuarisé ! La culture, sanctuarisé ! L’éducation nationale, sanctuarisé ! L’armée, sanctuarisé ! Etc. Le tout enrobé de déclarations d’intention pleines de réalisme, d’humanisme, de modernisme et autres -ismes bon ton – à ne pas confondre avec les -istes honnis : populiste, protectionniste, raciste etc. (Le lecteur attentif remarquera que tout -isme peut être transformé en -iste au prix d’une petite personnification, révélatrice de la tentation totalitaire de leurs champions, à l’opposé de la dimension jupitérienne de notre président nouvellement élu).

 

Tout était bon à promettre pour se faire élire par le peuple de gauche “et en même temps” par celui de droite, pour plaire aux classes populaires, aux jeunes, aux classes moyennes “et en même temps” au pouvoir de l’argent, à la finance et à Bruxelles, pour être, ou ne pas être, de gauche “et en même temps” de droite.

 

Mais aujourd’hui qu’il est en fonction et qu’il bénéficie d’un état de grâce alimenté par la béatitude des éditorialistes mondains et d’une majorité absolue et obéissante à l’Assemblée nationale, M. Macron choisit enfin ses priorités. Ce sera économies tout azimut, ou en le disant plus franchement : l’austérité.

 

Ainsi, la Recherche et l’Enseignement supérieur voient leur budget réduit de 331 millions d’euros, la Culture de 50 millions, l’Éducation nationale de 75 millions, l’armée de 850 millions… Sauf que, suite au psychodrame sus-cité, le ministère des Armées sera finalement le seul ministère qui bénéficiera d’une augmentation de budget en 2018. Les autres devraient donc voir leurs budgets gelés ce qui confirme la politique d’austérité. Et dans le même temps, le point d’indice des fonctionnaires est gelé lui aussi, le jour de carence est rétabli et les collectivités locales sont mises au régime sec, avant même de devoir renoncer à la taxe d’habitation – promesse du candidat Macron qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec du populisme…

 

Le nouveau monde, le renouveau de la politique, la jeunesse au pouvoir, persiste donc dans les erreurs de ses prédécesseurs. Le “réalisme” néo-libéral veut que l’État respecte la “règle d’or” et ne creuse pas sa dette; l’État doit donc faire des économies. Qu’importe que le FMI, l’OMC et l’OCDE rappellent à longueur de publications et de rapports qu’à long terme, l’austérité nuit à la croissance et à l’économie des pays, qu’importe que l’austérité ait lamentablement échoué à sauver la Grèce, et qu’importe qu’elle ait plongé les Britanniques dans la misère sous Thatcher.

 

Dans ce dernier cas, le pays a été sauvé par la présence de la City, sorte de Las Vegas européenne de la finance et des spéculateurs de tous bords jusqu’au Brexit. Rappelons que si la crise des subprimes aux États-Unis en 2008 s’est transformée en crise financière planétaire et a conduit à la crise des dettes nationales européennes, c’est en partie grâce à la City, qui a permis aux établissements financiers américains de se renflouer en faisant peser le prix de leurs folies spéculatives sur les dettes nationales européennes. Qu’à cela ne tienne, le nouveau pouvoir réaliste et moderne s’emploie avec énergie et force avantages fiscaux (transformation de l’ISF en IFI, impôt sur la fortune immobilière, abandon de la taxe sur les transactions financières, allègement des charges sur les très hauts salaires…), à attirer les banquiers de la City à Paris, puisque Londres ne fait désormais plus partie de l’Union européenne.

 

M. Macron et ses soutiens se sont fait élire sur leur jeunesse et sur la “fraîcheur” de leurs idées et de leurs méthodes, mais en matière d’économie, leur pensée s’abreuve aux théories de la “science” économique néo-libérale qui, des débuts de la mondialisation à la crise financière de 2008, a creusé les inégalités, réduit l’espérance de vie en bonne santé, accentué le changement climatique, relancé la course à l’armement et fait le lit des nationalismes et autres régimes autoritaires, des États-Unis à la Hongrie en passant par la Russie, la Turquie, les Philippines, l’Inde, la Pologne, la France en ayant réchappé de justesse.

 

En France, tous les cinq ans, une nouveau premier ministre monte en première ligne annoncer au peuple que le président ne pourra pas respecter toutes ses promesses de campagne parce que l’État est ruiné – “en faillite” disait Fillon en 2007. En 2012 c’était la faute de la crise, cette année c’est un budget mal équilibré, “insincère” (sic), et un “trou” de 9 milliards d’euros laissé par le précédent gouvernement. Ni une ni deux pour le nouveau pouvoir volontariste, il faut dégainer l’austérité – mais ne surtout pas l’appeler ainsi.

 

M. Philippe a bien parlé de rigueur, mais dans l’univers de la communication reine, le mot d’austérité est à proscrire. Heureusement pour le gouvernement, l’été est là, les rédactions sont en sous-effectif, les éditorialistes en vacances. Il suffit donc de montrer M. Macron en tenue d’aviateur, M. Macron faisant du tennis, M. Macron se faisant hélitreuiller sur un sous-marin, les bromances de M. Macron avec MM. Trudeau, Trump et Netanyahou, ainsi que la prestance de sa jeunesse face à la vieillesse engoncée des leaders mondiaux présents au G20, pour qu’aucun journal ne s’intéresse à sa politique économique et au dogme qui la sous-tend, à savoir le néo-libéralisme le plus décomplexé.

 

Et cette semaine, le gouvernement annonce la réduction de l’APL… On est d’accord pour parler d’austérité maintenant ?


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