Le Front social, un réveil prometteur

Le 8 mai 2017, au lendemain de l’élection de Macron, une manifestation était organisée par un rassemblement de syndicalistes et de divers collectifs militants. C’est durant l’entre deux tours que ce rassemblement a pris pour nom « Front Social ». Malgré l’agression du cortège par une police qui paraissait n’avoir pas encore digéré le score minable de l’extrême-droite, cette manifestation a rencontré un succès plus qu’encourageant ; en effet, le nombre de participant.e.s (environ 5000 personnes) a triplé par rapport à la manifestation du « Premier tour social » organisée le 22 avril (visionner la vidéo des discours). Depuis, la liste de syndicats, d’unions locales, d’unions départementales et même de fédérations qui se rallient au Front Social ne cesse de s’allonger.

Le 16 mai, une assemblée générale francilienne a confirmé que l’élan dépassait largement le cercle syndical. Ainsi, on a pu y croiser des représentant.e.s du réseau des chômeurs de Béziers, une délégation  de quatre personnes de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, des membres de la Cantine des Pyrénées, des étudiant.e.s de Paris 7 et de l’EHESS et plusieurs acteurs/actrices de collectifs issus du printemps 2016, dont Nuit Debout, Génération Ingouvernable, la Coordination anti-répression, sans oublier les précieux Street Medics.

D’où vient le Front social ?

Initié par plusieurs syndicalistes refusant le choix de leurs centrales d’abandonner le combat contre la Loi Travail et son monde après la manifestation du 15 septembre 2016, le Front Social a commencé à prendre forme lors d’un meeting organisé à Saint Denis le 16 février 2017. Il s’agissait de souffler sur les braises encore bien vives du printemps dernier. Ainsi, alors que dans la rue, les lycéen.ne.s et les jeunes des quartiers populaires demandaient #JusticepourThéo et que la place de la République accueillait un mouvement #StopCorruption, il fut décidé d’investir la rue la veille du premier tour des élections présidentielles : le « Premier tour Social ». Dans l’appel diffusé à l’époque, on pouvait lire :

« Imposons nos choix, crions haut et fort que nous comptons, que nous décidons, que nous serons une force incontournable. […] L’heure n’est plus au constat, unissons-nous le plus largement possible et agissons tous ensemble pour construire ce premier tour social. Ce n’est qu’un point de départ, vers une société où nous prendrons possession des outils de création de richesses. Tous ensemble, écrivons les nouvelles pages de notre histoire sociale. »

En Île-de-France ce sont les animateurs de Sud-Poste 92 et de la CGT InfoCom qui font office de locomotives. Les postier.e.s ont mené des grèves prolongées et parfois localisées sur leur département afin de titulariser des collègues, combattre la détérioration des conditions de travail, un management inhumain et les fermetures de bureaux. Malgré la répression acharnée dont ils/elles ont été l’objet, ces postier.e.s ont obtenu nombre de victoires et la conscience que les enjeux de leurs combats dépassaient largement la simple lutte de défense des travailleurs. Elle/Ils ont progressivement adopté une démarche de mobilisation interprofessionnelle, avec une implantation enseignante qui a été essentielle pour lancer une mobilisation dans les lycées exclus des dispositifs d’éducation prioritaire, sous forme de grèves animées par un collectif de syndiqué.e.s et de non-syndiqués « Touche pas à ma Zep ».

À la CGT, la fédération InfoCom s’est distinguée dès les débuts du mouvement contre la Loi Travail par des affiches combatives, comme celle contre les violences policières, qui fit alors grand bruit.

affiche du syndicat info-com cgt

Les liens avec Nuit Debout Paris-République

Les comités d’action

La plupart des acteurs/actrices et des participant.e.s au Front Social, vous avez pu les croiser  place de la République dès les premières nuits d’avril 2016. Certains d’entre elle.eux avaient participé au meeting du 23 février 2016, qui accoucha de l’idée d’une « Nuit Debout » – que beaucoup souhaitaient « rouge » – à la suite de la manifestation du 31 mars. Durant les premières semaines d’occupation de la place, c’est le collectif Convergence des Luttes qui a assuré les nombreuses tâches qui ont permis à Nuit Debout de s’élancer et d’offrir l’espace au sein duquel nombre de commissions ont vu le jour. C’est ainsi qu’une commission Grève Générale s’est progressivement formée. Elle organisa de nombreuses actions de soutien des noctambules de République aux travailleurs en lutte dans les gares, les facs, les entreprises et les hôpitaux.

Aujourd’hui, on retrouve au Front Social les comités d’action qui se réunissaient à la Bourse du Travail, les commissions Actions et Quartiers Populaires qui finirent par se coordonner autour d’un pôle unique appelé Lutte Debout ; ce collectif était chargé de poser la question d’Assemblées de luttes sur la place de la République à la fin de chaque manifestation.

Manif 28 avril

Les caisses de soutien

À la suite d’une assemblée organisée sur la place le 28 avril autour de la question « comment construire la généralisation de la grève ? » Philippe Martinez de la CGT a été interpellé sur la nécessité de lancer une caisse de grève inter-syndicale en mesure de soutenir un mouvement de grève générale. Cette proposition resta sans suite jusqu’à ce que CGT InfoCom lance une caisse de soutien qui rassembla pas moins de 200 000 euros. Un véritable trésor de guerre qui fut distribué aux équipes combatives, quelles que soient leurs étiquettes.

C’est donc aussi à travers la mise en pratique d’initiatives susceptibles de faire déborder la lutte des cadres traditionnels des organisations syndicales que Nuit Debout a contribué au mouvement contre la Loi Travail. Il est à noter qu’avec l’aide de la CNT, une équipe sur la place lança aussi une modeste caisse de soutien aux grévistes et réprimé.e.s, qui finit par redistribuer plus de 7000 euros. Malgré le passage en force de la Loi Travail, c’est une véritable solidarité entre et avec les syndicats qui s’est nouée pendant cette bataille lors des manifestations et des nombreuses Nuit Debout de France.

L’AG interpro-interluttes

En mai, les militants de la compagnie Jolie Môme, de Sud-92, des comités d’action, du réseau intersyndical enseignant Emancipation, avec des représentants des commissions Grève Générale, Convergence des luttes, Action de Nuit Debout lancèrent une Assemblée Générale interpro-interluttes qui se réunit jusqu’en septembre à la Bourse du Travail de Paris. Ces AG avaient pour but de rassembler des syndicalistes de différentes fédérations, des travailleurs.ses (titulaires et précaires), des usager.e.s et tou.te.s celle.eux susceptibles de se retrouver dans une démarche d’auto-organisation en assemblées. Elles ont débouché sur de nombreuses actions solidaires, telles que le soutien aux différentes grèves qui démarraient un peu partout.

Cette dynamique offrit un espace de dialogue pour tou.te.s celle.eux qui participaient au cortège de tête, qu’elles/ils soient syndiqué.e.s ou autonomes, uni.e.s par la volonté de défiler en cortèges intersyndicaux et interprofessionnels locaux. Malgré la répression policière, cet espace a toujours défendu activement le droit de manifester librement et a donné naissance au collectif anti-répression qui – après avoir produit un tract « sortez couverts » – a été amené à contribuer au récent rapport d’Amnesty International et à écrire une lettre ouverte au Préfet de police de Paris.

 

Un réseau national

Après la dernière manifestation intersyndicale contre la Loi Travail du 15 septembre, l’AG interpro proposa notamment de rejoindre Amiens le 11 janvier 2017. S’y retrouvèrent 10 000 personnes venues de toute la France pour soutenir les Goodyear. Dans cette entreprise menacée de licenciement collectif, une équipe combative incarnée par Mickaël Wamen organisa la résistance. La séquestration pacifique de cadres a été poursuivie en justice par l’entreprise et l’État, celui-ci s’acharnant malgré l’abandon des poursuites par l’entreprise, ce qui aboutit en première instance à des peines de prison ferme ; ils ont finalement écopé de prison avec sursis en cour d’appel. Ne s’estimant pas assez soutenus par la CGT confédérale, ils avaient organisé une protestation nationale, avec constitution de comités de soutien partout en France, afin de ne pas laisser passer sans réaction cette manœuvre d’intimidation contre le mouvement syndical.

Aujourd’hui, il semble que toutes les convergences et les solidarités  interprofessionnelles, intergénérationnelles et transpartisanes qui se sont construites un peu partout en France ont porté leurs fruits. Le Front Social se constitue dans plus d’une douzaine de villes (Bordeaux, Lille, Lisieux, Lorient, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Paris, Saint-Nazaire, Rouen, Toulouse et Tours), dans deux départements (Dordogne et Haut-de-Seine), et a construit des liens fraternels avec les luttes sociales et anticolonialistes en Guadeloupe. Au total, ce sont près de vingt collectifs « Front Social » qui ont émergé en moins d’un mois. Ils se sont donné rendez-vous le 10 juin à Paris pour une première rencontre nationale et  le 19 juin pour un rassemblement devant l’Assemblée Nationale (18h). Lors de la rencontre nationale, les discussions se concentreront sur la riposte aux attaques du Gouvernement Macron, la position commune et le fonctionnement interne du Front Social (MAJ : visionnez l’intégralité de la rencontre sur Youtube).

Approfondir la convergence des luttes, mais pas seulement !

Durant le mouvement du printemps 2016 contre la Loi Travail, aussi bien les meetings dans les facs que les échanges sur la place publique firent ressortir le besoin de trouver les chemins à suivre pour combiner des causes, des luttes et des espoirs qui demeuraient trop souvent  isolé.e.s les un.e.s des autres. Par exemple, la question de l’environnement fut portée par la commission Écologie Debout, en lien avec la lutte contre le projet Europa City du triangle de Gonesse, le centre européen de déchets nucléaires à Bure et, bien évidement, celui de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, où est organisé un grand rassemblement les 8 et 9 Juillet 2017. Quand y résonna le chant des bâtons le 8 octobre 2016, le meeting de soutien regroupait l’ACIPA et des zadistes, mais également des représentants de CGT Vinci siège (depuis membre du Front Social), les collectif Urgence notre police assassine et Ali Ziri. Les participant.e.s ont à cette occasion pu constater que les points de convergence étaient nombreux. C’est ainsi qu’un important cortège de la ZAD de NDDL vint manifester à Paris le 19 mars à l’occasion de la marche pour la justice et la dignité organisée par les familles victimes des violences de l’État.

À la réunion du Front Social deux mois plus tard, des représentant.e.s de la ZAD ont appelé à la construction d’une nouvelle force. Ainsi, c’est par l’articulation des luttes contre les diverses formes d’oppression qu’il semble possible de combattre efficacement Macron et son monde.

Structuration et inclusivité du Front social

Lors de la réunion du 16 mai, a été évoquée la mise en place d’un collectif d’animation national. Cette décision reste à valider à l’occasion de la rencontre nationale du 10 juin. Il est également question de mettre en place un espace de travail numérique commun. Cependant, il n’est pas souhaitable que le Front Social engage la construction d’une organisation, ni même d’un mouvement uniforme. Il s’agit plutôt de faciliter la coordination de comités de lutte un peu partout en France. Se pose alors la question des stratégies de construction locale. À première vue, on est en droit d’espérer des compositions de forces qui dépasseront largement le milieu syndical.

Outre le fait que la ZAD de NDDL ait envoyé une délégation à la réunion du 16 mai à Paris, les différents collectifs du Front Social paraissent dès lors largement ouverts, tels celui de Saint-Nazaire qui regroupe aux côtés des syndicats Sud PTT et FSU des militant.e.s politiques du PCF, du NPA et de la France Insoumise, ainsi que des participant.e.s de Nuit Debout, une association de défense des LGBT, des antifascistes et le comité de soutien à la ZAD de NDDL. À Nancy, un Front Social local s’est créé à la suite d’une AG de rue le 8 mai à 10h ; il s’enracine au travers de plusieurs pratiques dont des cantines de rue, des manifestations et des AG de rue qui rassemblent aussi bien des organisations politiques et syndicales que des individus sans étiquette.

Lutter, échanger, construire

Zones de Solidarité Populaire, articulation entre manifestations et assemblées de luttes, actions de blocages, marches-actions, cantines et fêtes de quartier, développement de nouvelles ZAD, alternatives écologistes, médias indépendants et alternatifs… Toutes les modalités innovantes expérimentées l’an dernier vont certainement trouver au sein du Front Social un second souffle. La réunion francilienne qui s’est tenue mercredi 7 juin a confirmé la tendance du Front Social à s’ouvrir et à soutenir toutes sortes d’initiatives extérieures à l’action syndicale.

La participation d’étudiant.e.s, de collectifs issus des quartiers populaires, de zadistes et de précaires indique que l’accent est mis sur la nécessité de construire et de renforcer les liens qui permettront à tous de produire des alternatives concrètes et solides au monde de Macron. Héritage de Nuit Debout ? Les partis politiques ne sont pas admis au sein du front, afin d’éviter toute forme de concurrence interne destructrice et de permettre aux individus non-organisés d’agir en dehors des cadres classiques de « la politique ».

Photo prise le 19 mars 2017. Crédit : ZSP18 – Zone de Solidarité Populaire – Paris 18e @ZSP18 – https://www.facebook.com/pg/ZSP18/

En associant le développement de dynamiques très localisées avec l’émergence d’une force unitaire à l’échelle du pays (outre-mer compris), le Front Social ne se résume pas à la simple convergence des luttes qui a permis à Nuit Debout de s’élancer. Il est le fruit des enseignements du printemps 2016 : la prise en compte du pouvoir de mobilisation des réseaux sociaux, la nécessité de dépasser les clivages partisans, une stratégie de communication basée sur la pédagogie, la réappropriation de l’espace public (rural et citadin) ainsi que la volonté de s’inscrire plutôt dans un effort de construction et de soutien aux initiatives locales que dans la simple opposition à la politique antisociale du gouvernement. C’est sans doute pour cette raison que dans de nombreuses localités, les Nuits Debout encore actives rejoignent un Front Social qui leur garantit indépendance et autonomie.

Pour une assemblée de lutte

À Paris, des participant.e.s à l’Assemblée de Coordination de Nuit Debout République ont relayé les appels au premier tour social dès le mois de février ; ils/elles ont organisé quatre assemblées de lutte les 12 février, 2 avril, 16 avril et 30 avril et ont publié un appel à l’émergence d’une campagne de résistance basée sur l’action locale. On pouvait ainsi y lire que « la solidarité contre la répression étatique doit être considérée comme un rempart composé de lieux de mobilisation communs à construire. Développons ces lieux, ramifions ces réseaux. Unissons nos efforts contre les violences et les crimes de l’État et du système capitaliste, et renforçons nos alternatives ». Depuis, un collectif Pour une Assemblée de Lutte s’est créé sur Paris.

L’objet de cette initiative est de participer à la construction d’espaces communs qui permettraient aux forces sociales en lutte de se retrouver, d’échanger et d’agir ensemble ; sortir de l’émiettement militant actuel ; penser les initiatives posées par chacun.e en tenant compte du calendrier des autres ; investir les espaces existants (Front social, Nos droits contre leurs privilèges, Génération ingouvernable, etc.) afin de renforcer notre capacité à faire largement et ensemble ; arriver à construire un cadre commun (pas nécessairement unique) qui nous permettrait de moins enchaîner les réunions dans les semaines, de mieux nous retrouver, et d’investir davantage les différents luttes que nous menons et rencontrons ; proscrire les journées où il y a 20.000 trucs en même temps !

Il s’agit également de contribuer à l’élaboration d’alternatives locales et de ponts entre Paris, ses quartiers populaires et sa banlieue, par l’organisation d’assemblées de rue, de fêtes de quartier et d’actions ciblées avec de nombreux collectifs et mouvements, dont le Front Social.

Nous vous invitons à nous (re)joindre en nous contactant via cette adresse: PouruneAssembleedeLutte@riseup.net

Facebook : https://www.facebook.com/Pouruneassembleedelutte/

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Liste des organisations et collectifs membres du Front Social

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Agenda

Samedi 10 juin :

Mercredi 14 juin : Assemblée de lutte – marche – action

  • 18h: devant le Conseil d’État pour protester contre le recours aux ordonnances pour imposer la destruction du code du travail.

Vendredi 16 juin : Meeting « Face à la répression : On n’est pas tout seul ! »

Samedi 17 juin : 10ème anniversaire de la mort de Lamine Dieng 

  • 10h30: projection
  • 12h00: conférence de presse
  • 14h00: marche
  • 18h00: concert

Lundi 19 juin : Rassemblement du Front Social « Contre Macron et ses ordonnances ! »

Du lundi 19 au dimanche 25 juin : Premier anniversaire de l’occupation du Bois Lejuc

Lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires. Goûter d’anniversaire interminable au cœur du Bois Lejuc, à Mandres-en-Barrois (55).

Vendredi 7 et samedi 8 juillet :

Samedi 8 et dimanche 9 juillet :

Forums-débats, animations, stands, concerts… Pour rejoindre les équipes de bénévoles, vous pouvez prendre contact avec benevoles@notredamedeslandes2016.org (même adresse que l’année dernière)

Crédits photos:

  • Manif 28 avril: Gazette Debout

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