Banlieues Debout : construire des ponts avec les quartiers populaires

Benjamin Sourice est un ancien journaliste, blogueur et acteur associatif de métier. Il a participé à la préparation et à l’animation de Nuit Debout, à travers le collectif les Engraineurs. Il vient de publier un nouvel ouvrage, La démocratie des Places, dans lequel il s’interroge sur la vitalité de ces mouvements citoyens tels que Nuit Debout, cherche à montrer les lignes de tension entre l’utopisme démocratique et le pragmatisme radical, et tente de relever le plus grand défi de l’idéal démocratique : réconcilier les opposés. Nous avons publié l’un de ces textes sur le féminisme à Nuit Debout et sur la commission Jury Citoyen. Aujourd’hui, la question des quartiers populaires, des Banlieues Debout, avec Almamy Kanouté.

Livre La Démocratie des places, Benjamin Sourice

 

« Par rapport à Nuit debout, dans les quartiers populaires, les ressorts de l’engagement sont différents », Almamy Kanouté

Almamy Kanouté vient de Fresnes. Âgé de 36 ans, il est éducateur dans sa ville auprès de jeunes des quartiers populaires, mais c’est aussi un militant chevronné avec de nombreuses initiatives politiques à son actif, toutes proposées en dehors du cadre des partis politiques. Il fait partie d’une génération de militants indépendants, solidement ancrés sur le terrain et farouchement méfiants à l’égard des professionnels de la politique. Il a également un franc-parler qui marque ses auditeurs : « Pendant longtemps, j’ai boycotté les questions politiques, tous des menteurs à mon sens, puis à un moment, j’ai décidé de passer de la critique à l’action, de me réapproprier les choses plutôt que d’abandonner tout ça aux cols blancs[1] En 2008, Almamy lance sa liste citoyenne « Fresnes à venir » pour les municipales et recueille 11,11 % des suffrages. Le voilà désormais élu de la République. De cette expérience, il dresse un constat doux-amer : « Vu de l’intérieur, on a le sentiment d’une supercherie, d’un simulacre de démocratie chapeauté d’en haut, mais avec les listes citoyennes, on a réussi à diffuser l’idée qu’un braquage politique était possible pour se réapproprier la ville. »

Quand il arrive dans Nuit debout, il trouve sur la place « une ouverture rafraîchissante avec des personnes qui se rencontrent pour débattre et partagent les mêmes idéaux démocratiques » qui sont ceux qu’il défend depuis plusieurs années. Ce rassemblement correspond aussi d’après lui « à un besoin de résistance qui nécessitait d’inventer de nouvelles formes de militantisme, un militantisme qui cesse de demander l’autorisation pour agir, pour occuper, capable d’utiliser l’effet de surprise pour mener ses actions ». D’après son expérience, « les choses se provoquent, c’est pareil pour la convergence des luttes entre Nuit debout et les quartiers populaires, il faut briser l’attentisme et il ne faut pas avoir peur des frictions », s’enthousiasme Almamy. Cependant, comme d’autres personnes issues des quartiers populaires, il n’aime pas que « les banlieues soient vues sous un prisme exotique », une caution pour mettre de la couleur dans un mouvement social, ou comme il a pu l’entendre à Nuit debout « pour faire vraiment peur au pouvoir », tel un épouvantail à casquette rembourré aux préjugés.

À l’occasion de Nuit Debout, notamment lors des tentatives d’extension du mouvement Banlieues debout, quelques passifs politiques et militants ont ainsi été mis sur la place publique. Mohammed Mechmache du Collectif Pas sans Nous, fondateur d’AC le Feu et élu EELV au conseil régional d’Île-de-France, lança sur la place de la République un provoquant : « Où étiez-vous en 2005 ? », en référence aux émeutes urbaines après la mort de Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique après une course poursuite avec la police le 25 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois. « Pendant les 21 nuits de révolte sociale qui ont suivi, alors que les jeunes de ces quartiers revendiquaient leurs droits et luttaient contre les discriminations, on s’est senti bien seuls et isolés[2] », répétera ensuite M. Mechmache au journal Reporterre.

À Marseille, une tentative de délocaliser Nuit Debout vers les quartiers Nord de la ville, dans la cité des Flamants, provoqua aussi quelques mésententes et incompréhensions entre les participants comme le relata un reporter du Monde : « Ici, cela fait trente ans qu’on est debout. On n’a pas attendu pour combattre la précarité, les violences policières, les injustices sociales… Vous venez libérer notre parole ? Mais notre parole est libre. Personne ne l’entend parce qu’elle est censurée et stigmatisée[3] », expliquait un militant de ces quartiers marginalisés. D’autres avancèrent que la Loi travail n’inquiétait que ceux qui avaient peur de perdre leurs avantages, laissant de marbre les relégués sociaux, abonnés aux emplois précaires ou chômeurs. Selon le militant de Fresnes, si les gens des quartiers populaires ne se sont pas plus engagés dans Nuit debout, c’est d’abord « parce que les ressorts de l’engagement sont différents, il y a besoin de démontrer que l’on est dans l’action pour séduire, pour créer une dynamique. Parler, marcher, ça ne fonctionne pas ».

Pourtant, au-delà de la question sociale, les commissions thématiques furent nombreuses et visibles, impliquant des problématiques issues de la réflexion et de l’expérience d’habitants et de militants des quartiers populaires, comme les problèmes de contrôle au faciès et le « racisme d’État » ou encore la question des bavures, avec la présence active sur la place de la République du collectif Urgence notre police assassine emmené par Amal Bentounsi dont le frère fut tué d’une balle dans le dos par un policier désormais condamné. « Nos projets d’éducation populaire, nos luttes contre les violences policières, notre soutien au peuple palestinien, contre les racismes et en particulier contre l’islamophobie forment chaque jour des lutteurs dans nos quartiers. Chaque engagement a ses priorités et ses points de convergence. Il n’est pas étonnant que cela soit en partie par les luttes contre les violences policières que la jonction avec Nuit debout s’opère le plus facilement[4] », soulignent les rédacteurs du blog Quartiers libres, même si l’ensemble des thématiques citées furent l’objet de commissions à Nuit debout.

Pour Almamy Kanouté, des ponts ont été lancés mais la dynamique de cohésion n’est pas encore aboutie. Comme s’adressant aux absents, il pense que : « Nuit Debout aurait pu être l’occasion de voir qu’il y a une sincérité dans l’engagement de beaucoup, qu’il peut y avoir des disputes et qu’on peut les résoudre, qu’on apprend à se connaître par l’action et la discussion. Ce qui compte, c’est de trouver des gens avec qui l’on partage les mêmes dynamiques, et non pas de se confiner à un cadre, il faut briser ces frontières, ne pas croire qu’on est si différent. » Sa conclusion sur Nuit debout ? « C’est un mouvement qui vient d’en bas. C’est la grande leçon, si les choses doivent changer, ça partira du local ». Il défend l’absence de leadership qui a « déstabilisé les récupérateurs habituels. Ce qui ressort de Nuit debout, c’est un nouveau souffle politique basé sur un refus commun de la domination des structures et de l’individualisation, on est à la fois dans la recherche d’une certaine coordination tout en permettant une autonomie locale. Maintenant que l’on a appris à se connaître, à se faire confiance, il faut que cela aboutisse sur des actions communes. La responsabilité est désormais dans les mains de chacun pour continuer à construire des ponts ».

[1]          . Almamy Kanouté, participant à Nuit debout République à Paris, propos recueillis le 1er juin 2016.

[2]          . Ibid.

[3]          . Gilles Rof, « À Marseille, Nuit debout se heurte durement à la réalité des quartiers nord », Le Monde, 24 avril 2016.

[4]    . « Nuit debout pas sans nous », blog Quartiers libres, 25 avril 2016.

Crédits photos:

  • banlieues-debout: DR

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