Le Front Républicain contre le Front National ?

Tribune – On fait une nouvelle fois appel à ce fameux « Front Républicain » censé faire barrage à la tyrannie, la barbarie, et le reniement de toutes nos valeurs républicaines. Très peu pour moi. L’aveuglement général est tel que personne ne semble se rendre compte que la politique proposée par Emmanuel Macron est le meilleur terreau pour les idées du FN. Cette politique qui se revendique du pragmatisme est en fait une apolitique, ou comme dit Frédéric Lordon, une post-politique. Une politique qui se dit ancrée dans le réel. Mais la réalité économique, dont cette politique tente de nous faire croire que rien ne peut nous extraire (le fameux TINA, « There Is No Alternative » de Margaret Tatcher), résulte des décisions prises ces trente dernières années, découlant de la pensée libérale selon laquelle la main invisible du marché est la plus juste régulation de la société économique. Les diverses crises nous ont montré avec éclat ce qu’il en est…

Il résulte de ces politiques l’apparition de travailleurs pauvres, la dégradation des services publics et le déclassement de toute une classe moyenne prospère avant les années 80. Cette dégradation des conditions de vie n’a pas manqué de créer un fort ressentiment au sein de ses populations victimes de ces politiques : le Brexit et l’élection de Trump en sont des effets bien visibles, que la bourgeoisie intellectuelle ne manque pas de qualifier de folies. Mais le fait, qui pourrait passer pour anecdotique, que tous les ans, des défilés sont organisés pour célébrer la mort de la « sorcière », ainsi que Thatcher est surnommée au Royaume-Uni, montre selon moi la clairvoyance de ces populations à identifier la cause de leur malheur.

Cette politique du réel oublie ou renie le pouvoir du politique sur la réalité. Or, le vote FN résulte d’un désir de retour à une politique qui promet de modifier le réel et non de se contenter de s’y adapter, avec les dommages collatéraux inévitables inhérents. Il n’y aura eu au final dans cette élection que deux candidats, parmi les cinq principaux, à faire de la politique (au moins dans le discours) : Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Jean-Luc Melenchon avait un handicap certain pour les classes populaires (qui devrait constituer son électorat naturel) : son érudition. Il utilise en effet un langage très riche, émaillé de références culturelles qui, s’il le rend tout à fait agréable pour la population éduquée, l’éloigne de la base populaire. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter la réaction d’un ouvrier soutenant Marine Le Pen lorsque le journaliste Daniel Mermet lui demandait : « Pourquoi Marine et pas Jean Luc Mélenchon ? » « Oui, Mélenchon il est bien aussi, mais quand il parle, on dirait du Victor Hugo, on ne comprend pas tout; Marine Le Pen, au moins, on comprend ce qu’elle dit ». Tout est dit : Marine Le Pen sait parler à l’électorat populaire; malgré son appartenance à la grande bourgeoisie, elle a su bâtir un storytelling adéquat pour se faire passer pour la voix du peuple, comme le dit son slogan.

Bien sûr, cela ne suffit pas à expliquer l’engouement pour Marine Le Pen. On pourrait rétorquer que l’électorat du FN est avant tout composé de racistes. Intéressons-nous alors aux mécanismes de construction de la monté du racisme au sein des classes populaires. Une population immigrée qui nous était grandement utile lors de la période de la reconstruction se retrouve paupérisée, confinée dans des zones éloignées des centres villes et de toute activité économique. Ce rejet engendre automatiquement un fort ressentiment envers la société et ses représentants, quels qu’ils soient. De ce ressentiment résulte un taux de délinquance élevé et une recrudescence des actes d’incivilité et d’agression contre les forces de l’ordre, identifiées comme étant les gardiennes de l’ordre établi qui leur apparaît comme injuste. Dans un univers médiatique toujours à la recherche de maximisation des profits, les faits divers occupent une place prépondérante : ils sont en effet peu coûteux à traiter et garantissent un fort audimat. Seulement, ils ne permettent pas une meilleure compréhension du monde, au contraire : ils constituent une sorte de miroir déformant de la société, sans aucune mise en perspective. Par leur omniprésence, ils concourent à la construction d’une société extrêmement dangereuse dans l’imaginaire de l’audimat. D’ailleurs cette construction du grand méchant monde n’est pas totalement innocente : elle est utilisée par les médias pour augmenter la réceptivité des téléspectateurs aux publicités, le fameux « temps de cerveau disponible » dont parlait Patrick Le Lay (président de TF1).

Il suffit, pour constater cet effet pervers de miroir grossissant qu’exercent les médias, d’observer les groupes sociaux plébiscitant le plus le FN. On remarque une forte adhésion dans les campagnes, alors que l’insécurité n’y est certainement pas la plus élevée. Ce sentiment est donc créé artificiellement, et comment la chose serait-elle possible sans l’intervention des médias ? Quant au fort taux de vote FN dans la police, il peut s’expliquer autrement : par le biais d’échantillonnage. En effet, les policiers/gendarmes, qui côtoient la violence de façon bien plus régulière que le reste de la population, ont aussi une vision de la société dans son ensemble plus violente qu’elle ne l’est en réalité.

En résumé, les politiques de confinement et de maintien dans la misère de certaines populations créée en réaction une violence qui, médiatisée sans aucune mise en perspective, conduit à la stigmatisation de ces populations qui sont alors perçues comme violentes, peu enclines à s’intégrer au sein de la nation et vivant à ses crochets. Ajoutons à ce tableau le déclassement – ou la menace de déclassement – pesant sur la classe moyenne, créant un sentiment d’insécurité économique et une forte rivalité avec les populations stigmatisées, et on obtient un cocktail de peur et de haine qui s’auto-alimente. Si le grand capital s’est toujours accommodé de partis tel que le FN, on pouvait, jusqu’il y a peu, compter sur la sphère médiatique pour rejeter – au moins en apparence – ses idées. Or, l’accueil réservé à ce parti dans les médias ces dernières années, ainsi que l’émergence d’éditorialistes quasi ouvertement racistes, ne laisse rien présager de bon, surtout si l’on garde en mémoire les discours radiophoniques des années 40.

La politique menée ces cinq dernières années aura finalement été dans la continuité de ce qui a été fait depuis trente ans; qu’elle l’ait été par un gouvernement se revendiquant de gauche est un élément supplémentaire contribuant à amplifier l’électorat FN, qui ne cesse de marteler que l’alternance droite/gauche est illusoire et que seul le FN est la solution. Si Emmanuel Macron a été assez malin pour ne pas revendiquer le bilan de ce quinquennat, il faudrait peut être rappeler qu’il en a toujours été proche, soit comme conseiller de François Hollande dès sa campagne, soit en tant que ministre de l’économie. On ne s’étonnera donc pas si son quinquennat s’inscrit dans la continuité du précédent. On présentait dès le 1er tour Emmanuel Macron comme le meilleur barrage contre le FN; cette affirmation ne résiste pourtant pas à l’analyse, du moins sur le long terme, tant la politique qu’il nous promet contribue au remplissage du bassin. On peut en effet redouter que l’amoncellement de sacs de sable cédera à la prochaine vague…

Il existe pourtant un rempart à l’accession du FN à la présidence de la République : la construction du vote par suffrage universel à deux tours. En effet si le FN séduit de plus en plus de gens, il reste encore du temps avant que le seuil critique ne soit atteint – même si, en fonction du bilan du prochain quinquennat, nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise. L’inquiétude, selon moi, vient plutôt de l’immixtion des idées traditionnellement rattachées à ce parti dans l’ensemble de la sphère politique et médiatique. Il n’y a, en effet, plus besoin d’aller dans l’électorat du FN pour trouver le racisme. Peut être devrait-on s’inquiéter de ce glissement des idées et tenter d’en traiter les causes profondes.

Mathieu Aucouturier. 


Une réaction sur cet article

  • 4 mai 2017 at 13 h 23 min
    Permalink

    Bonne analyse.

    La déferlante néolibérale est en rapport avec la chute du mur de Berlin (1989). La peur de la « peste rouge » ayant disparu, le démantelement généralisé des acquis sociaux pouvait commencer.

    Reply

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *