Tribune – Au 1er tour : abstention ou Mélenchon ?

Nous publions aujourd’hui une tribune de Marjorie, ancienne Nuitdeboutiste, qui nous explique pourquoi elle a décidé d’aller voter aujourd’hui pour Jean-Luc Mélenchon.  

Je vote depuis ma majorité, à tous les tours de toutes les présidentielles, mais aussi aux municipales et aux législatives. Et les rares fois où je n’ai pu le faire directement, je l’ai fait par procuration. J’ai été élevée dans cette idée qui le vote est sacré, que beaucoup de gens sont morts pour l’obtenir et qu’il est de mon devoir d’honorer leur combat en prenant 15 minutes pour me rendre à deux pas de chez moi et glisser une enveloppe dans une urne. Ca m’a toujours semblé la moindre des choses.

Mais Nuit Debout a profondément modifié ma vision du système politique. Ca l’a complexifié. J’ai appris, soulevé le voile. J’ai découvert la violence quotidienne et décomplexée utilisée par cette gauche au pouvoir dont j’avais fêté la victoire. J’ai vu ces représentants de tous bords cracher sans retenue sur ce mouvement citoyen qui parvenait chaque jour à trouver en lui la force de continuer à chercher des alternatives à ce système obsolète et stérile, entre deux gazages et trois coups de matraques payés par nos impôts. J’ai vu le courage de s’opposer, le besoin de se sentir utile et de construire un autre modèle ensemble, et la puissance de feu de l’on nous opposait pour nous en empêcher. Il se pouvait donc que l’on soit en train de faire quelque chose d’utile…

Mais c’est surtout en interviewant et en échangent quotidiennement avec des individus extrêmement divers (de tous âges, toutes nationalités, classes sociales et affiliations politiques, qu’ils soient chercheurs, militants ou simples citoyens érudits) que j’ai pu creuser ce système et découvrir ses limites, ses dysfonctionnements profonds qu’aucun élu ne semble jamais vouloir remettre en question, s’en protégeant même à grands coups de campagne de culpabilisation des électeurs, justement au nom du sacro saint « droit/devoir démocratique ». J’ai découvert qu’on se planquait derrière les corps de ceux qui sont morts pour que l’on ait des droits afin d’éviter que l’on puisse en demander de nouveaux. J’ai compris l’utilité d’un FN que l’on laisse grandir pour qu’il rabatte inlassablement les votes contestataires vers ces deux grandes machines droite/gauche héritées de la Révolution Française, garantissant la survie du système en place au nom de la défense de la démocratie. J’ai découvert aussi la profonde conscience politique de beaucoup d’abstentionnistes en comprenant que le taux de participation était un rempart qui nous privait du nécessaire débat national sur le vote blanc, la dangerosité du poids des grands partis et l’illusion de choix que cela comportait implicitement. Pour la première fois, je ne savais plus si mon vote serait utile ou dommageable.

Et cette campagne a démarré. En fanfare d’ailleurs. Et la surprise fut grande. Après avoir presque tous insulté et diabolisé ces « gamins gauchos chômeurs alcooliques et fauteurs de trouble » que nous étions, quelle ne fut pas ma surprise en découvrant que toutes les valeurs que nous portions et les travaux que nous développions étaient partout dans cette campagne. De récupération populiste en ersatz de volonté démocratique, Nuit Debout était partout. Moins d’un an après apparaissent dans le débat public des thématiques qui presque jamais n’avaient été abordées nationalement. Puis le grand nettoyage commence: Sarko, Juppé, Valls, les grandes figures tombent, le vieux monde s’effrite. Hamon remporte la primaire de gauche. Il fera l’erreur de vouloir faire du neuf avec du vieux, comme s’il pouvait obtenir le vote des 11% qui semblent encore défendre ce gouvernement tout en conservant celui de veux qui s’y opposent. A ratisser large on perd son intégrité. Il le payera cher d’ailleurs, puisque le vieux camp le trahira sans relâche, rappelant étrangement l’acharnement du PS à faire trébucher Ségolène Royal en 2007. Le PS est mort. La fin des grands partis s’annonce enfin.

Et le père Mélenchon s’impose soudain de plus en plus dans les échanges et conversations, très tôt d’ailleurs. Des amis proches, historiques, dont je partage les valeurs les plus fondamentales, commencent à me rabâcher l’importance du projet de Mélenchon. Il est vrai qu’il fut l’un des seuls à ne pas tirer à vue sur ces mouvements citoyens, mais franchement, c’est pas mon truc. Je ne le « sens » pas. Impossible d’ailleurs de formuler des arguments. Et l’intelligence de mes amis me poussera donc à lire et éplucher son programme point par point. Je creuse.

NuitDebout (et Jacques Testart) m’avai(en)t appris la différence entre l’avis (que l’on obtient à force de réflexion personnelle) et l’opinion (que l’on récolte au gré des vents, du champ lexical, des médias, des aprioris et du rabâchage des autres). Je regarde les 2 heures de son meeting, je lis son programme et franchement, à 2 ou 3 détails près, c’est extrêmement inspirant. J’y trouve même des idées dont je n’osais plus rêver :

– système de protection des auteurs/artistes
– pérennisation des droits des intermittents, refonte du CNC
– indépendance des médias
– création d’une organisation mondiale dédiée à l’environnement, – entrée dans la constitution du droit à disposer de soi ( fin de vie et l’avortement)
– l’égalité de salaire hommes-femmes
– création d’un pôle public du médicament
– diminution de l’affichage publicitaire
– protection des données personnelles numériques contre le marketing offensif
– interdiction de la pub dans les programmes pour enfants
– création d’universités populaires accessibles à tous
– modification de la carte scolaire
– sortie du diesel
– refus du brevetage du vivant
– protection et lutte contre la privatisation des biens communs (eau, air, santé, vivant, énergie)
– création du crime écologique
– nationalisation des énergies marines
– lutte contre l’obsolescence programmée
– interdiction des OGM et pesticides nuisibles
– favoriser les circuits courts
– fermer les fermes usines
– arrêt du projet de Notre Dame des Landes
– interdiction des licenciements boursiers
– taxation des bénéfices des entreprises sur le sol où ils sont réalisés
– semaine de 4 jours
– création d’un pole bancaire public
– taxation réelle des transactions financières
Etc.

C’est un beau programme. Un programme inespéré. Une chance de mettre enfin un pied dan la porte. Certains diront que c’est irréalisable. Je leur répondrai que ça n’a juste jamais été sincèrement tenté. Le pouvoir ne change jamais rien tant qu’il n’est pas utilisé avec une volonté d’être employé pour le bien de tous. Une réelle volonté. Finalement, après des semaines de questionnement, j’en reviens inlassablement à la même question : ce type a t’il une réelle volonté de tenter d’entrouvrir la porte vers ces changements là, nés des citoyens, de la société civile, des ONG, chercheurs, universitaires, sociologues, économistes, artistes… Le veut-il vraiment? Parce que si la réponse est oui, il faut y aller, il faut le tenter pour savoir. Mélenchon n’est pas parfait, personne ne l’est, nous ne le sommes pas non plus, mais il me semble aujourd’hui qu’il essaye sincèrement. Il essaye de nous faire entrer à l’Assemblée ou au Sénat par la grand porte, et ce n’est pas rien. Il essaye de nous permettre de savoir si ce nouveau monde est possible sans devoir en passer par des affrontements d’une violence que je préfère ne pas devoir imaginer. Il essaye et il se peut qu’il échoue, mais il nous faut savoir pour envisager la suite. Parce que l’on aura pas d’autre occasion ans les temps.

Nous avons déjà dépassé la date à laquelle il aurait fallu réagir pour avoir une chance de pouvoir vivre encore sur cette planète. Cela parait dingue mais c’est vrai, c’est ça notre réalité, notre époque, qu’on le veuille ou pas. C’est maintenant, maintenant qu’il faut commencer à mettre en place les alternatives, maintenant qu’il faut engager les bras de fer pour faire virer ce paquebot colossal qui fonce droit dans le vide, et le monde a les yeux braqués sur nous. Partout, dans chaque pays, se trouvent des forces qui luttent pour ces mêmes changements et qui se trouvent découragées par l’immensité de la tache à accomplir. Eux aussi renoncent parfois, se disant que c’est peine perdue, que c’est trop gros, trop grand, trop huilé pour être bougé, mais je ne le crois pas. Je ne le crois pas parce que j’ai pu l’expérimenter à petite échelle.

Personne n’a su encore vous montrer ce qu’était réellement NuitDebout et le mouvement contre la loi travail, du blocages des raffineries aux ateliers constituants, des anti pub aux structures conçues par Archi debout, de l’Education Populaire à l’AG faite au pied de l’Assemblée Nationale. J’espère que vous pourrez le découvrir un jour, mais sachez que l’on a été souvent découragés, épuisés, abattus, malmenés, au bord de lâcher parfois. Et soudain quelque chose se passait : une action à Toulouse ou Montpellier, la venue de membres d’Occupy ou des Indignés, des Nuit Debout qui se créaient à l’autre bout du monde, les taxis ou les cheminots nous rejoignaient soudain, et l’on se souvenait que l’on n’était pas seuls. C’est une cercle vertueux. Comme le dit si bien Pierre Rabhi, il ne s’agit que de faire notre part. Et je crois que nous en avons l’occasion aujourd’hui. Il me semble nécessaire de faire cette part parce que ces mesures sont pour la plupart indispensables au changement dont nous avons tous besoin, et parce que si ce projet ne provoque pas un vote d’adhésion massif, on nous dira pendant 5 ou 10 ans que l’on a proposé ce projet aux citoyens et qu’ils n’en n’ont pas voulu. Et dans 10 ans il sera trop tard. Surtout si Macron passe. Parce que ce sera l’extrême opposé qui se produira alors, ce sera l’open bar des lobbies et du pouvoir financier qui empêche ces changements. Et il me semble qu’il sera impossible alors de faire marche arrière.

Après plusieurs mois de réflexions et d’analyse de mes convictions, de ma connaissance du monde qui nous entoure et de notre époque, voilà pourquoi, malgré mes réserves, je voterai Mélenchon aujourd’hui. Et voilà aussi pourquoi j’espère que vous me permettrez de pouvoir le faire aussi au second tour.

Et si vous pensez que votre voix ne fera pas la différence, rappelez vous s’il vous plait que Jospin a été éliminé en 2002 par 2 voix par bureau de vote. On en reparle à 20h.

Marjorie Marramaque.  

Crédits photos:

  • Vote utile ça sert à rien: Francis Azevedo

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *