Educ’Pop : liens avec Nuit Debout Paris, les journées thématiques

Gazette Debout continue sa série spéciale Education populaire, avec aujourd’hui, le récit des journées thématiques organisées par la commission Debout Educ’Pop. 

Nous avons organisé des journées thématiques en lien avec les autres commissions de Nuit Debout : la commission Économie Politique sur l’éducation et les TAFTA/CETA/APE, Média Debout sur la liberté de la presse, féministe sur les violences faites aux femmes, écologie sur l’histoire de l’écologie et les grands projets inutiles. En effet, nous nous sommes rendu compte, plutôt par retour des avis extérieurs, que nous avions acquis une certaine qualité de modération : relancer les débats sur le thème, laisser parfois déborder, gérer les comportements agressifs ou violents, tout cela par une certaine sensibilité aux attentes/impatiences/agacements/engouements/etc du public. Modérer, c’est définir les espaces de chacun.e de façon impartiale dans un lieu partagé : à Debout Educ’Pop nous avons tou.te.s un style de modération différent qui vise à respecter cette impartialité.

Journée thématique du 2 octobre (216 mars) avec Nuit Debout Paris République : « Se connaître et faire ensemble » autour du concept de décentrement

Cette journée s’adressait aux participant.e.s de Nuit Debout et aux passants, notre volonté était non pas de faire une « thérapie de groupe », mais de mettre en place un dispositif qui permette aux conflits existants de se mettre en mots. La spécificité des conflits à Nuit Debout est qu’il n’y a pas d’instance supérieure pour les gérer : chacun est en rapport direct avec l’autre, cela demande un engagement dans ses actes et mots. Les types de relation classique (hors Nuit Debout) s’instituent dans un rapport à l’autre aseptisé : on rencontre une image et on échange des représentations avec des codes pré-établis. Les gens se rencontrent, se croisent plutôt avec des représentations, des statuts qui nous font situer l’interlocuteur à un certain niveau qui était déjà institué par ces codes avant la rencontre. A partir de là les discours s’harmonisent, ou se transforment en figeant l’expression subjective. De là, soit « je » est inclus dans l’espace dominant, soit « je » est exclu, les frontières discursives marquent les plus fortes inégalités et conduisent à la haine de la différence.

A Nuit Debout, comme nous sommes en présence les uns des autres, ces statuts, ces discours qui protègent ne tiennent pas, il n’y a plus le tiers. C’est-à-dire qu’il n’y a pas d’instance supérieure pour déterminer les rapports de domination. Par de simples questions comme « Que veux-tu dire quand tu dis… ? », on ne se cache plus derrière les concepts, la parole devient subjective, hors des discours institués, on s’engage. D’où le sentiment de non protection qui a été difficile pour beaucoup en occupant cette place, et en même temps, passé cela, arrive une sensation d’enracinement et de déploiement. Sur une place publique, ces discours pré-institués sont désarticulés, on arrive sur un rapport subjectif évoquant ce qui se passe dans les corps de chacun.e. Il n’y a pas non plus d’obligation à dire qui serait liée à l’aveu (Foucault en retrace l’histoire dans Naissance de la clinique) : il faudrait dire pour pouvoir être, pour prendre existence. Seulement c’est dans l’ordre où un autre récupérerait ce qui est dit, en reconnaitrait la valeur et à partir de cette interprétation, soit à nouveau transformation en discours de ce qui est d’abord expression subjective. A Nuit Debout, ce qui est dit est dit, la prise de parole dans un micro se passe de toute interprétation, affecte directement ceux/celles qui écoutent et les transforme.

Sans créer de tiers, ces choses qui nous affectent et nous engagent psycho-physiquement, on peut les projeter sur une scène, en s’en rendant spectateur affecté comme les autres. Dans le fait de le projeter sur une scène, même si on l’a vécu initialement comme partie prenante, on peut ici prendre en compte qu’on a été traversé par cet événement, mais qu’en le projetant, on le rend aux autres en se mettant tou.te.s sur un rapport équivalent de perception de la scène. Cela nous a permis de se créer soi-même, enfin chacun.e d’entre nous, une petite barrière de protection qui ne nous empêchait pas de rentrer en contact avec l’autre, bien au contraire de pouvoir l’échanger avec l’autre en le projetant sans se sentir effracté.

Debout Education Populaire
Debout Education Populaire

Voici de quelle façon nous avons organisé cette journée :

15 h : débat sur les luttes subjectives dans notre rapport aux autres, nous avons précisé que l’on ne parlerait pas de soi pendant toute la journée, mais que l’on parlerait de situations générales : même si on l’a vécu, on le projette sur une scène extérieure avec des protagonistes virtuels.
Nous avons écrit des scènes types et des propositions pour les gérer, afin de lancer le débat. Ces propositions rédigées ont été lues par les membres d’Educ’Pop : on lisait une proposition qu’un.une autre avait écrit. Après ces lectures, nous avons lancé le débat pour que le public réagisse sur ce que nous avons lu et propose aussi de nouvelles situations de conflit. (Détail de ce moment)

16 h : écriture de scènes de théâtre par rapport aux situations exposées en amont. Les personnes se réunissent par groupe de 5 pour écrire des situations avec 5 protagonistes (ou 4 protagonistes et une voix off). Le temps de rédaction va de 30 minutes à 1 heure en fonction de ce qui se fait. Puis, nous avons joué les scènes ! Les textes écrits par un groupe sont lus et interprétés par un autre groupe. Ainsi, chacun.e joue un personnage qu’il n’a pas inventé et donne des répliques écrites par d’autres. Après chaque scène nous avons fait un débat sur ce que l’on a entendu et vu. (Détail de ce moment)

Nous avons expérimenté l’engagement dans la prise de parole et la capacité à se décentrer qui transforment l’action et la décision publique. Ce qui se joue dans cet espace ouvert est le déplacement des imaginaires institués, le renouvellement des rapports à la création, l’accès à une pensée complexe : le pouvoir de l’humain n’aurait plus à s’orienter vers son environnement, mais vers lui-même et son rapport aux autres.

Journée thématique du 18 décembre (293 mars) : « Faites la dignité, la solidarité, la convivialité », porteur de parole

Nous avons créé un espace cette fois non pas audible mais visible et participatif avec des questions affichées aux murs (que nous avons montés) et une personne relayant par écrit les réponses des passants. Dans le passage à l’écrit, il a souvent été difficile aux personnes « observant » de participer, de produire de la matière à partir de leur pensée en laissant une trace.

Dans l’oral, il y a des traces qui ne sont pas de l’ordre du visible, l’écrit porte lui une visibilité de la place occupée dans un espace. Dans le fait d’occuper un lieu public, de reconstruire chaque jour le cadre dans lequel on va prendre la parole, et de le quitter comme on l’avait trouvé, il y a une inscription physique, matérielle, inhérente à notre action même. Les corps sont déjà en prise avec le lieu qu’ils ont constitué en collectif, et cela pose un rapport à la création permanente, bien que précaire. L’espace se construit, se matérialise entre les cordes, les affiches, les paroles, les écrits et tous ces actes qui le font prendre corps et devenir en lui-même un lieu d’accueil, de bienveillance et de partage.

Se marque ici la distinction entre construction et productivité : si nous sommes incapables parfois de nous arrêter et de nous poser parce que l’un d’entre nous est sur le point de tomber, on ne pourra jamais rien construire de solide ensemble. Ce n’est pas une question de faire des préférences, mais on ne peut traiter tout le monde de la même façon parce qu’il/elle n’a pas les moyens de s’exprimer « correctement » dans un cadre défini par ceux/celles qui déjà s’expriment le mieux et sont le plus écoutés. L’efficacité va avec la conformité imposée, elle est inhérente à son processus même en effaçant toute souffrance qui la freinerait. Donc c’est créer un espace où l’invisible et l’inaudible peuvent croiser les savoirs et les préconceptions sans se heurter, avec des conflits certes, mais où déconstruction et construction vont de pair. Cela est un processus infini tant que ces lieux demeureront occasionnels… Si nous ne faisons pas tous les jours ce que nous voulons voir dans la société à venir, par manque de temps ou peur d’être ralentis, nous sommes sûrs de ne jamais y arriver.

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