Marcher pour la justice et la dignité

Dois-je prendre mes lunettes de piscine pour participer à la marche pour la justice et la dignité ? Dois-je m’attendre à une nouvelle manifestation noyée dans les nuages de gaz, suffocant à l’odeur irritante des lacrymogènes ? Les familles des victimes de violences policières qui ont appelé à cette marche étaient claires : ne pas répondre à la violence par la violence, pour éviter que leur discours ne soit occulté par des échauffourées avec les policiers en armures.

Pour raconter leur calvaire, ces familles ont pris la tête du cortège qui partait de la place de la Nation à Paris ce dimanche 18 mars. Devant des dizaines de journalistes, elles ont dénoncé l’impunité des forces de l’ordre, livrant de nombreux détails – parfois glaçants – sur la façon dont leurs frères, leurs cousins, leurs maris étaient morts dans les mains des forces de l’ordre.

Marche pour la justice et la dignité.

Le cortège comprenait de nombreux collectifs (voir les signataires ici) ainsi que des syndicats. Une longue liste de participants qui n’a pas plu à tout le monde, certains craignant une récupération politique ainsi qu’une instrumentalisation du mouvement. Au sein de la manifestation, certaines critiques fusent : « des bus ont été organisés par les syndicats pour prendre des gens en province, mais personne n’a pensé à en faire depuis les banlieues ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Assa Traoré, la sœur d’Adama, n’a pas participé à la marche. (voir l’article du Monde). Dans une tribune publiée sur Mediapart, un militant explique pourquoi il ne participerait pas à cette marche.

Marche pour la justice et la dignité ; Cortège de tête en queue de manif.

Une fois n’est pas coutume, les membres de ce qu’on appelle aujourd’hui « Cortège de tête » étaient placés en fin de cortège, derrière les syndicats. Une position qui inquiétait d’ailleurs les syndicalistes, qui défilaient bras dessus bras dessous pour éviter que quiconque ne puisse pénétrer dans leurs rangs. Les services d’ordre étaient visiblement effrayés par la présence des black blocs à l’arrière et passaient leur temps à aller voir « ce qui se passe derrière ». 

Marche pour la justice et la dignité : le mur qui défend l’entrée de la rue de la Roquette.

Sur la place Voltaire, un immense mur anti-émeute est dressé devant la rue de la Roquette, qui mène au domicile de Manuel Valls. Pas « d’apéro » possible cette année. Lorsque le Cortège de tête arrive, les policiers dressent leurs boucliers. Les insultes fusent, quelques fumigènes sont jetés. N’ayant finalement ni sérum physiologique ni lunettes de plongée, je décide de ne pas traîner et m’éloigne de la place. J’entends quelques détonations et aperçois un nuage de fumée. Nous arrivons à République dans une ambiance un peu lourde. Mais le cortège se disperse rapidement, les hommes en noir passent des vêtements civils tandis que les policiers restent sur le qui-vive. Toutes les sorties de la place de la Républiques sont filtrées, bloquées pour certaines avec des murs anti-émeute. J’aperçois d’ailleurs le canon à eau le long du boulevard du Temple.

A mon sens, cette manifestation est une réussite : si l’on compare aux mobilisations du printemps dernier, je n’ai pas vu de violence et, pour moi, tout s’est déroulé aussi calmement que possible, malgré un contexte particulièrement tendu. Mais le cortège était bien long et j’ai visiblement manqué certaines altercations avec les forces de l’ordre, comme le montre le Périscope de Rémy Buisine.

En lisant la presse lundi matin, les médias mainstream n’ont pu s’empêcher de titrer sur des « interpellations » (Le Parisien). Pour France Info, environ 200 personnes munies de capuches ont lancé des fumigènes et des projectiles sur les forces de l’ordre, à proximité du Bataclan. Selon un journaliste de l’AFP : « Les forces de l’ordre ont riposté à des jets de cocktails Molotov par des tirs de gaz lacrymogène ».

Ces incidents en marge ont-ils réussi à décrédibiliser cette marche aux yeux du grand public ? Difficile à dire… Quelques jours avant la manifestation, un « black bloc qui n’a plus rien à prouver » a publié un texte sur le site Paris-Luttes.info, appelant à manifester masqué.e.s, mais en respectant cette idée d’être « non-violent.e.s » pour enfin réussir à amorcer cette convergence entre les gens « des deux cotés du périph ».

En réponse à cela, un autre militant a publié une tribune très intéressante, appelant à « abolir le débat entre violence et non violence » pour  » donner corps à la colère qui nous anime face à l’injustice ». 

Une autre analyse dissèque plus profondément le gouffre entre les habitants des banlieues et ceux du centre parisien. « Ce que révèle l’organisation de cette marche c’est qu’il existe des lignes de fractures politiques qui ne sont pas le produit d’ego mais le résultat de profondes divergences sur les pratiques, les analyses et sur les modalités de luttes contre les violences policières. » (Texte à lire en entier ici)

Des textes nous permettent de réfléchir sur l’engagement militant et la convergence des luttes, sur les alliances et les rapprochements qui peuvent et qui doivent s’opérer entre ceux qui vivent à Paris, dans un environnement préservé, et ceux qui subissent insultes, humiliations et violences quotidiennes au-delà du périphérique.

Marche pour la justice et la dignité.

La nuit commence à tomber et la place de la République à se vider. Les concerts se poursuivent mais les vendeurs de merguez ont plié bagage. Des dizaines de personnes sont perchées sur le socle de la statue de la République afin de mieux voir la scène. En marchant le long du boulevard Voltaire, je croise certains panneaux JC Decaux tagués avec plus ou moins de poésie. La porte d’entrée d’une agence de la BNP a été brisée. Derrière ses autres vitres, intactes, un panneau lumineux souhaite une « bonne soirée » aux passants. Je m’approche pour mieux voir et découvre deux personnes, emmitouflées dans un sac de couchage, qui dorment sur le rebord des fenêtres. Elles vont certainement passer une « bonne soirée »

L.A

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Crédits photos:

  • Marche pour la justice et la dignité: Gazette Debout
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