Sur le traitement médiatique de la violence

« Il y a trois sortes de violences. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »  – Don Helder Camara

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Manifestation Denfert-Rochereau 78 Mars – Cyrille Choupas

Les événements auxquels nous avons assisté ces derniers temps (violences en marge des manifestations, chemise arrachée…) nous donnent à voir avec une étonnante netteté l’immense hypocrisie de l’éditocratie qui condamne à tout bout de champ la seconde violence, sans jamais parler de la première, tout juste parle-t-elle de la troisième lorsque les images sont vraiment choquantes. Pire encore, elle se sert de cette violence pour assimiler et décrédibiliser l’ensemble de la contestation. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le temps consacré aux débordements dans les différents journaux télévisés par rapport au traitement du reste des mouvements ainsi que les qualificatifs qui sont utilisés pour parler de ces événements (lynchage, saccage, terrorisme syndical…). Imaginons un peu quels auraient été les titres des journaux actuels en 1789 après la prise de la Bastille. Rappelons au passage que la prise d’une prison en tuant au passage des soldats et des gardes a quelque chose d’un peu plus violent que des voitures brûlées et des vitres cassées. Les journalistes et hommes politiques si prompts à s’indigner des violences actuelles, sont pourtant les premiers à célébrer les violences libératrices passées. Ils déclareront pour justifier cette incohérence que contrairement à aujourd’hui, les violences étaient légitimes et qu’elles ont abouti à une avancée démocratique.

Portrait 11
Nation, 62 Mars

Se pose alors la question de la légitimité d’une violence révolutionnaire. La réponse à cette question peut paraître évidente : lorsque la violence institutionnelle est caractérisée, alors la violence révolutionnaire est justifiée. La violence institutionnelle étant très insidieuse, indirecte, elle en demeure très difficile à identifier pour qui ne la subit pas. Pire, elle n’est parfois même pas conscientisée par les personnes mêmes qui la font subir. Il n’y a donc rien d’étonnant de voir le gouvernement, ainsi que les grands médias (majoritairement propriété de grands groupes industriels) crier au scandale au moindre acte de casse, qui leur paraît tout à fait injustifié. Leur raisonnement Panglossien – tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes – est tout à fait compréhensible : n’y a-t-il rien de plus normal que de trouver le monde bien fait lorsqu’il nous est favorable ?

Cependant, on peut raisonnablement penser que la plupart des gens n’aspirent qu’à écouler une vie paisible, et que les actes de violences contestataires restant rarement impunis, ils ne peuvent résulter d’une méchanceté cynique et froide. La violence est donc le moyen d’expression de personnes qui n’ont trouvé aucun autre recours.

Portrait 01
Assemblée Nationale, 71 Mars – Cyrille Choupas

Les violences symboliques sont nombreuses, souvent combinées, elles exercent une telle pression sur les personnes qui la subissent qu’on en arrive à des situations d’éclatement. La violence révolutionnaire est donc une réponse directe à cette violence symbolique exercée de manière invisible et diffuse. Le discours pro violence fait majoritairement référence au désir de vengeance : « Notre violence est légitime car nous subissons la violence au jour le jour» ou « qui sème la misère récolte la colère ». Ce discours, bien que compréhensible, n’apporte aucune solution politique au problème et le message délivré est très rarement compris. C’est que ces violences restent perçues comme totalement gratuites, d’autant qu’elles sont rarement dirigées directement contre les institutions responsables de la violence symbolique, mais contre ceux qui les subissent moins ou pas (en apparence), comme s’ils étaient les complices tacites des institutions, ou encore à l’encontre des gardiens de la paix, identifiés comme les traîtres suprêmes, puisque gardiens de l’ordre établi. Quand bien même ces violences sont dirigées vers les auteurs des violences institutionnelles, elles se trouvent indifféremment discréditées, et ce à cause de leur caractère spectaculaire qui les rend faciles à identifier et à condamner.

Si la violence n’apporte généralement pas de solution politique, elle n’en reste pas moins un moyen d’expression pour ceux à qui on ne donne pas d’autres moyens. Elle est souvent une réponse émotionnelle à un stimulus ou à une situation désespérée, et l’histoire nous apprend que les violences sont toujours désapprouvées par les institutions et la classe privilégiée de l’époque, mais qu’elles apparaissent souvent comme utiles et nécessaires aux générations futures ; la Révolution Française nous fournissant l’exemple le plus frappant, mais n’oublions pas que ceux que nous appelons aujourd’hui les Résistants de la seconde guerre mondiale étaient qualifiés à l´époque de terroristes. Si l’on doit juger les violences, il faut le faire en tenant compte des causes profondes de ces violences, et avant tout traiter ces causes qui la font naître. Malheureusement, les juges autoproclamés de ces violences sont ceux-là même qui exercent la violence institutionnelle, on ne peut donc pas compter sur eux pour dénoncer une violence qu’ils exercent, parfois sans même en avoir conscience.

 Mathieu Aucouturier

Crédits photos:

  • Portrait 05: Cyrille Choupas /DR
  • Portrait 11: Cyrille Choupas /DR
  • Portrait 01: Cyrille Choupas /DR
  • Portrait 06: Cyrille Choupas /DR

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