Au cœur de la manifestation de Barbès, pour Théo

Milena a participé au rassemblement organisé mercredi 15 février à Barbès, en soutien à Théo, ce jeune homme violé par des policiers lors d’un contrôle d’identité. Elle nous raconte son expérience.

Des appels à rassemblement pour soutenir Théo tournent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux et je n’avais encore participé à aucun, même si j’avais envie d’exprimer mon soutien. Je reste toujours méfiante face à ces manifestations spontanées, non déclarées auprès de la Préfecture, car elles sont toujours cernées par un grand nombre de policiers et la situation sur place peut dégénérer très vite. Impossible d’être complètement rassurée dans ces conditions.

Je suis arrivée sur place à 18h30, une demi-heure après le début du rassemblement, originellement prévu à 18h. A ce moment, le cortège s’étirait de façon disparate au niveau du métro Barbès-Rochechouart, s’étalant dans les boulevards adjacents. Difficile d’estimer le nombre de manifestants présents, mêlés à la foule de ce quartier animé. Mais nous étions assez nombreux pour gêner la circulation. Le métro Barbès était fermé.

Manifestation contre les violences policières en hommage à Théo le 15 février 2017.

A mon arrivée, le plus gros du cortège se trouvait dans le boulevard de la Chapelle et les policiers déjà sur place ne s’étaient pas encore déployés. Je m’approchais du cœur des manifestants, en me fiant au son des slogans. Mais la foule recula soudain, quelques minutes à peine après mon arrivée, à cause de gaz je suppose, ou peut-être d’une charge de CRS. Mais je n’ai rien vu. Contrainte de faire demi-tour, je revins vers le métro et je constatais alors que nous étions à présent cernés. Il était 18h35 et les policiers s’étaient déployés dans chaque boulevard, bloquant chaque issue par des camions équipés de vitres anti-émeute. Cernés de toutes parts mais pas encore complètement nassés : une sortie restait ouverte sur le boulevard de Rochechouart.

La foule commence alors à se déplacer vers le boulevard Magenta, derrière une bannière où on pouvait lire « Flics, violeurs, assassins ». Mais des policiers nous barrent rapidement la route. La tension, déjà palpable, monte encore d’un cran. Il me semble qu’un climat de peur règne sur le rassemblement. J’ai conscience d’être cernée par des policiers en grand nombre dans un espace restreint dans lequel il n’est pas possible de s’échapper. Je suis une manifestante pacifiste venue témoigner mon soutien sans intention violente. Malgré tout, je sais que cela n’aura aucun poids dans la balance si la situation dégénère.

Manifestation de soutien à Théo le 15 février

Je vois des personnes autour de moi qui commencent à s’équiper de cagoules et je décide de reculer un peu. Je constate alors que le cortège que nous composons est très varié. Il y a des jeunes comme des vieux, qui semblent provenir d’horizons très divers, plusieurs journalistes aussi.

De loin, je vois des bouteilles de verres jetées en directions des forces de l’ordre. Après une légère accalmie, des slogans reprennent avec plus de conviction encore. Le désormais traditionnel « Tout le monde déteste la police » est scandé. D’autres y répondent par « Tout le monde déteste les violeurs ». J’entends également « La police est raciste », « Pas de justice, pas de paix », « Flic, violeur, assassin ». Plusieurs reprennent aussi « Théo, Zyed, Bouna et Adama, on oublie pas, on pardonne pas ». Nous savons tous pourquoi nous sommes présents ce soir.

Puis, la foule se déplace à nouveau vers le boulevard de la Chapelle. La situation commence alors à devenir explosive, il est environ 19 heures. Les slogans reprennent avec force et je vois les CRS postés sur le boulevard de Rochechouart s’avancer dans le carrefour : je crains qu’ils ne chargent. La foule s’agite et je m’éloigne par prudence. Mais il n’y a aucun endroit qui soit vraiment isolé puisque nous sommes cernés de toutes parts par les forces de l’ordre.

Si jamais la situation dégénérait, je serais prise pour une durée indéterminée et les policiers ne laisseraient probablement plus sortir personne. Aussi, j’ai été tentée de partir pendant que je le pouvais encore, ce que certains ont fait. Mais j’ai décidé de rester et voir comment la situation tournait.

Les CRS ont finalement reculé dans le boulevard de Rochechouart sans charger. Toutefois, quelques minutes après que la foule se soit rassemblée boulevard de la Chapelle, les slogans ont redoublé et un abondant nuage de gaz a été lâché, bientôt suivi d’une fusée de détresse rouge : le premier tir de sommation. Repoussée par le gaz, la masse a quitté le boulevard de la Chapelle pour chercher ailleurs un peu d’air respirable. Beaucoup s’équipent alors de masques, d’écharpes, de lunettes de plongée. Je comprends que la plupart des gens présents ce soir-là étaient habitués à ce type de rassemblement.

Après le premier nuage de gaz, vers 19h25, l’inquiétude devint palpable, beaucoup remarquaient avec angoisse que nous étions cernés ou demandaient à leurs ami-e-s s’ils ne pouvaient pas partir. En l’espace d’un quart d’heure à peine, près de la moitié de la foule avait déjà quitté la place, gagnant les sorties ménagées par les forces de l’ordre.

Je suis partie à 19h57, il n’y avait alors plus qu’une poignée de personnes et la situation était calme. Finalement, il n’y a pas eu de nouveaux accrochages après ce premier gazage.

Les policiers placés au niveau de Rochechouart ont laissé sortir des personnes durant tout le temps du rassemblement, au compte-goutte toutefois, en procédant à un contrôle d’identité et une fouille des sacs.

Je n’ai pas observé de dégradation sur le carrefour. Je n’ai pas non plus assisté à des charges de CRS, mais comme dit plus haut, je n’étais bien souvent pas au cœur de la mêlée et je ne pourrais pas affirmer qu’il n’y en a pas eu. Je pense que la majorité des personnes présentes ce soir-là étaient pacifiques et cela, ajouté au climat de tension et de peur palpable, explique à mon sens qu’elles se soient si rapidement dispersées.

Pour ma part je continuerai à me mobiliser jusqu’à ce que justice soit faite, pour Théo et tous les autres.

On lâche rien.

Milena.

Crédits photos:

  • Manifestation contre les violences policières: Jules
  • Manifestation de soutien à Théo le 15 février: Jules
  • Manifestation de soutien à Théo le 15 février: Jules

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *