Nuit Debout : Coupable d’association de bienfaiteurs

Fin octobre 2016, Nuit Debout Strasbourg est tombée dans une léthargie virale, à l’image des autres villes participant au mouvement. Je revois régulièrement Christoph, un des initiateurs de Nuit Debout Strasbourg. Un soir, il me dit qu’on ne peut pas s’arrêter là, comme ça. Qu’on doit transformer les énergies collectées et poursuivre le rêve.

Christoph m’invite à boire un verre au Kitsch’n bar avec ses amis. On s’installe et il nous annonce vouloir créer une association axée sur la solidarité et l’entraide. Il nous regarde et nous demande : « Vous en êtes ?» Tout le monde répond : « Oui ! » Il sourit, et commence à nous raconter une histoire, celle de la naissance d’un groupe d’entraide baptisé IESS solidarités Actives.

« J’ai rencontré Muhammad un soir, à Nuit Debout Strasbourg, au tout début du mouvement. Après un court échange où il m’explique qu’il est demandeur d’asile et n’a pas d’hébergement, nous faisons une annonce pour inviter celles et ceux qui pourraient lui offrir un toit à se manifester.
Nous parvenons ainsi à lui trouver une solution pour quelques nuits. Il pourra se reposer. Mais les mises à l’abri ne sont que de courte durée, chacun(e) faisant de son mieux pour lui offrir un répit, mais ne pouvant s’engager pour une longue durée. Je ne me rappelle pas le nom de toutes les personnes chez qui il a été accueilli. Mais je crois que cela a beaucoup compté pour lui. C’est aussi un aspect moins visible de Nuit Debout qui en a fait sa valeur humaine pour ce qui me concerne. Chaque fois Muhammad est revenu lorsqu’il se retrouvait à nouveau seul, à nouveau confronté à la rue.

Et puis l’été est arrivé, et avec lui la disparition progressive des rencontres sur la place de la République. Muhammad vient passer quelques nuits à la maison, quelques-unes chez une amie, mais nous ne parvenons pas à stabiliser sa situation : lui offrir un canapé dans un salon par lequel nous devons passer pour accéder aux chambres n’est pas une solution qui offre une intimité suffisante. Ni pour lui, ni pour nous…

Devenir amis
Il est d’une incroyable gentillesse. Très discret aussi. Il parle assez bien anglais, même si son accent nécessite de s’accoutumer pour bien se comprendre. Il dit oui à tout et je me rends compte qu’il dit parfois avoir bien compris, juste pour ne pas me froisser ; c’est source de malentendus dont nous nous amusons. Il faut affiner la communication. Se prêter une attention mutuelle plus grande pour être sûrs de se comprendre.

Muhamad par Christoph

Je suis heureux : il m’appelle « my brother ». C’est pour moi un honneur. Et un poids, car je me sens obligé de chercher une solution qui lui permette de vivre dignement. Malgré mes appels auprès de mon entourage, je ne trouve pas la bonne solution. Il passe un été de galère, même s’il rencontre une fille avec qui il passe souvent la nuit dans une voiture. C’est d’ailleurs cette rencontre qui l’a rendu plus pressant : pouvoir accueillir quelqu’un dans de bonnes conditions est primordial pour pouvoir nouer des relations.
C’est en septembre que Manu s’est proposé pour un accueil d’un mois, dans une vraie chambre. On en a d’abord parlé ensemble : je lui ai raconté ce que je savais de la situation (la situation administrative et financière de Muhammad, son parcours, ses qualités, etc.). Nous avons parlé des « risques » d’un accueil : l’attachement, le débordement qui fait que l’on donne plus que ce que l’on peut réellement assumer, la nécessité de ne pas être seul à accompagner lorsqu’on accueille une personne que l’on ne connaît pas encore…
Une chambre, une aventure. Mais Manu s’est porté volontaire. Et il a fait les choses en grand !

Lorsque, finalement, nous nous rendons chez lui avec Muhammad, tout était prêt. Il avait même été dans une librairie pour acheter deux méthodes d’apprentissage du français qu’il avait pris soin d’emballer dans du papier… le cadeau de bienvenue donnait le ton : « Je veux que mon aide te permette de réussir à rebâtir ta vie en France. »

Manu emmène son nouveau protégé manger au restaurant, lui présente ses ami-e-s, lui paie un abonnement à la piscine… Il va jusqu’à accueillir un ami de Muhammad sur le canapé de son salon, un compatriote qui est également demandeur d’asile sans hébergement.
Le mois d’accueil s’est prolongé. Manu a mobilisé son réseau pour permettre à Muhammad d’accéder à des cours de FLE (Français Langue Étrangère). Il l’a accompagné dans ses démarches, notamment à l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration) pour débloquer sa situation financière. Il mobilise son entourage pour lui permettre de construire un parcours professionnel. Tout cela n’est pas simple et demande parfois que nous fassions le point pour mettre en commun nos connaissances et y voir clair.
Par exemple : un demandeur d’asile n’a pas le droit de travailler. Il peut, après un certain temps de présence sur le territoire français, demander à la Préfecture de rayer la mention « sans droit au travail » qui figure sur le récépissé qui fait office de pièce d’identité pendant la procédure. Mais la Préfecture ne supprimera cette mention que si un employeur se manifeste en remplissant un formulaire Cerfa dit « contrat simplifié » dans lequel il s’engage à payer une taxe à l’État français. Or cette taxe est prohibitive. La plupart du temps, les employeurs qui font cette démarche, demandent aux personnes qu’ils embauchent de rembourser cette taxe…

Comment faire encore mieux ?

Bref, nous nous rendons compte que les moyens dont nous disposons, que ce soit Muhammad, Manu ou moi-même ne vont pas suffire à aider correctement Muhammad dans son parcours d’intégration : à la taxe de 900 € environ, il faudrait également rajouter une inscription à l’université pour que Muhammad puisse valoriser en France son diplôme d’ingénieur afghan. Il faudra ensuite qu’il s’installe si tout va bien pour ce qui est de l’obtention des papiers, etc.

Il nous faut donc mobiliser d’autres personnes. À nous 3, nous constituons une sorte de groupe d’entraide, mais il faut que d’autres personnes nous rejoignent pour que nous puissions aller au bout du projet. Constituer une caisse de solidarité et/ou lancer un financement participatif sur internet ? Trouver un hébergement pérenne pour l’ami de Muhammad et construire un nouveau groupe d’entraide, mais avec qui ? Comment « recruter » des volontaires ?

Je mesure à peine à quel point ces rencontres sont riches. À quel point elles ont un impact sur ceux qui se lancent. Je fonde beaucoup d’espoir dans ce nouveau projet : IESS Solidarités Actives ! J’espère que grâce à cette association nous parviendrons à mobiliser les ressources nécessaires à l’intégration de Muhammad dans la société française. Ainsi qu’à celle de son ami et de tant d’autres qui n’ont rien. Qu’ils viennent de loin ou qu’ils soient nés ici.
Aujourd’hui nous sommes invités chez Manu, ma famille et moi. C’est Muhammad qui cuisine et nous allons découvrir la gastronomie afghane. Le temps que nous partagions, le temps de la découverte et de l’amitié, c’est le temps des liens qui permettent de faire face aux difficultés. Le temps de manger ensemble c’est un peu la preuve que nous sommes sur la bonne voie. Nous devons prendre le temps si nous voulons aider et y prendre plaisir. »

Naissance de l’entraide

Une semaine après notre rencontre, nous avons créé l’association IESS. Christoph publiera l’histoire de cette naissance sur le site internet. Ce texte est comme une genèse fondatrice. Je me retrouve dans chaque phrase, chaque mot utilisé pour vous montrer que le parcours est difficile, très difficile. Mais que ce parcours est comme un bus de ville qui s’arrête aux stations pour charger de nouveaux passagers. Dans « le bus » de Muhammad, à chaque arrêt, un humain montait et faisait un bout de route avec lui en l’aidant à sa manière. Je suis monté dans son « bus » pour une soirée, j’ai fait un voyage merveilleux à la rencontre de l’autre. En dehors des images dirigées des médias, des rumeurs. J’écoutais juste un ami qui avait vécu ce que d’autres supposent.

Au final, même si son parcours est difficile, il est aussi beau dans la mise en place de la chaîne humaine qui l’attend à chaque arrêt de bus.
Nuit Debout n’a peut-être pas révolutionné le monde, loin de là, mais une chose est certaine : le mouvement a réveillé une foule de citoyens. Les participants ont décidé simplement de descendre de ce « bus » conduit par les médias et les politiques pour prendre un autre bus où « un » Muhammad attendrait qu’on vienne lui tendre la main. Faut-il avoir participé à Nuit Debout pour agir ? Non, vous pouvez le faire sans appartenir ou suivre un groupe, un drapeau.

La majorité de ceux qui ont choisi de rester dans la vague Nuit Debout ont aussi décidé de continuer sa philosophie : reprendre sa place dans ce monde et surtout, ouvrir les portes aux rencontres sans devoir répondre d’une appartenance préalable à un parti, une religion, une catégorie…
Est-il si difficile de faire les choses sans devoir être sous une pancarte ? La lutte est-elle fédératrice si elle impose en premier un logo ? Muhammad n’aurait pas vu un membre d’association arriver pour lui tendre la main, mais bien d’abord un humain sensible à son parcours. Maintenant, quand je croise Muhammad, je suis tout d’abord heureux pour lui, dans la mesure où il est entouré de citoyens qui s’occupent de lui. Puis immédiatement, je pense à tous les autres, ceux qu’on ne voit pas, qui n’ont personne pour être entendus et épaulés. Combien encore ? Je pense que Muhammad le ressent et qu’il en est presque gêné. Gêné d’avoir réussi à survivre à son long voyage.

Je finis avec les remerciements d’usage à tous ceux qui m’ont ouvert leur vie, parce que rien de ce que je vous écris ne vient par magie, c’est le fruit d’une multitude de discussions et d’échanges qui m’emmènent à chaque fois vers d’autres questions, d’autres réponses, d’autres vies à comprendre et à aider. Chaque soir, j’engrange la récolte de paroles. Et un remerciement spécial pour Aniramsky, une jeune artiste de Strasbourg qui a fait l’illustration en tête de l’article.

Je suis novice dans l’aide à l’autre de façon désintéressée. Mais un soir du 5 avril, place de la République à Strasbourg, je me suis réveillé… Un réveil douloureux de presque 5 mois, mais franchement, le petit déj est excellent 😉

 

La Hulotte Prod

Correspondant à Strasbourg pour la Gazette Debout

Crédits photos:

  • Muhamad par Christoph: Christoph
  • iess: ANIRAMSKY

Une réaction sur cet article

  • 10 février 2017 at 21 h 14 min
    Permalink

    Bonsoir gazette et nuit debout; bien sûr qu’on le sait, ce n’est pas parce qu’il s’appelle Muhamad que c’est un terroriste; le terroriste c’est Bachar, le terroriste c’est son copain Vladimir Vladimirovitch, le terroriste c’est le roi d’Arabie; ce sont ceux-là les terroristes et ils génèrent le terrorisme.. Il faut continuer le combat et ne jamais taire notre foi en la solidarité.. « Et cependant, Elle tourne.. » À plus et prenez soin de vous et des réfugiés, et prenons soin des réfugiés.. Salutations..

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