Théâtre : « Je préfère être un météore » ou l’audace de la pensée

Gazette Debout lance une nouvelle rubrique, Culture Debout, afin de vous guider vers les oeuvres qui résonnent le plus avec Nuit Debout, pour y trouver de l’espoir, des idées ou des arguments et vous inciter à y emmener ceux qui doutent. Car la culture est politique, toute la culture. Nous ne recevons pas d’invitations, aussi nos choix seront-ils purement libres et subjectifs. Nous placerons chacune des oeuvres sur une « échelle Debout » qui compte 10 échelons : 1 correspondant à une oeuvre aux antipodes des idées de Nuit Debout et 10 correspondant à une oeuvre qui les épouse parfaitement. Aujourd’hui, Je préfère être un météore de Romain Cottard et Paul Jeanson avec Sophie de Fürst au Théâtre de Belleville.

« Sophie de Fürst, nous dit le flyer du spectacle, est une jeune femme de 30 ans qui sillonne la France depuis plusieurs années avec son cycle de conférences autour de la grande question, celle que tout le monde se pose. »

Ceux qui connaissent Sophie de Fürst, ou qui savent utiliser Google, pourront être interloqués par cette présentation. C’est le but. Je préfère être un météore est un spectacle ovni entre le one-woman show, le seul en scène absurde et la conférence intellectuelle.

« Entre le vrai et le faux, il y a l’apparence du vrai, l’imposture. Certains appellent ça la réalité », conclut le flyer dans ce qui pourrait être une citation de grand philosophe. La parole philosophique est cryptique, personnellement je soupçonne les philosophes de complexifier artificiellement leur pensée pour justifier leur position sociale (et leurs émoluments). Ce qu’il y a de compliqué dans la philosophie n’est pas d’avoir les idées mais de les transmettre dans une langue suffisamment obscure pour être incompréhensible par le béotien, tout en ayant l’apparence de l’intelligence pour le lettré.

Heureusement, il y a l’art, la fiction et le théâtre. En présentant ce spectacle par un paradoxe, Sophie de Fürst et ses auteurs nous emmènent vers la réflexion. Mais la personnalité survoltée de l’actrice, son humour et l’intelligence du texte, qui enchaîne citations et concepts philosophiques, blagues potaches et confessions bouleversantes, nous ramènent au réel et à l’émotion. Le but n’est pas de comprendre mais de ressentir le concept.

Alors la comédienne fait feu de tout bois, elle apostrophe le public et les employés du théâtre, elle enchaîne, avec son débit de mitraillette, les apartés et les idées, elle illustre et déconstruit. Toutes les notions sont théorisées, puis vulgarisées et montrées par le jeu, l’image ou l’exemple. L’incompréhension fait place à l’absurde, l’intelligence se mêle à l’hilarité, la frénésie utilise l’ennui, le corps et la musique. Le fou rire secoue le spectateur et ses larmes ne savent plus si elles sont de joie ou de peine. La tornade blonde qui s’agite sur scène emporte tout, le vrai n’a plus d’importance et l’instant prime. C’est un cri de l’âme, un poème beat, une charge contre l’apathie. C’est bouleversant, enivrant, passionnant.

En jouant une autre version d’elle-même, en livrant ses névroses et ses blessures les plus intimes, avec une sincérité rare, Sophie de Fürst sublime la philosophie. « Ce que je vous propose c’est […] une déflagration brûlante de pensée pure. C’est de l’humain en bloc », nous dit-elle à mi-parcours, alors que la conférence prend l’eau. Voilà qui résume toute la sublime folie et l’intérêt de ce spectacle.

Echelle debout 7/10 : Si l’école de la République enseigne la philosophie, c’est que ses concepteurs reconnaissaient l’importance de cette dernière dans la construction d’un citoyen responsable. Nuit Debout a libéré la parole de ce citoyen et, à travers la commission éducation populaire, elle a entamé son émancipation. Je préfère être un météore participe de ce mouvement en vulgarisant les concepts philosophiques d’altérité et de construction de soi. Mais le spectacle ne s’intéresse pas qu’aux idées, il égratigne aussi la société néo-libérale, la société du spectacle de Guy Debord, où l’individu n’existe que s’il consomme, où il n’a vécu que s’il a coché un certain nombre d’expériences, s’il a fait un certain nombre de pays. En posant la question du soi, en incitant à vivre tel le météore du titre et de la citation de Jack London, Sophie de Fürst nous incite à nous rebeller et à franchir les limites d’un système qui veut nous endormir et nous persuader qu’il n’y a pas d’alternatives.

Je préfère être un météore, texte et mise en scène de Romain Cottard et Paul Jeanson avec Sophie de Fürst du mercredi au samedi à 19h15 au Théâtre de Belleville, jusqu’au 10 Décembre.

Ndlr : L’échelle debout ne constitue en rien une note donnée à l’oeuvre mais permet seulement de la situer par rapport au mouvement Nuit Debout.

Sébastien Novac.

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Crédits photos:

  • Sophie de Fürst: Romain Cottard

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