Police Debout #2 : les menottes tremblent !
Comme promis, je suis retourné à la rencontre des policiers qui manifestent place Kléber à Strasbourg (cf article précédent). Cette fois, nous nous sommes clairement présentés comme Nuitdeboutistes. Ils sont ce soir une cinquantaine sur la place. Nous sommes accueillis par un policier manifestant que nous appelerons Kamil ; il nous réexplique la raison de leur présence ici chaque soir :
« Kamil : On vient de refuser la promesse de Cazeneuve pour les millions d’Euros.
La Hulotte : Du coup c’est pour ça que vous manifestez ?
– Bah depuis un moment déjà. Et pis ils ont réformé la garde à vue !!
– On était déjà venus vous voir une première fois pour discuter.
– Le gardé à vue pourra discuter avec la personne qu’il désire….On est en garde à vue !!!
– De ce que j’ai compris, ils veulent aussi remasteriser la légitime défense ?
– Non mais ça c’est plus d’actualité. Maintenant, ils sont recentrés sur les droits de la garde à vue ! Et nous qui sommes enquêteurs on peut plus… la traiter !
– Mais aujourd’hui vous demandez quoi en fait ?
– Qu’ils arrêtent de compliquer la garde à vue, qu’ils arrêtent d’envoyer des collègues avec une radio qui ne marche pas ! Hier, il y avait 2 détenus pour 2 collègues et les radios ne marchaient pas…On n’est pas assez nombreux de toute façon. Ça va aller encore au clash et voilà quoi. On a déjà pas de renfort entre nous, donc je ne vois pas comment on peut porter assistance à la personne. Parce qu’on est un peu au service du public quand même. Et là, le public, on ne peut pas trop lui donner satisfaction parce que nous même on n’est pas très…
– Mais je vois ce soir qu’il y a les pompiers, ça fait longtemps qu’ils sont avec vous ?
– Les pompiers ouais, les matons ils bloquent les prisons…
– Les matons bloquent les prisons aussi ?! Parce que le premier soir où on est passé il y avait que vous les policiers.
– Là on peut pas être aussi nombreux que le week-end parce que tout le monde est sur une patrouille, y a les motards qui ont été rappelés. Voilà le problème. On va voir pour s’organiser de nouveau. Vendredi y a 15 jours on était 200-250…
– Ah ouais ?! D’accord… et ça vous parait utile ce que vous faites ici ?
– Bah de toute façon on a pas le choix ! Parce que dans toute l’administration c’est en train de péter…
– Dans quel sens ?
– Tout ce qui s’est passé dans l’actualité, les policiers qui descendent dans la rue. On est en état d’urgence, on ne va pas se faire cramer des bagnoles. Moi j’en ai rien à foutre que quelqu’un n’aime pas la police, mais qu’on vienne pas me faire chier…
– L’état d’urgence il en dit quoi ?
– L’état d’urgence ?! bah on est pas assez nombreux pour le faire l’état d’urgence…
– Mais il te parait justifié ?
– Justifié ?! Bah ouais parce que là il va y a voir le marché de Noël par exemple..
Un an après, ça te parait toujours justifié ?
– Ouais. Daesh n’a pas dit qu’il arrêtait de poser des bombes…
– Donc tant que Daesh n’aura pas dit ça, on va être en état d’urgence ?
– Ouais ! Parce que si on fait encore 136 morts…Si on l’arrête demain… on va pas s’étonner…Entre tous les malades qu’on a nous, pis maintenant les malades qui se revendiquent de je sais pas quoi…voilà
– Mais à Nice, y a eu des problèmes quand même ? État d’urgence ou pas.
– Justement, c’est ce qu’on dit : on est pas assez nombreux !! »
Les policiers ont peur
L’entretien d’une quarantaine de minutes s’annonce classique au début. On ressent le ras-le-bol déjà exprimé lors de notre première rencontre, puis le refus des syndicats ainsi que le manque de moyens, la non-reconnaissance de la hiérachie… Somme toute, un discours qui confirme les paroles de ses collègues, rencontrés trois semaines auparavant. C’est au bout de trente minutes de dialogue qu’une nouvelle idée fait son apparition. La police a peur ! Enfin, nous avons une raison sensée, qui fait parler l’humain et non le policier.
« Je ne suis pas tranquille. J’ai été menacé de mort plus de 27 fois en 14 ans […] je te le dis franchement, demain j’ai peur ! Parce que demain je travaille ! »
Il a peur de mourir en protégeant les citoyens, car il veut défendre la population, comme la majorité de ses collègues. Nous ne parlons pas ici de peur au sens ridicule du terme, mais bien d’une peur primaire normale face au danger de mort, face aux images d’une indécence totale observées chaque jour. Il accuse très clairement le manque de formation : personne n’est correctement formé à voir des cadavres, des viols, des incestes en direct lors d’interpellations. Il nous donne un exemple très cru : « Quand tu arrives chez un type et que tu vois sa gamine de 4 ans en train de tailler une pipe au grand-père ! Quand tu vas arriver sur une scène où toute une famille s’est faite assassinée. Ton cerveau il est humain ! »
Il ne ressent aucun mépris ni agressivité envers Nuit Debout, expliquant même qu’il comprend la démarche et que pour lui : « Nuit Debout, j’aime bien parce que ça fait un contre-pouvoir intelligent. C’est comme la Vox Populi, mon film préféré c’est V pour Vendetta, j’estime qu’un gouvernement, à un moment, il faut le stopper. Et pourtant je suis fonctionnaire. Les politiques sont tous des bons à rien […] Moi, Nuit Debout je l’ai bien vu parce qu’on se foutait de la gueule du peuple, et le peuple c’est bien de rappeler qu’il existe. Moi j’ai pas voté depuis 5 ans. Hier entre le pire et le moins pire, j’ai entendu parler Macron. Je me suis dit tiens, un mec qui parle comme moi, un mec qui dit » j’assume mes responsabilités ». Ça fait combien de temps que je n’ai pas entendu un homme politique disant qu’il assume et parlant comme nous ?»
Il a été CRS pendant 4 ans et ne cautionne pas les dérapages policiers lors des manifestations Nuideboutistes. Mais explique quand même que peu d’images des policiers blessés ont été diffusées en miroir de celles des manifestants blessés. Il mettra un petit moment à finalement admettre que les droits de la presse ont été bafoués.
On aborde enfin le problème des syndicats : « Les syndicats c’est tous des pourris ! Ils sont tous politisés. SGP c’est la gauche, Alliance c’est la droite. Mon collègue, il n’a pas eu son avancement, alors qu’il a eu son examen ! Dans toutes les professions, vous avez votre examen, vous avez votre avancement. Nous, il faut qu’on soit syndiqués, après on est sur une liste. Puis, on est sur une liste du patron, et c’est seulement quand les 2 listes sont communes que tu peux gagner 25 € de plus. […] J’ai des collègues qui rendent leur carte (de syndicat), moi ça me coûte 85 € parce que si je suis emmerdé par la police des polices parce que tout le monde peut déposer plainte contre moi, il faut que je sois syndiqué, si je veux avoir un avancement, il me faut un syndicat, une mutation, il faut un syndicat. Sinon t’attends. Ca fait 6 ans que j’attends, l’examen ça fait 6 ans que je l’ai, et j’attends pour 22,50€ d’avancement. Faut pas s’étonner qu’il y ait des ripoux, on arrête des gens qui se font trois fois plus que nous !! »
Pour finir, je demande à Kamil de me résumer en trois points les revendications des policiers :
« 1 – Du matériel et des renforts formés. 2 – Réformer la loi et l’appliquer avec des moyens. 3- Être entendus. » Avant de nous séparer, Kamil nous dit en avoir vraiment marre, et vouloir démissionner pour se reconvertir en professeur d’histoire.
En réécoutant ces paroles de policiers, je me suis vite rendu compte qu’ils disaient plutôt la même chose que nous sur beaucoup de points. Sauf peut-être sur Macron, même si je comprends très bien ce que Kamil a voulu nous dire.
J’ai rencontré 2 fois les policiers place Kléber. À chaque fois, j’ai été obligé de constater qu’ils sont accessibles, écoutent, et sont humains autant que nous. Les préjugés dont ils souffrent sont bien largement au-dessus de la réalité. J’ai dialogué avec Kamil qui nous explique être à bout, et pourtant je ressentais vraiment son envie de protéger les citoyens. En comprenant sa peur humaine, j’ai peut-être trouvé un point commun avec Nuit Debout : nous ne nous sommes peut-être pas rassemblés sur nos places par ras-le-bol, mais par peur. La peur d’un avenir très sombre. Ce qui explique peut-être aussi la baisse du mouvement Nuit Debout : une fois ensemble, nous nous sommes mutuellement rassurés, ceux qui se sentaient mieux ont décidé de reprendre leur route, et ceux qui ont encore peur de cet avenir poursuivent avec Nuit Debout.
C’est ce point commun que je pense avoir compris. Et aussi le fait que les policiers se rassemblent aussi la nuit, et debout.
Merci à Kamil de nous avoir parlé sans retenue, et merci aux Nuideboutistes de Strasbourg de m’avoir accompagné : Xavier, Enzo, Alice et Jérôme.
La Hulotte, correspondant à Strasbourg pour Gazette Debout
Crédits photos:
- Police: Nuit Debout / DR
- Collages_2_3: Stéphanie Pouech / DR
- police-debout: La Hulotte
Un article très bien écrit et qui vient humaniser ces policiers qu’on pense souvent à tort robotisé et dénué de sensibilité. Cependant encore beaucoup trop de « policiers-cowboys » viennent eux, noircir le tableau et renforcer les préjugés…
Sur le fond, on comprend leurs peurs et leurs revendications, car on les partages au quotidien, chacun, et à tous les niveaux et dans chaque structure qu’elle soit privée ou publique. Aujourd’hui j’ai peur de ne pas voir mes enfants grandir, mais surtout, j’ai peur qu’un de mes enfants parte avant moi en allant voir un concert, un feu d’artifice ou un match de foot. Combien de temps vais-je encore avoir cette boule au ventre en les regardant sortir de la maison ??? Ça sera permanent? Dois-je m’y habituer?
Reste-t-il une place pour des éborgnés et des bleus à l’âme ?
D’autre part, l’histoire apprend qu’aucune révolte n’a réussi sans appui des forces de
la répressionl’ordre…Super article. Votre etude du mouvement avec le lien peur et rassemblement et digne d’un grand reporter.
Celà fait le troisième article de ce journaliste que je lis dans la Gazette, et franchement, on ressent le cote humaniste de ce reporter. Votre hulotte est une bonne recrue.
Vivement les prochains.
« Quand tu arrives chez un type et que tu vois sa gamine de 4 ans en train de tailler une pipe au grand-père ! Quand tu vas arriver sur une scène où toute une famille s’est faite assassinée. Ton cerveau il est humain ! »
Un policier normalement constitué ne peut finir sa carriere sans avoir des séquelles psychologiques à force de côtoyer, supporter journalièrement la misère, l’horreur des conséquences de la déliquescence de notre société.
Les fdo, pompiers, personnels hospitaliers sont en 1ère ligne 24/24, 7/7…
Pour quelle reconnaissance du peuple, des gouvernants, de leur propre hiérarchie ?
Quand tu te lèves le matin pour aller à ton job pour un salaire minable (de la peur) avec le sentiment profond que ton action devient inutile, grâce ou à cause de personnages dont l’ambition n’est pas la quiétude de la population mais leur plan de carrière…..