Arrêté pour avoir aidé des réfugiés

En France, porter secours aux exilés peut conduire en garde à vue. Voici le témoignage de Pierre-Alain Mannoni, un enseignant chercheur de la région de Nice, poursuivi en justice pour avoir tenté d’aider des jeunes réfugiés. Un texte poignant qui prouve une fois encore que l’entraide, la bienveillance et la générosité, sont aujourd’hui piétinées par ceux qui nous gouvernent. Son procès se tiendra le mercredi 23 novembre à 13 h 30 au Palais de Justice de Nice. 

J’ai 45 ans et je suis père de 2 enfants, fonctionnaire de l’Education Nationale, Ingénieur d’Etude dans un laboratoire de recherche du CNRS / Université Nice Sophia Antipolis. Je suis également enseignant au département de Géographie de la Faculté des Sciences et Membre du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel Provence Alpes Côte d’Azur. Je n’étais pas jusqu’à présent militant politique ou associatif.

Dimanche 16 octobre, en rentrant en voiture de la fête de la brebis à la Brigue avec ma fille de 12 ans, nous avons secouru 4 jeunes du Darfour. Ce village français se trouve dans la vallée de la Roya qui est frontalière de Vintimille en Italie. C’est dans cette vallée que sont régulièrement secourus des hommes mais surtout des femmes et des enfants qui se trouvent sur ces routes de montagnes et qu’on appelle migrants. Ces 4 jeunes étaient complètement perdus et se dirigeaient à pied, certains en bermuda, vers les montagnes enneigées. Avec ma fille, nous les avons ramenés à Nice, ils ont mangé et dormi avec nous dans mon appartement de 40 m². Le lendemain, comme tous les jours d’école, nous nous sommes levés à 6 h 15. Ils sont venus avec moi emmener ma fille à l’école, puis, je les ai déposés dans une petite gare peu surveillée par la police et je leur ai payé un billet de train pour la première partie du trajet. Ils devaient retrouver leur famille à Marseille.

C’était ma première action de secours envers ces “migrants”. Pourquoi je l’ai fait ce jour là ? Jusqu’à présent avec mes enfants, j’avais déposé des vêtements à la Croix rouge à Vintimille, des chaussures, un sac à dos, pour aider mais aussi pour leur montrer qu’il y a des injustices dans le monde et que chacun de nous peut faire quelque chose. Ce dimanche, c’était la deuxième fois que je voyais un groupe sur le bord de la route. La première fois j’avais hésité, je n’avais pas eu le courage, mais cette fois-ci il y avait ma fille et j’ai pu lui montrer l’exemple.

Le lendemain lundi 17 octobre, après une soirée chez des amis dans cette même vallée, sur le retour vers Nice, je décide de m’arrêter dans ce camp pour migrant à St-Dalmas de Tende, un bâtiment désaffecté pour colonies de vacances de la SNCF qui a été ouvert en urgence quelques heures auparavant, sans autorisation, par un collectif d’associations dont la Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International et un tas d’associations nationales et locales (N.D.L.R. : le camp a été évacué le 20 octobre). L’ouverture de ce lieu a fait l’objet d’un communiqué de ces associations dans les médias. Je sais que mon retour vers Nice est une opportunité d’en sortir quelques-uns de ce lieu sans eau, ni électricité, où la température en pleine nuit ne doit pas dépasser 10 degrés. Je décide d’en ramener chez moi et de les déposer à la gare le lendemain.

Ce sont 3 filles qu’on vient d’aller chercher à l’étage. On me dit qu’elles sont contentes de ma proposition car elles sont attendues par une association à Marseille pour être soignées. Quand je les vois, mon coeur se déchire. Elles ont peur, elles ont froid, elles sont épuisées, elles ont des pansements aux mains, aux jambes, l’une boite en faisant des grimaces de douleurs et l’autre ne peut pas porter son sac avec sa main blessée. J’apprendrai plus tard que l’une d’elles est la cousine de la jeune fille tuée sur l’autoroute vers Menton quelques semaines avant. Elles ne parlent ni Français, ni Anglais. Il faut marcher une centaine de mètres pour rejoindre ma voiture et cela prend très longtemps, car l’une se déplace très difficilement. J’en profite pour essayer de savoir de quel pays elles viennent. Erythrée. Une fois dans la voiture, je constate qu’elles n’ont jamais utilisé de ceinture de sécurité. Je suis dans l’embarras de m’approcher d’elles effrayées pour leur mettre la ceinture. Elles n’ont pas peur de moi mais dans leurs yeux, je lis qu’elles savent que rien n’est gagné. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’au long des 6000 km qu’elles ont fait pour arriver jusqu’ici, elles ont fréquenté la mort et son cortège d’horreurs qu’on n’ose imaginer. Je démarre avec à mon bord ces filles, dont je dois prendre soin et que jeveux amener à bon port. J’éteins la radio, la situation est suffisamment incroyable.

Nous n’arriverons pas à Nice. Au péage de la Turbie, les gendarmes nous arrêtent et nous conduisent à la Police de l’Air et des Frontières. Ils m’ont séparé des Érythréennes. Ce n’est pas clair de ce qu’ils ont fait d’elles, mais je ne crois pas qu’elles aient été soignées. Elles auraient été renvoyées au sud de l’Italie comme cela se fait souvent. Les policiers m’ont dit qu’au moins l’une d’elle était mineure. Je n’ai pas réussi à les protéger.

Après 36 heures de garde à vue, j’ai été libéré sous contrôle judiciaire. Ma voiture a été saisie ainsi que mon téléphone et je n’ai pas le droit de quitter Nice, sauf pour emmener mes enfants à l’école. Mais il n’y pas de transport en commun à moins de les réveiller à 5 h 30 du matin. Mon procès est renvoyé au 23 novembre 2016 à 13 h 30 à la même audience que Cédric Herrou, membre d’association humanitaire qui est également poursuivi pour avoir aidé des étrangers.

Le lendemain de ma libération, alors que, coup du sort, j’effectuais un point de compression sur un accidenté de la route qui se vidait de son sang en bas de chez moi, un “jeune migrant” est mort percuté par une voiture sur l’autoroute à Menton, il a été projeté par dessus le parapet du viaduc et a fait une chute de plusieurs dizaines de mètres. Venu du bout du monde, perdu sur l’autoroute et mort à 20 km de chez moi.

Mon geste n’est ni politique, ni militant, il est simplement humain et n’importe quel citoyen lambda aurait pu le faire. Que ce soit pour l’honneur de notre patrie, pour notre dignité d’hommes libres, pour nos valeurs, nos croyances, par amour ou par compassion nous ne devons pas laisser des victimes mourir devant nos portes. L’histoire et l’actualité nous montrent suffisamment que la discrimination mène aux plus grandes horreurs et pour que l’histoire ne se répète plus, nous devons valoriser la solidarité et éduquer nos enfants par l’exemple.

Pierre-Alain Mannoni

Pour le soutenir, ainsi que tous les autres citoyens solidaires victimes de la vindicte étatique, vous pouvez signer cette pétition.

Crédits photos:

  • Les affaires des exilés dans la rue à Stalingrad: Nicolas DR

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