« Afectados (Rester Debout) » ou le pouvoir du nombre

Gazette Debout lance une nouvelle rubrique, Culture Debout, afin de vous guider vers les oeuvres qui résonnent le plus avec Nuit Debout, pour y trouver de l’espoir, des idées ou des arguments et vous inciter à y emmener ceux qui doutent. Car la culture est politique, toute la culture. Nous ne recevons pas d’invitations, aussi nos choix seront-ils purement libres et subjectifs. Nous placerons chacune des oeuvres sur une « échelle Debout » qui compte 10 échelons : 1 correspondant à une oeuvre aux antipodes des idées de Nuit Debout et 10 correspondant à une oeuvre qui les épouse parfaitement. Aujourd’hui, Afectados (Rester Debout), documentaire de Silvia Munt en salle ce mercredi 16 novembre 2016.

La crise économique de 2008, ce n’est pas seulement des banques en faillite, des bourses affolées et des plans de sauvetage écoeurants. Ce ne sont pas que des milliards et des pourcentages, ce sont aussi des gens, comme vous et moi, qui travaillaient pour rembourser consciencieusement leurs dettes et qui, sans avoir commis la moindre faute, se sont retrouvés sans emploi, sans ressources et sans foyer.

Avant 2008, les banques espagnoles (comme leurs homologues américaines), ont usé et abusé des subprimes, ces prêts à taux variables accordés à tous ceux qui rêvaient de posséder leur propre maison. Quand le château de cartes s’est effondré, ces mêmes banques ont vaillamment cherché à se renflouer sur le dos de ces braves gens. Se retrouvant sans emploi à cause de la crise, ces hommes et ces femmes ne pouvaient plus rembourser leurs emprunts, dont les taux étaient devenus délirants. Et les banques ont saisi leurs maisons. Mais un sou reste un sou pour le banquier consciencieux, aussi ces malheureux chômeurs, fraîchement sdf, restent-ils contraints de payer ce qui reste de leur prêt même s’ils ont été expulsés. Une double peine.

Ubuesque n’est ce pas ? Et pourtant ce n’est pas de la fiction. C’est cette réalité que nous montre sans fard le documentaire Afectados (Rester Debout) de la réalisatrice Silvia Munt. Le film commence sur l’image d’une salle communale de banlieue, adossée à une ligne de chemin de fer, comme il en existe tant. La scène se passe à Barcelone, mais nous pourrions tout aussi bien être en Seine-Saint-Denis ou dans les Yvelines (les trains de la banlieue barcelonaise ont les mêmes couleurs que nos RER. Pourraient-ils avoir été construits par la même entreprise qui ne connait pas la crise ?).

Puis, la caméra entre et se pose en témoin, en participante, d’une réunion de la plataforma de Afectados por la Hipoteca (PAH) ou plateforme des victimes du crédit hypothécaire, qui rassemble toutes ces victimes réelles de la crise. Chacun à leur tour, lorsqu’ils s’en sentent le courage, les participants prennent le micro et racontent leur histoire. A l’instar des Alcooliques Anonymes, c’est en commençant par admettre sa détresse que l’on entame sa rédemption et, comme à Nuit Debout, cette simple prise de parole suffit à donner de l’espoir et du courage. La PAH repose sur un adage vieux comme le monde : l’union fait la force, et c’est donc unis que ses membres vont tenter de résoudre leurs problèmes. Celui qui a un toit le partage, celui qui sait explique, et tous ensemble ils réouvriront les appartements et les maisons saisis, ils tiendront tête aux banques et iront même jusqu’à occuper une agence de Barcelone, dans une séquence euphorisante.

Durant tout le film, la caméra se place comme un simple témoin. Jamais Silvia Munt ne se met en scène, elle montre et laisse parler. Ainsi se révèlent les effets insidieux du système libéral : la culpabilité et la honte d’être pauvre, de devoir de l’argent ; l’ignorance et la candeur qui ont conduit ces gens à signer un pacte faustien avec les banques ; le carcan mental qui les empêche de se rebeller – il est frappant de voir les membres de la PAH se présenter en donnant leurs noms, leurs âges et le nom de la banque qui les « possède ». Heureusement, le succès de la PAH, les sourires qui illuminent les visages de ses membres nous prouvent que rien n’est inéluctable et que le peuple uni jamais ne sera vaincu.

Echelle Debout 9/10 : Le fonctionnement de la PAH et l’exaltation que provoque la prise de parole en public rappelleront l’enthousiasme des premières heures de Nuit Debout et l’émotion de ses AG où tout un chacun, de l’étudiant au retraité, du syndicaliste au chômeur, venait dire sa détresse et ses espoirs. Mais elle nous prouve aussi et surtout que c’est par le dialogue, d’égal à égal, que sont surmontées les peurs, les discriminations et les incompréhensions. Car les problèmes de l’Espagne sont aussi ceux de la France et il est encourageant de voir des pauvres, des déclassés, des immigrés, des jeunes et des vieux s’entraider pour vaincre plutôt que de se diviser et de se haïr, laissant ainsi le champ libre au pouvoir de la finance et à la fascisation des discours politiques. Afectados (Rester Debout) nous montre que les mouvements comme Nuit Debout ne sont pas vains et que quartier par quartier, ville par ville, l’espoir et l’humanisme peuvent triompher.

Afectados (Rester Debout), documentaire de Silvia Munt, en salles à partir du mercredi 16 novembre et en séances spéciales suivies d’un débat dans toute la France.

N.D.L.R. : L’échelle Debout ne constitue en rien une note donnée à l’oeuvre mais permet seulement de la situer par rapport au mouvement Nuit Debout.

Sébastien Novac.

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