Islamophobie et racisme d’État

Ericka Schiche est une journaliste américaine qui travaille pour Salon.com, The Independent, The Houston Press et plusieurs autres médias. Elle contribue au site Occupy.com, pour lequel elle a écrit sur Banlieues Debout. Depuis le début avril 2016, Ericka suit l’actualité de Nuit Debout et veut contribuer au mouvement depuis les États-Unis. Après une une analyse sur l’engagement militant et politique des Nuitdeboutistes, elle nous parle aujourd’hui des combats menés par la commission de Nuit Debout contre l’islamophobie et les racismes d’État.

La Cinquième République et la société française s’enfoncent de plus en plus profondément dans une atmosphère aussi lugubre qu’incertaine. Avec l’entrée dans un 21e siècle labyrinthique, deux questions d’égale importance se posent. La première concerne l’équilibre entre religion et sécularisme au sein d’un environnement post-colonial complexe. La seconde interroge sur la capacité du pays à régler le problème du racisme systémique.

Le phénomène néfaste de l’islamophobie persiste et, suite aux attaques terroristes, s’immisce dans toutes les conversations. Il envahit les débats, comme ce fut le cas à Nuit Debout, quand la question du burkini se posa au mois d’août 2016. Quelques mois plus tôt, l’imam de Nice Mahmoud Benzamia, dénonça un incident survenu près de sa mosquée : des inconnus avaient déposé une tête de sanglier devant le lieu de culte. Au total, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a recensé 905 attaques islamophobes en 2015.

Une commission contre l’islamophobie et les racismes d’État existe au sein de Nuit Debout depuis avril dernier. Elle s’est emparée de ces questions de manière érudite et réfléchie. Pendant les premiers jours d’existence de la commission, Yasser Louati, porte-parole du CCIF, vint s’adresser à ses membres. « Alors qu’elle est manipulée par la droite et la gauche pour des raisons idéologiques », expliqua-t-il, « la laïcité reste le principe qui guide le discours socio-politique français et forme la base de l’argumentation sur le sécularisme. Elle continue à servir de point de référence dans les discussions sur le rôle de l’islam dans la société française ».

Même parmi les chercheurs d’aujourd’hui ou d’hier, il n’y a pas de consensus sur le sécularisme ou la laïcité. Le philosophe Albert Camus écrivait dans le journal Combat du 27 mars 1945 le commentaire suivant : « La liberté des consciences est une chose infiniment trop précieuse pour que nous puissions la régler dans une atmosphère de passion. Il y faut de la mesure. Chrétiens et incroyants devraient apercevoir également que cette liberté sur le plan de l’éducation, réside dans la liberté de choix. À cet égard, et puisque l’enseignement est le fait de l’État, l’État ne peut enseigner ou aider à enseigner que des vérités reconnues de tous. Il est possible ainsi d’imaginer une instruction civique fournie par l’État. C’est qu’elle est sans contestation. Il n’est pas possible, au contraire, d’imaginer un enseignement officiel de la religion, parce qu’on se heurte à la contradiction. Car la foi ne s’enseigne pas plus que l’amour. »

Dans une interview publiée sur le journal Jadaliyya, le chercheur français Olivier Roy offre une explication de la loi française sur le sécularisme, en énonçant : « La loi de 1905, le texte fondateur de la laïcité en France, n’est pas une loi anti-religieuse, c’est un compromis. La loi de 1905 n’exclut pas la religion de l’espace public, elle ne mentionne que la pratique religieuse. Elle s’interdit de définir la religion parce que l’État se doit d’être neutre et séparé de la religion. La loi reconnaît la pratique religieuse et l’organise dans l’espace public. »

Global Debout - Paris

Mais à un certain point de l’histoire, dans un contexte socio-politique et socio-historique particulier, les politiciens commencèrent à reprendre le concept de laïcité pour des raisons idéologiques. Ils l’interprétèrent en arguant que la société française favorisait la chrétienté et utilisèrent le concept pour promouvoir des politiques anti-musulmanes, par exemple des arrêtés municipaux. Dans la même interview, Roy aborde ce sujet en disant : « Aujourd’hui, nous avons une laïcité qui voudrait que la religion reste du domaine privé, ce qui est nouveau et va à l’encontre de la loi de 1905. C’est pourquoi je dis que la laïcité d’aujourd’hui est anti-religieuse : ce n’est plus une laïcité du compromis, qui permet la liberté religieuse, mais une laïcité qui exclut la religion de l’espace public et révèle une phobie de la religion. »

Parlons également des deux premières pages du livre Vivre la fin des temps, du philosophe slovène Slavoj Žižek, dédiées à une discussion sur les propositions des politiques français de bannir le voile intégral, type burqa ou niqab.

Depuis des décennies, les écoles françaises sont le champ de bataille des débats et conflits entre les Français musulmans et les gouvernements sécularistes. En 1989, l’affaire du voile islamique, aussi connu sous le nom de l’affaire du foulard, devint un problème national lorsque 3 jeunes femmes musulmanes furent interdites de porter le voile dans une école de Creil (Oise). Cette situation mena à des protestations dans tout le pays.

L’Article 1 de la Constitution de la Cinquième République affirme : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

Au sujet des difficultés rencontrées dans la société française par les musulmans, Mounia Feliachi, membre active de la Commission contre l’islamophobie et les racismes d’État, dit : « On nous accuse sans cesse de faire le jeu du communautarisme, alors qu’en réalité les croyants de chaque religion sont les plus grands défenseurs de la laïcité. Car la loi de 1905 garantit la liberté de culte. Les mesures islamophobes qui ont été prises depuis au moins 2003 avec la loi anti-signes religieux (débat uniquement tourné vers les femmes portant le voile islamique) vont à l’encontre de la loi 1905. Et ce, sans qu’aucun responsable politique médiatisé ne s’insurge. Alors on pointe du doigt les musulmans qui tentent de s’organiser pour dénoncer ça. Et on oublie de pointer du doigt les inégalités sociales et les privilèges de ceux qui jouissent de l’entre-soi qui règne dans les institutions les plus prestigieuses de notre pays (grandes entreprises, Assemblée nationale, Sénat, etc.). 

Quand on lui demande si le format du débat en assemblée générale de Nuit Debout Paris était un format efficace de communication, Mounia Feliachi acquiesce en disant : « Oui, parce que la création de la commission a été globalement bien accueillie par le mouvement. Et les débats ont eu un franc succès. Cependant, nous n’avons pas échappé aux propos islamophobes au sein même des débats. Après, l’objectif était de ne pas laisser l’espace vide face aux propos islamophobes car avant la création de la commission, nous avions constaté que ceux qui tenaient des propos islamophobes avaient carte blanche. Et personne pour les recadrer. »

En parlant de l’arrêté municipal du maire de Cannes, David Lisnard, qui bannit le port du burkini des plages de sa commune, Mounia Feliachi analyse : « c’est pire que réactionnaire. Cela rappelle de sales souvenirs qui datent de la colonisation où l’on dévoilait les femmes de force avant de les violer. Dans un contexte d’état d’urgence où des femmes portant le voile ont été agressées sexuellement lors de perquisitions, c’est inquiétant. On parle d’interdire l’espace public à des femmes parce qu’elles portent un foulard sur la tête et une tenue qui s’apparente à une tenue de plongée. Il y a des policiers qui contrôlent et verbalisent les femmes sur la plage comme autrefois on contrôlait celles qui osaient porter le bikini ou le pantalon. »

Dans les débats, le discours sur les moindres droits dont jouiraient les femmes musulmanes est une rengaine bien connue. L’inaptitude du féminisme français, par exemple, à régler les problèmes que rencontrent les femmes françaises musulmanes est très bien documentée. Feliachi dit que l’attention portée aux femmes musulmanes est trop limitée et réductrice et devrait inclure des problèmes importants pour toutes les femmes. Elle précise : « On veut déshabiller des femmes de force au nom du droit des femmes mais à côté on supprime ou on coupe les subventions des plannings familiaux. L’accès à la contraception est de plus en plus restreint et la question de la parité et de l’égalité salariale n’est toujours pas réglée. »

La Commission aborde aussi le problème du racisme dans la société française : « Le plus navrant c’est que les débats sur l’Islam permettent de masquer les vrais problèmes, sur les questions économiques, par exemple. Et ça, beaucoup de nos alliés commencent à le comprendre. Disons que la France n’a toujours pas fait le bilan de son passé et de son présent colonial. Par conséquent, les stigmates de la colonisation, les enfants d’immigrés les subissent encore. De plus, la France refuse de prendre ses responsabilités face au racisme d’État et préfère dépolitiser cette question en imputant la responsabilité du racisme aux citoyens lambda. On le voit avec les campagnes antiracistes de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme (Dilcra). L’autre souci est qu’on retire la parole aux premiers et premières concerné.e.s. Et c’est ce qui a été fait avec SOS Racisme dans les années 80 après qu’ils ont récupéré la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 83 », ajoute Feliachi.

Quand les attaques terroristes ont frappé la France, les discussions se sont concentrées occasionnellement sur le djihadisme, l’extrémisme et, malheureusement, l’islam en général. Après l’explosion des bombes à Bruxelles, Charlie Hebdo a publié un commentaire incendiaire intitulé « Comment en est-on arrivé là ? » Parlant plus précisément de Daesh, Mounia Feliachi explique : « Déjà, il faut éclaircir le contexte géopolitique dans lequel Daesh a pu se développer. Ensuite il est nécessaire de travailler à long terme sur les causes de la radicalisation. Et il faut arrêter de tout mélanger. La pratique religieuse est basée sur des règles qui n’ont pour objectif que la spiritualité du croyant. L’idéologie de Daesh est politique et a clairement une vocation de pouvoir, et non de spiritualité. Il faut arrêter de dépolitiser la question du terrorisme en faisant croire que c’est un problème de religion. »

Finalement, Feliachi offre une analyse positive de Nuit Debout Paris : « Le mouvement a permis de se réapproprier symboliquement l’espace public, mais aussi la politique. On s’est rendu compte que non seulement on était tous capables de s’engager politiquement hors cadre des structures, mais aussi qu’on n’avait pas besoin des institutions, ni de consommer à outrance, pour se retrouver, discuter et avoir des débats de haut niveau. »

Ericka Schiche.

Crédits photos:

  • Global Debout – Paris: Nuit Debout / DR
  • AG République: Francis Azevedo / DR

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