Procès Goodyear : Amiens, capitale de la lutte

Récit subjectif du 19 octobre, première journée de mobilisation autour du procès contre 8 ex-salariés de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord, dit « procès Goodyear ». Poursuivis pour séquestration de deux cadres de l’entreprise en 2014, lesquels ont depuis retiré leur plainte, ils avaient été condamnés à 24 mois de prison, dont 9 de ferme, lors d’un premier jugement le 12 janvier 2016.

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De bon matin, j’ai pris le car pour Amiens…

Le rendez-vous était fixé à 6h Porte de la Chapelle. Le temps que tout le monde arrive et prenne sa place, il est 6h50 et les 4 cars se mettent successivement en marche. Il paraît que je suis monté dans le car des Jeunes du NPA, en tout cas je suis dans la moyenne d’âge : j’y vois surtout des étudiants venus en petits groupes, souvent par fac ou par école. Le chauffeur nous passe Nostalgie : on a droit à l’alerte enlèvement et à la manif sauvage des flics, puis la météo et « Beat It » de Michael Jackson. Les passagers finissent leur nuit. Je fais connaissance avec mon voisin de l’Ecole des Hautes Etudes de Sciences sociales (EHESS). On échange sur nos lectures courantes : il me parle des Arbres du Trotskisme, je lui raconte le début de L’histoire économique globale de Philippe Norel.

Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 23 octobre.
Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.

On arrive à Amiens à 9h30, ça sent l’air frais du matin et un peu moins mauvais qu’à Paris. Ceux de Paris 1 ont fait une banderole : « De Beaumont à Amiens, Paris 1 debout contre les violences d’Etat ». On se met plus ou moins tous derrière et on commence à avancer en « suivant les flics » comme nous l’a indiqué un militant à qui on demandait notre chemin. Deux slogans gagnent l’approbation de notre modeste cortège : le premier rapporte le message de la banderole « Justice, Justice pour Adama. Justice, Justice pour les Goodyear ». Le second, plus original, est sur un ton de menace et sur un air de Magic System : « On va brûler Matignon et les patrons si les Goodyear ils finissent en prison ». En arrivant devant le palais de Justice, on est félicités à plusieurs reprises de briser le silence un peu morne qui règne dans la foule de militants. Car le militant supporte assez mal l’immobilisme : un quart d’heure après notre arrivée, plusieurs se mettent en route en direction du parc Saint-Pierre, le silence se brise, les slogans dénoncent la justice de classe et réclament la relaxe des 8 Goodyear et les autocollants fleurissent.

… pour exiger la relaxe des Goodyear

Le parc Saint-Pierre, c’est le lieu de rassemblement où se déroule « la messe syndicale » comme certains l’appellent. Assez spacieux pour accueillir les quelques milliers que nous sommes, assez excentré pour ne pas déranger grand monde. Il est 10h45, nous assistons aux dernières minutes du film Liquidation de Mourad Laffitte, qu’il préfère appeler un « ciné-tract ». Lui succèdent divers comités de soutien aux ex-Goodyear : celui de Beauvais (CGT), qui rappelle la mobilisation pour les « Manufrance » en 1993 ; celui de Chambéry (regroupant partis, syndicats et associations) affirmant que « la répression a un but : la régression ». Celui de Mulhouse (comité hétérogène formé « autour de Nuit Debout ») avait deux intervenants : Susanne qui se réjouit de cette hétérogénéité, de sa « force extraordinaire », et se satisfait de « n’être pas là pour les organisations [mais] pour défendre les droits des travailleurs » ainsi que Matthieu, cheminot sous le joug d’un licenciement par la SNCF, pour qui  « les Goodyear sont le haut de l’iceberg, derrière eux il y a des centaines de manifestants », inquiétés par la justice, et derrière chacun d’entre eux, « des centaines de militants qui ont peur ».

Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.
Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.

Le mot que tout le monde a à la bouche aujourd’hui, c’est « répression » : 210 procès en cours contre des manifestants et des syndicalistes, à l’exemple de Philippe Christmann qui sera jugé le 4 novembre à Paris pour avoir jeté des confettis dans une salle de réunion, des manifestants d’Aguenot, de Loïc,  dont le procès suite à l’occupation des locaux du Medef aura lieu à Paris le 8 décembre, des salariés d’Air France… Autant d’exemples qui illustrent le processus de répression à l’œuvre pour décourager les sympathisants de rejoindre la lutte.

Il est bien convenable de trouver un adversaire pour rassembler ses troupes : en lui donnant le nom de « répression », on esquive les questions qui divisent : qui réprime ? comment s’organiser face à la répression ? comment mobiliser les militants broyés ou effrayés par cette répression ? En tout cas, ça réprime sec et on comprend bien que partir en lutte sans sa grande famille syndicale, c’est risqué. En fait, on répond à ces questions, mais au sein d’un cadre, comme l’illustre Gaël (SUD PTT 92), dont le discours sera vivement applaudi à plusieurs reprises par des militants de tous bords, notamment avec cette phrase : « quelles que soient les bagarres syndicales, ce qui est important c’est les bagarres qu’on mène dans la rue ». Il se félicite des « ponts entre syndicats, entre types de répression » qui sont apparus grâce à ces luttes et il est un des rares à remettre en question les organisations syndicales. De ce point de vue, Amiens serait un « point de départ ». Certains militants, plus désabusés, m’affirment de leur côté assister une fois de plus au même cirque…

« Quand la base veut, elle obtient »

L’heure du déjeuner est arrivée, nous sommes nombreux à nous abriter sous les arbres car la pluie a décidé de s’en mêler et je rate les intervenants suivants.  Il paraît que c’est aussi le moment choisi par Mélenchon pour faire son passage éclair devant le palais de Justice, désert, qui sera diffusé par la presse nationale. J’entends de loin le discours de Ruffin, qui raconte l’histoire de Patrick, un ancien salarié de l’usine Goodyear, qui travaillait à la presse et y a perdu les doigts de sa main droite, avant que la direction ne se décide à changer les normes de sécurité. Il explique que « les milliards de Goodyear, c’est les doigts de Patrick » et parle de « dumping sécuritaire ».

Je reviens devant la scène pour assister à une sorte de sketch de Xavier Mathieu, un ex-Conti. Muni d’un masque à gaz, il gueule « ça va péter ! », « les flics veulent bouffer du gauchiste ! » en référence aux manifs policières à Paris. Il enchaîne en nous donnant les noms des accusés du jour : Juppé, Cahuzac, Valls, Ménard, Pasqua, Barroso, Balkany, Sarkozy et enfin Hollande (pour « meurtre avec préméditation du code du travail »). Son message sérieux sera de courte durée mais essentiel : nous ne sommes pas là pour rien, être là est « le meilleur des soutiens » que l’on peut fournir aux Goodyear, et à travers eux à toutes les victimes de la répression.

Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.
Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.

La pause déjeuner est visiblement plus tardive au tribunal. Mickaël Wamen, l’un des inculpés, en profite pour venir nous adresser un message mêlé d’optimisme et de colère. Il commence par remercier tout le monde et nous assure que « la relaxe on va l’obtenir ». Inquiétés pour une séquestration qui selon eux n’a jamais eu lieu – ce qui a fait rigoler le juge paraît-il – les ex-salariés et leurs avocats dénoncent le piège tendu aux dirigeants syndicaux. Ils dénoncent la violence sociale : parmi les ex-Goodyear d’Amiens-Nord, on décompte 12 morts depuis la fermeture de l’usine, et combien dans la précarité ? S’en suit un appel inclusif à « un nouveau 14 juin à Paris tous ensemble » qui lui vaudra une salve d’applaudissements malgré la pluie qui vient de reprendre. Il s’agit là probablement du discours le plus applaudi et le plus subversif de la journée. Il nous invite à nous retrouver « tous ensemble dans la rue » pour « renouveler [les] initiatives » du printemps dernier, mais il nous avertit : pour cela, il faudra peut-être à un moment « regarder dans nos structures ». Il a peut-être pris des pincettes pour le dire, mais il affirme que c’est actuellement l’organisation syndicale qui bloque la reprise d’une mobilisation massive contre la loi travail et son monde. Et il surenchérit : « il va falloir que la base reprenne ce qui lui appartient », et « quand la base veut, elle obtient ». Alors quand il nous gueule qu’on fait aujourd’hui « la démonstration que par la mobilisation on gagne, et ça, ça les emmerde ! », je me demande si le message est uniquement pour le gouvernement.

 

Une météo capricieuse

À 14h30, on a droit à un intermède musical : la Compagnie Jolie Môme nous ramène le beau temps en une chanson puis cède la place au chanteur ACCORDEMON, qui nous invite à mettre « du soleil dans toutes [nos] pensées ». Il joue une bonne demi-heure, la musique est sympathique et il fait beau. Mais la météo aime jouer des tours : les trois dirigeants syndicaux (Martinez, Lalouette et Beynel) qui interviennent ensuite seront servis par une averse qui m’empêchera de prendre de réelles notes. De toute façon, seul le discours de Beynel (Solidaires) vaut le coup. Il parle d’une lutte contre Tefal dont je n’avais pas connaissance et fait preuve d’ouverture : « c’est le procès de tous ceux qui luttent contre la justice de classe ». Lalouette (FSU) ne fait quasiment que lire un papier qui, il l’a précisé, n’est pas de lui, ce qui endort la foule plus qu’autre chose. Et Martinez l’a jouée solo, en prononçant un nombre incalculable de fois le mot CGT sans jamais faire d’ouverture à d’autres structures ni même d’autres syndicats.

Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.
Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.

La pluie fait rage, mais il suffit de quelques notes de musique pour que les nuages se dissipent : Jolie Môme est de retour sur scène et remet tout le monde d’aplomb. Leurs chansons rencontrent un franc succès. Le moment le plus fort était sans doute l’hommage aux luttes passées ou actuelles, d’ici ou d’ailleurs, au milieu de « Sans la nommer ». Après nous avoir expliqué que « c’est dans la rue que ça se passe », deux messages à faire passer : solidarité avec Loïc le 8 décembre, et refus des contrôles en manifestation. Car manifester, c’est exercer le droit de défendre sa dignité, et ces contrôles sont justement une offense à notre dignité. Une solution pratique est donnée : se retrouver avant en groupes de plusieurs dizaines, et entrer en bloc en refusant les contrôles.

Les derniers intervenants que j’ai écoutés étaient les dirigeants de partis politiques. C’est Poutou (NPA) qui s’y colle en premier. Il la joue sympathique, avec un lexique familier: « Salut », « dingue », « à fond », « euh je parle fort là peut-être ? », « merde j’ai un trou ». Il donne une vision de « la convergence des luttes » raisonnable : elle est pratique et signifie « s’appuyer sur les résistances » déjà existantes, et être prêt à « bousculer les organisations syndicales ». Le suivant, c’est Coquerel (Parti de Gauche) qui commence par s’excuser de l’absence de Mélenchon (ou plutôt de son passage en coup de vent à 13h). Vu l’accueil mitigé qui lui est fait, je me dis que c’est une bonne chose que Mélenchon ne soit pas venu au parc Saint-Pierre : encore une division qu’il vaut mieux ne pas trop voir aujrourd’hui. Son discours est plus abstrait et surtout il se place en éducateur : « vous savez camarades… », « ne croyez pas que … ». Voyant qu’il ne capte qu’un assentiment assez mou, il me semble qu’il abrège son discours (à moins qu’on ne lui ait dit qu’il dépassait le temps imparti ?). Comme beaucoup d’autres avant lui, il termine en exigeant la relaxe et s’en va au moins sur une bonne note. C’est au tour de Carlier (PCF) qui commence par lire un texte de Pierre Laurent. Et ça sonne toujours faux quand c’est lu, ça ne touche pas grand monde. Son discours à lui porte sur la « criminalisation » (mot qu’il répète à plusieurs reprises) du droit syndical sous ce quinquennat, inédite selon lui. Enfin c’est au tour d’Alice Bernard, qui représente le parti des travailleurs belges. Elle nous donne des nouvelles de la Belgique et insiste sur le caractère européen du problème. Son discours est apprécié, c’est quand même plus agréable puisqu’elle n’est pas en campagne auprès de nous.

Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.
Manifestation de soutien aux salariés Goodyear à Amiens le 19 octobre.

Le temps d’une petite bière en terrasse le long des quais et on remonte dans le car, vers 19h. On se dit qu’on ferait bien une visite touristique d’Amiens parce que ça semble charmant, mais ce sera pour une autre fois. Presque tout le monde dort dans le car, la journée a commencé tôt. En arrivant à Paris, on apprend que le parquet réclame deux ans avec sursis et que le délibéré est attendu pour le 11 janvier.

Souvent dans de tels rassemblements, comme à Nuit Debout et partout où les intervenants sont connus de ceux qui les écoutent, ce n’est pas le discours qui est jugé mais l’humain qui le déclame. Et il est plutôt jugé pour ses actions que pour ses mots. Quand j’y réfléchis, je me dis qu’on a eu trois types de discours au fil de la journée : le premier est le plus honnête, ce sont des intervenants, souvent peu connus, qui viennent expliquer pourquoi ils sont ici et faire le parallèle avec leur propre lutte s’il y a lieu. Le second cherche surtout à faire passer un bon moment pour que cette journée soit associée à des choses positives. La recette est simple : il suffit de mettre les gens en phase, alors forcément la musique est le choix privilégié, mais dire « François Hollande » ça marche aussi. On ne demande pas forcément à ce discours d’être honnête, il est surtout fonctionnel. Le dernier type de discours se sert des deux premiers pour gagner l’assentiment du public envers quelque chose censé être plus productif que les paroles : une association, un syndicat, un parti, un mode d’action… En trois mots : écouter, harmoniser et diriger les luttes.

RG

Crédits photos:

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