J’ai lu pour vous : L’insurrection qui vient

Le 30 mai 2009, François Hollande écrivait dans le magazine Slate sur un ton provocateur : « La Ministre [de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie] aurait voulu assurer le succès de la diffusion du livre ‘L’insurrection qui vient’ qu’elle ne s’y serait pas prise autrement ». Le gouvernement avait prévenu les journalistes qu’une vaste opération de démantèlement d’une filière soupçonnée de terrorisme était en cours. Sauf que la justice a ordonné la libération de la dizaine de mis en examen. François Hollande s’engouffre dans la brèche en critiquant une « procédure mal préparée » et en rajoute une couche sur ce livre, l’Insurrection qui vient, dont il convient de parler le moins possible.

Paru en 2007 aux éditions La Fabrique, l’ouvrage est revenu plusieurs fois au cours de mon enquête sur les livres qui avaient influencé les gens de Nuit Debout. Qui est son auteur ? Aucune certitude. Seulement des hypothèses. Car sur la couverture vert de gris s’étend seulement ce pseudonyme collectif : le « comité invisible ». Or, un de ses membres, sinon son fondateur, Julien Coupat, a été aperçu à plusieurs reprises à Paris à l’occasion des manifestations contre la loi Travail, devant l’Assemblée nationale au printemps dernier, et encore lors de la dernière manifestation initiée par les syndicats le 15 septembre, selon des témoignages recueillis par Gazette Debout. On me conseillait ce livre, je me suis donc empressé de l’acheter en espérant mieux comprendre ce que pensent les plus radicaux, ceux qui font habituellement partie du « cortège de tête » dans les manifestations.

A la lecture de cet ouvrage, on découvre un schéma de pensée cohérent, qui se précise avec le temps, mais surtout une vision en rupture totale avec notre société et ce que nous tenons comme allant de soi. Il adopte un point de vue rare, extérieur à nous-mêmes, et c’est peut-être son premier intérêt. En ce sens, sa lecture est une expérience intellectuelle vertigineuse. Un renversement de paradigme. Plus concrètement, un saut dans le vide à pieds joints. Vous êtes prêts ? Accrochez-vous.

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Des manifestants devant l’Assemblée nationale à Paris, le 71 Mars – Cyrille Choupas

Où sommes-nous ?

« Le présent est sans issue », entame l’auteur. Depuis quelques décennies, nous vivons non plus avec l’espoir d’un avenir meilleur pour nos enfants, mais avec la catastrophe comme horizon. Climatique, économique, humanitaire, etc. Ce ne sont pas les gouvernements qui y changeront quelque chose. Avec la « petite bourgeoisie », il s’attache à nier cette impasse. « Petits commerçants, petits patrons, petits fonctionnaires, cadres, professeurs, journalistes, intermédiaires de toutes sortes forment en France cette non-classe, cette gélatine sociale composée de la masse de ceux qui voudraient simplement passer leur petite vie privée à l’écart de l’Histoire et de ses tumultes. » Ils gardent les yeux fermés sur la guerre qui fait rage, la révolte qui éclate partout. Les peuples dans le monde entier s’élèvent violemment non plus contre des réformes, des projets de loi, mais d’abord contre « cette vie qu’on leur fait vivre ».

Car le désaccord relève de l’éthique, le malaise, de l’existentiel. Dans nos monstrueuses métropoles, l’individu est pris dans une multitude de flux aux croisements desquels on lui fait croire qu’il existe. En réalité, c’est l’individualisme qui règne, la ville qui nous éloigne de nous-mêmes. En d’autres termes, cette société liquide avec ses Uber, ses smartphones et ses applications connectées, où être, c’est être remplaçable, pour reprendre le mot de Heidegger. D’ailleurs, nous ne considérons la nature plus que comme un « environnement ». Autrement dit, un paysage ou un théâtre, alors que c’est « ce qui nous est donné d’habiter, avec quoi nous devons composer ». Le désastre est visible sur de multiples scènes.

L’école républicaine nous a « exproprié de notre langue ». « Le seul nom de Jules Ferry, ministre de Thiers durant l’écrasement de la Commune et théoricien de la colonisation, devrait pourtant suffire à nous rendre suspecte cette institution », écrit l’auteur. L’État « note, compare, discipline et sépare ses sujets dès le plus jeune âge ».

Cet Etat impose sa loi par sa police et des moyens sécuritaires sans cesse croissants, particulièrement sous l’état d’urgence, qui amène l’auteur à constater froidement que « nous vivons sous occupation, sous occupation policière » (p. 103). Le but de cette police : nous exproprier de l’espace public.

L’appartenance à la République ou citoyenneté n’est que « fantasmatique ». Cette citoyenneté a fait de la politique une « réalité étrangère » alors qu’elle devrait être « une part de soi-même ». Enfin, le salariat a dissout le lien social entre les individus.

Pour ne citer encore qu’un exemple, l’argent est considéré comme un artefact nocif : «  La puissance de l’argent est de former un lien entre ceux qui sont sans lien, de lier des étrangers en tant qu’étrangers et par là, en mettant toute chose en équivalence, de toute mettre en circulation. La capacité de l’argent à tout lier se paye de la superficialité de ce lien, où le mensonge est la règle » (p. 107).

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Un manifestant place Denfert-Rochereau à Paris, le 78 Mars. – Cyrille Choupas / DR

Que faire ?

Mais « précisément parce qu’elle est cette architecture de flux, la métropole est une des formations humaines les plus vulnérables qui ait jamais existé », estime l’auteur. Pour lui, la solution passe nécessairement par le blocage des flux de cette métropole dans lesquels réside le vrai pouvoir, comme il l’exposera plus précisément dans son ouvrage suivant, A nos amis, dont nous parlerons bientôt. Bloquer les flux de marchandises, de personnes et d’informations pour donner aux individus le temps du recul.

L’objectif est de créer un mode d’organisation à taille humaine qui se définirait d’abord par la « densité des liens » en son sein, ainsi que par « l’esprit qui l’anime ». « Il y a de l’argent à aller chercher pour la commune, aucunement un devoir de gagner sa vie » (p. 92). L’argent y devient alors dérisoire. Il s’agit de s’organiser en dehors du salariat. En communes.

Mais « l’extension des communes doit pour chacun obéir au souci de ne pas dépasser une certaine taille au-delà de quoi elle perd contact avec elle-même, et suscite presque immanquablement une caste dominante ». Le mouvement serait même déjà engagé puisqu’avec l’augmentation du prix du pétrole, celle des coûts de transport pourrait impliquer la relocalisation des activités, faisant qu’il sera trop cher de produire et consommer à deux endroits différents.

La principale caractéristique d’un tel réseau de communes est que la densité des liens entre elles fait que le pouvoir n’y trouve plus de prise. Fini la centralisation. Et que deviendra la police ? Chaque commune assure son autodéfense, ce qui amène l’auteur à préciser son rapport à la violence : “Il n’y a pas d’insurrection pacifique. Les armes sont nécessaires : il s’agit de tout faire pour en rendre l’usage superflu ».

Après chaque loi impopulaire, loi Travail, mais avant, la réforme des retraites, encore avant, le CPE, etc., une force serait en train de monter, non pas au niveau national, mais à une foule de lieux en même temps. L’insurrection sera locale. Regardez ne serait-ce que la « Zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes (lire notre reportage), comme dans tant d’autres lieux. Les médias ne s’en font pas les gorges chaudes alors peu de gens le savent : l’armée y est tenue en échec depuis plusieurs années.

Gazette Debout

L’insurrection qui vient, La Fabrique éditions, 2007, Paris, 7 euros, disponible au téléchargement sur Internet.

Crédits photos:

  • Portrait 10: Cyrille Choupas /DR
  • Portrait 05: Cyrille Choupas /DR
  • L’insurrection qui vient.: Nuit Debout

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