Théâtre : « Edmond » ou le combat de la création

Gazette Debout lance une nouvelle rubrique, Culture Debout, afin de vous guider vers les oeuvres qui résonnent le plus avec Nuit Debout, pour y trouver de l’espoir, des idées ou des arguments et vous inciter à y emmener ceux qui doutent. Car la culture est politique, toute la culture. Nous ne recevons pas d’invitations, aussi nos choix seront-ils purement libres et subjectifs. Nous placerons chacune des oeuvres sur une « échelle Debout » qui compte 10 échelons : 1 correspondant à une oeuvre aux antipodes des idées de Nuit Debout et 10 correspondant à une oeuvre qui les épouse parfaitement. Aujourd’hui, Edmond écrit et mis en scène par Alexis Michalik au Théâtre du Palais-Royal.

En s’intéressant à Edmond (Rostand) plutôt qu’à Cyrano (de Bergerac), à l’auteur plutôt qu’au héros, Alexis Michalik propose une aventure sur la création qui mêle humour, réflexion et poésie avec un brio et une intelligence bienvenue en ces temps de médiocrité culturelle.

Depuis Le Cercle des Illusionnistes et Le Porteur d’Histoire, pour lesquels il a reçu 3 Molières en 2014, on connaît Alexis Michalik comme la nouvelle coqueluche du théâtre français, et la mentalité française étant ce qu’elle est, on l’attend au tournant quand il investit le Théâtre du Palais-Royal pour sa nouvelle création. Pendant les quelques minutes qui précèdent le début de la pièce – le rideau déjà ouvert, les comédiens, en costumes, passent le temps comme dans un lupanar du Paris de la fin du XIXe siècle – on se surprend d’ailleurs à penser que l’amoncellement d’éléments de décor, le nombre des comédiens (12 ! Impensable dans le théâtre privé à l’ère du seul en scène) et le lévrier qui observe nonchalamment les 700 spectateurs sont autant de preuves de la folie des grandeurs qui aura sûrement pris le metteur en scène à succès.

Puis la pièce commence, les scénettes s’enchaînent dans une écriture très cinématographique – certaines ne durant que le temps de deux répliques -, les comédiens, à l’exception de Guillaume Sentou qui interprète Edmond, courent dans tous les sens pour changer de costume et de personnage ou déplacer tel ou tel élément de décor et ainsi nous emmener des Grands Boulevard à la chambre à coucher du poète encore méconnu en passant par les coulisses du Théâtre de la Porte Saint Martin. L’histoire retracera en un peu moins de deux heures la création mouvementée du chef d’oeuvre absolu de Rostand, le Cyrano de Bergerac qui a fait rêver depuis des générations de comédiens et de spectateurs. Le rythme est sans faille, l’humour saupoudré avec délicatesse, la poésie célébrée, le spectacle est efficace et les spectateurs, aficionados ou profanes, conquis.

Mais Edmond n’est pas qu’un divertissement formaté pour un succès public et critique, il porte en lui une réflexion sur le processus de création, l’inconstance de l’inspiration et l’industrie culturelle. Ainsi Edmond devra-t-il se battre contre des financiers incultes et légèrement malhonnêtes, contre l’orgueil de ses comédiens et de ses concurrents auteurs – les deux Georges, Feydeau et Courteline – et contre les tenants de la culture institutionnelle qui voient d’un très mauvais oeil l’émergence d’un auteur n’étant pas issu du sérail. Plus d’un siècle plus tard, les personnages ont changé mais quiconque aura essayé de créer un spectacle, un film, ou encore une entreprise ou un mouvement politique, sans l’agrément des caciques du milieu se retrouvera dans les déboires du jeune Edmond.

Plus important encore, pour moi qui m’échine à créer des spectacles « engagés » et pour les lecteurs de Gazette Debout, Edmond est une pièce résolument humaniste sans être donneuse de leçon. Car là est la véritable virtuosité de Michalik, dans cette capacité, au détour d’une scène comique, à placer une réflexion sur la discrimination et le racisme grâce à un tenancier de bistrot bienveillant, philosophe à ses heures, et accessoirement noir dans le Paris de la fin du XIXe siècle ; dans cette capacité à transcender la langue française en mélangeant dialogues ciselés et modernes en prose et morceaux choisis de la poésie du Cyrano en création ; dans cette capacité à émouvoir non par le tragique, non par le misérabilisme ou par la peur, mais par l’espoir et l’exaltation des sentiments amoureux et fraternels. Certes, ces réflexions ne sont ni nouvelles, ni révolutionnaires, mais l’ambition de la pièce n’est pas là. Elle est de donner au public à rêver, de lui rappeler ce qu’il y a de sublime dans la culture française, sa langue, sa créativité, ses valeurs.

Michalik aurait pu monter une énième version de Cyrano de Bergerac, il aurait pu céder aux sirènes du cinéma et faire un film de son Edmond – et gageons qu’il n’aurait pas eu de problèmes pour se faire financer ou attirer stars et spectateurs – mais il a préféré s’en tenir au théâtre, montrer la coulisse, la création et la bataille pour l’art, l’amour et la poésie, il a préféré une troupe sans vedettes et sans accrocs, où chaque comédien joue sa partition avec brio, il a préféré confirmer sa place d’auteur-metteur en scène majeur, chef de fil d’un théâtre de l’espoir et de la joie de vivre, d’un théâtre qui fait du bien à l’âme et à la société.

Echelle Debout : 5/10. Ne nous voilons pas la face, Edmond n’est pas à proprement parler une pièce engagée mais elle est à mettre entre toutes les mains de ceux qui doutent, de ceux qui cherchent une porte d’entrée vers le théâtre classique et de ceux qui croient que la seule façon de défendre son identité est de la sublimer. Non Edmond n’est pas une pièce engagée mais c’est une pièce qui peut mener à l’engagement car, à l’instar de Nuit Debout, elle redonne ce qui nous manque le plus : l’espoir.

Ndlr : L’échelle debout ne constitue en rien une note donnée à l’oeuvre mais permet seulement de la situer par rapport au mouvement Nuit Debout.

Edmond au Théâtre du Palais-Royal, du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 16h30, durée : 1h50.

Sebastien Novac. 

Retrouvez toutes les chroniques de Culture Debout. 

Crédits photos:

  • Pièce « Edmond »: Alexis Michalik

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *