Une manif sauvage de la Police : Flics Debout ?

Des centaines de policiers marchent sur les Champs-Élysées, au beau milieu de la nuit, en chantant « La Marseillaise ». Environ 500 autres se rassemblent place de la République, lieu où il y a encore quelques semaines ils venaient réprimer les participants de Nuit Debout. Nous sommes le mercredi 19 octobre. Et cette manifestation totalement inédite ne dit rien qui vaille pour le gouvernement.

Ce n’est pas la première fois que les policiers expriment leur colère. Ils se sont déjà rassemblés sur les Champs-Élysées dans la nuit du 17 octobre, également aux alentours de minuit, avec des voitures banalisées, gyrophares allumés et sirènes criantes. Des policier.e.s traumatisé.e.s par un acte de violence survenu le 8 octobre lors d’une mission de sécurité Vigipirate à Viry-Châtillon (Essonne) suite à une caméra de surveillance vandalisée dans le quartier. Leurs collègues ont pris des coups et leurs véhicules à l’arrêt ont reçu des cocktails Molotov. Un policier a été grièvement brûlé aux mains et au visage, et a été hospitalisé à l’hôpital Saint-Louis (Paris).

Cette manifestation sauvage sur les Champs-Élysées est organisée par « un mouvement asyndical » en réaction à l’absence de réponse de l’État après ces attaques. Les militants ont également chanté à l’unisson « La Marseillaise » devant l’Arc de Triomphe. La démarche se veut symbolique : quoi de plus nationaliste que de chanter l’hymne devant la tombe du soldat inconnu sur le plus célèbre rond-point de France ? La police veut certes se mobiliser pour soutenir ses collègues blessés de Viry-Châtillon mais surtout exprimer son ras-le-bol face aux violences subies pendant leurs missions.

La police qui part en manif : pourquoi ?

Les « manifestants » (environ 500) critiquaient leurs conditions de travail dangereuses sous les ordres d’une hiérarchie vieillissante, leurs maigres salaires, les heures supplémentaires non rémunérées. La mobilisation a été organisée lors de rencontres « clandestines » après les événements de Viry-Châtillon.

Les policiers se sont inspirés de leur collègues niçois, qui organisent sur la place Masséna des rassemblements silencieux pour soutenir leurs collègues de Viry-Châtillon. Une idée reprise par les policiers d’Ivry, qui se sont retrouvés devant la préfecture durant la nuit du 14 au 15 octobre. À la suite de cette réunion, ils ont été menacés de sanctions par le Directeur départemental. Une menace vécue comme une mesure destinée à les contraindre au silence. Un autre rassemblement, plus symbolique, devant le commissariat de Savigny, celui du policier blessé, a eu lieu le 11 octobre. L’événement a pris de l’ampleur grâce au bouche à oreille : « On a envoyé des textos à des collègues d’un peu partout », raconte un policier.

Dans une vidéo de Taranis new, l’un d’entre eux témoigne : « On s’est organisés nous-mêmes, par les réseaux sociaux et le bouche à oreille ». Il estime que ce rassemblement a été rendu possible car il n’y avait pas d’organisation syndicale. Pour lui, il s’agit d’un mouvement de « flics qui parlent à des flics ». Sur le fond des luttes syndicales, il pense que ce mouvement soulève d’autres questions sur la peur chez les policiers. Il évoque aussi le manque de concertation entre magistrats et forces de l’ordre, ou des dispositifs de mission dangereux, tel celui où ses collègues ont été blessés : une mission Vigipirate avec deux véhicules comportant chacun 2 personnes dans un quartier réputé à risque…

Les propos recueillis lors du rassemblement parlent peu de la violence des actes perpétrés à Viry-Châtillon, mais le mouvement va servir d’outil de pression médiatique pour pointer les conséquence des ordres donnés par la hiérarchie. L’acte de désobéissance de ces 500 fonctionnaires tente de mettre en lumière leurs conditions de travail qui ne cessent de se dégrader, tout comme leur image aux yeux de la population, au profit de hauts placés carriéristes qui réclament du chiffre.

Une action médiatique ?

La violence policière est plus que jamais d’actualité. Récemment encore, un manifestant a perdu un œil et un jeune est mort étouffé. Sans parler des rafles de Stalingrad et de l’expulsion prévue du camp de Calais. Ces sujets ont réveillé le débat sur une violence d’État systémique, notamment à Nuit Debout (voir le dossier #violences de Gazette Debout). La violence induite par l’état d’urgence sur les citoyens, avec ses mesures de sécurité à la limite du voyeurisme, via des caméras de surveillance tous les 50 mètres (jetez un oeil au travail du collectif « Paris sous surveillance ») ; la présence policière beaucoup plus importante dans les « banlieues chaudes » ; la répression toujours plus grande (vidéo de Télébocal sur la dernière manif anti-rep) ; la multiplication des contrôles au faciès (#quoimagueule).

Évidemment, ce ne sont pas les victimes de ces violences policières qui comprendront les manifestations de la police. Cependant, dans le fonctionnement et l’organisation de ces mouvements, on peut constater quelques similarités avec Nuit Debout. Ils sont auto-organisés en marge des syndicats via des initiatives locales. Ces jeunes policiers seraient-ils des flics Debout ? Difficile à dire. Bien que similaire, ce mouvement ne va pas au fond de son raisonnement. Si c’est bien la politique du chiffre qui engendre une hiérarchie carriériste, pointer du doigt les supérieurs n’est pas suffisant. Cette politique découle d’ordres politiques. Car la police subit, elle aussi, la violence d’un système vieillissant, ne pouvant plus innover, noyé dans des mesures sécuritaires et liberticides. Il y a de plus en plus de suicides dans ses rangs. Les fonctionnaires savent que certains ordres ne font qu’aggraver la situation et les mettre en danger. Ils sont désormais utilisés en manifestation comme un outil de répression. Mais aussi pour rendre service aux grandes entreprises (Zad vs Vinci, Bure vs EDF…).

#JeSoutiensLaPolice

Sur les réseaux sociaux, un hashtag #JeSoutiensLaPolice s’est créé. A l’aide d’outils d’analyse, on a pu établir une carte de l’activité des comptes relayant ce hashtag. On constate qu’il s’agit de nombreux comptes de la droite. Celle-ci s’est empressée de profiter de l’événement pour faire passer des idées sécuritaires, réclamant au passage des mesures rapides du gouvernement contre les « criminels » et la « racaille » :

#jesoutienslapolice-dataviz
#jesoutienslapolice-dataviz

Voici un petit florilège de leurs « riches idées » :

L’ancien président des émeutes des banlieues de 2005 ne sait toujours pas quand se taire :

François Fillon en profite pour parler de son programme pour 2017 :

La frontière entre la droite et l’extrême-droite devient de plus en plus floue :

Cela réveillera au passage la fachosphère et ses tweets accusant la hiérarchie de défendre la « racaille » plutôt que la police.

Il ne faut pas chercher longtemps pour se rendre compte de la nature de cette « campagne » : un moyen pour la droite de ramener le débat public autour de discours sur la sécurité et la violence en pleines primaires présidentielles. Alors que des policiers sont blessés et que certains se réunissent pour accuser la hiérarchie, des hommes politiques en profitent pour se glisser dans l’actualité, détournant comme à leur habitude le sujet initial de la mobilisation : l’opposition à une hiérarchie carriériste et des dispositifs dangereux, comme le montre ce message des syndicats aux antipodes de la droite.

La CGT Police, elle, se pose des questions dans son communiqué : « Est-ce que nous sommes utilisés à assurer la sécurité de la population ou plutôt, à faire semblant et servir de défouloir à la colère sociale ? »

En réponse à cette récupération, les militants et victimes de violences policières n’hésiteront pas à détourner le hashtag :

A gauche les réponses fusent et s’emparent d’un autre hashtag  #JamaisAvecLaPolice

Des militants rappellent les morts dans nos cités :

Des militantes féministes rappellent la violence morale qu’elles subissent lors de plainte pour viol :

Le Mili explique pourquoi « tout le monde déteste la police » en rappelant les violences lors des manifestations :

D’autres encore ne mâchent pas leurs mots :

Les tweets #JamaisAvecLaPolice en réponse à #JeSoutiensLaPolice montre une division gauche/droite de la perception de la police par la population. Mais il s’agit de Twitter et les internautes sont inconstants : peu de temps après, #TuSaisQueTasUneGrossePoitrine occupera la twittosphère française…

Cette manifestation pose question. Jusqu’où le ras-le-bol de ces policiers portera-t-il sa voix ? Pointer du doigt la hiérarchie sera-t-il suffisant ? La récupération par la droite et la « faschosphère » sur Twitter a bien détourné le débat. Des places ont été occupées, la « Marseillaise » chantée. Faut-il s’inquiéter d’un mouvement « des flics pour des flics » soutenu par l’extrême-droite ? Ou bien voyons-nous émerger dans nos forces de l’ordre un mouvement asyndical susceptible de bousculer la structure et l’organisation de la police ?

Quoi qu’il en soit, ce mouvement semble passer par des phases similaires à celles rencontrées lors de Nuit Debout. Qui sait, peut-être qu’à force de se réunir pour discuter sans leur « patron », des débats sur des alternatives pour une police qui défende vraiment les intérêts des citoyens émergeront. On en est encore loin. Mais il est doux de songer à ce qui se passerait si ces policiers se coordonnaient pour prendre l’#ApéroChezCazeneuve. On ne sait jamais, peut-être la police lit-elle Gazette Debout ! Vraisemblablement, en tout cas, elle ne lit pas lundi.am :

Sébastien Archi Debout.

Crédits photos:

  • Manifestation du 28 juin: Raphaël Depret - DR

3 réactions sur cet article

  • 20 octobre 2016 at 10 h 37 min
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    Bonjour les solidaires toujours debout; ce qui me donne à réfléchir sur les manifs de la police, en face des manifestants, je ne vois pas de forces de police qui viennent les canaliser, « nasser » les récalcitrants, l’usage de grenades de désencerclements, et tutti quanti.. Au contraire, le Bernard les reçoit place Bauveau, -la place « des beaux veaux »?-, et discute avec les manifestant(es)s.. Alors que, contre les « Nuit Debout », la politicaille au pouvoir a déployé toute la maréchaussée, et armée jusques aux dents.. On voit bien qu’il est judicieux de caresser la bête dans le sens du pelage.. Autres manifestants, autres moeurs.. Mais ici, ils n’ont pas d’Orchesre Debout.. Tant il est vrai que l’on ne va pas demander aux cerbères de concilier délicatesse « d’Esprit », et grenades à la main; faut pas trop en demander.. En attendant, toutes mes pensées solidaires vont à celles et ceux qui comparaissent à Amiens ces 19 et 20, c’àd hier et ce jour.. « El pueblo unido, jamas sera vincido.. » « Et cependant, Elle tourne.. » Salutations..

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  • Pingback: A Strasbourg, des Policiers debout ? - Gazette Debout

  • 8 novembre 2016 at 18 h 23 min
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    Les policiers se plaignent et proposent ? Plus de flics et plus de prisons ???? Pas entendu un mot sur la prohibition du cannabis ???? A t on vraiment besoin de violence pour rendre nos cités vivables ?

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