Feuilleton Debout #40. Une libération dans un rythme.

FEUILLETON DEBOUTLe Feuilleton donnera la légende de la Nuit.

Des coups de masse ou de bélier assourdissaient la salle. Ange ne pouvait plus réfléchir correctement. Si de son côté il ne trouvait rien de façon imminente, le seul trou qui se ferait dans la pièce viendrait des agents gouvernementaux. La situation était désespérée. L’alternative deviendrait claire : se battre simplement pour l’honneur, et mourir à coup sûr (chose que le gouvernement devait souhaiter lui-même, et ses agents devaient être équipés en fonction) ou se réfugier dans la pièce-prison. Ange ne voulait pas d’une situation intermédiaire. Il ne retournerait pas dans les camps américains. Il préférait une perforation bien nette dans l’abdomen.

C’était à ce genre d’idées qu’il se rendait lorsqu’un coup plus fort que les autres parvint à faire un coin dans la paroi que les vendus de l’empire s’acharnaient à briser. Un bout de revêtement de métal avait flanché et s’était non seulement brisé mais écorné, si bien qu’un morceau de lumière gros comme le poing traversa cet orifice. Il fut immédiatement suivi d’un laser balayant et de quelques nuées de balles. On le tirait comme un lapin, sans sommation, sans même le voir.

Il eut tout juste le temps de se réfugier derrière une étagère pleine pour éviter la rafale. Pistolet automatique. 20 cartouches. Il avait eu le temps de compter. Deux balles avaient heurté la nourriture juste devant lui. Une autre était partie se loger dans le coin un peu en retrait, après avoir rayé une partie du crépi du mur, à cause de l’angle de tir. Il se tenait accroupi, attendant la prochaine série. Le laser balaya de nouveau rapidement. Sans grande utilité puisqu’ils ne pouvaient rien voir, Ange ayant éteint la lumière.

Or justement, la lumière étant éteinte, lui les voyait bouger de l’autre côté de l’interstice. Et il pouvait voir arriver le canon d’une arme. Mais ce n’était pas tout. La balle qui avait éraflé le mur, précisément éclairé d’un faible rayon à partir de l’axe d’où elle avait été tirée, avait découvert comme une rainure de derrière de lambris. Et Ange eut la certitude alors que c’était la porte qu’il avait cherché avec tant de désespoir.

Pas mal de problèmes subsistaient, même si les coups de marteau ne reprenaient pas. Il était certain soit qu’il reprendrait un coup de pétoire, soit que la porte elle-même ferait le sautoir. Autre problème : entre sa position et la rainure, il serait en plein champ de tir, et il aurait fallu savoir comment passer sans se faire tailler. Enfin, et c’était probablement le pire, rainure ne voulait pas dire ouverture. Ange ignorait toujours comment faire crisser les gonds.

Seule bonne nouvelle, à laquelle il avait pensé immédiatement : une minute venant de s’écouler – ça aussi, il l’avait compté, en bon vieux déboutien – et aucune explosion n’ayant retentit, cela indiquait que le trou dans la cloison de métal était plus petite qu’un poing d’homme parce qu’on n’aurait pas réussi à y couler une grenade. C’était toujours ça de pris, il finirait peut-être troué, mais pas en charpie. Pour le moment. Mais cela indiquait aussi que le tapage allait bientôt recommencer.

Ange reprit ses esprits, et observa la rainure en écarquillant bien les yeux. C’était bien une porte cachée. Dans le coin du mur, la balle avait heurté du plâtre, ce qui indiquait que la porte se terminait, et démarrait plutôt avant l’enfilade qu’après. Il regarda de l’autre côté du mur. Aucun objet, aucun trou, aucune commande pour ouvrir cette porte. Il se fit une résolution intérieure. La porte devait fonctionner par un code de pression. Par poussées ou par tambourinage. Il se dit qu’il tenterait ça dans un dernier élan désespéré. Mais quel code frapper ? Quel tambourinage donner ?

Il eut un dernier sauvetage interne, une derniere idée déposée là par Andrew. En vidant l’ordinateur, en lui tapant sur l’épaule, Andrew avait reproduit plusieurs fois la même cadence. Comme un bonjour, comme un au revoir, comme un salut de camarade. Poum poum poum.   Poum.   Poum poum. Un geste anodin, donné sur le bras, tapé sur l’épaule. Comme pour dire comment ca va. Tac tac tac. Tac. Tac tac. Un petit tapement du doigt sur le bureau, pendant qu’il vidait l’ordinateur d’Ange. Quasiment une ritournelle. En tout cas, peut-être, le code de la délivrance. Répété par Andrew à tout moment, pour ses amis, et pour lui-même. Porté dans l’habitus de la révolution. 3 coups, un coup, deux coups. Un peu comme un début, encore, de l’Internationale.

It’s the fi.. Nal.Conflict !

Il fallait le tenter. Brave Andrew, qui avait mis toute une libération dans un rythme et un geste.

Une nouvelle série de balles. Cette fois, Ange était frôlé. A dessein, on avait tiré par terre. On le prenait pour un rat. Ce qu’il était. 13 ou 14 balles. Ange se méfia. Il ne bougeait pas. Il avait compté courir juste après la prochaine semonce. Mais pour un automatique basique, ca faisait une ou deux balles restantes. Il fit trembler, du bout du pied, l’armoire en fer devant lui. Une conserve tomba.

Deux balles jaillirent.

Ange avait son signal. Ce fut lui qui jaillit. Il attrappa pratiquement le bout de mur qu’il avait repéré. Sentit sous son poids un léger décalage se faire. Le mur était sensible aux pressions. Il en émit 6, selon la cadence gestuelle de son vieux camarade.

Un miracle. Un sésame.

La porte était, par le côté gauche, légèrement sortie du mur. Il l’accrocha de l’ongle et la fit s’ouvrir complètement.

Il était libre. Il referma derrière lui. La dernière chose qu’on eut pu voir dans la rue de Brooklyn où il avait atterri, ce furent deux jambes se déployer si rapidement pour fuir que l’on aurait dit un envol.

La Nuit Debout n’était pas morte

— Retrouvez le feuilleton ici

Crédits photos:

  • Un exilé dort dans la rue à Stalingrad: Nicolas - DR

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *