CETA : pour qui sonne le glas ?

Des politiques,  intellectuels, économistes, historiens, journalistes, artistes, militants, sociologues, écrivains, citoyens… une centaine de personnes ont signé la tribune contre le CETA préparée par plusieurs commissions de Nuit Debout Paris.

Ce texte a été publié le 14 octobre dans cinq médias nationaux : L’Humanité, le Journal du DimancheMarianne, le « Club » de Mediapart et Siné Mensuel (ainsi que Gazette Debout). Il marque une nouvelle étape dans la mobilisation menée depuis de longs mois par plusieurs associations, dont le collectif Stop tafta-ceta, qui a lancé une pétition ayant récolté 1 781 signatures.

Samedi 15 octobre, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues pour manifester leur opposition. Entre 1 500 et 5 000 à Paris, plusieurs centaines à Dijon ainsi qu’à Angers ou encore Lyon et Toulouse. Mais les Français ne sont pas les seuls à se mobiliser : l’Allemagne (300 000 personnes) l’Autriche (25 000 manifestants) la Belgique (15 000), ou encore l’Espagne et la Pologne ont eux aussi montré leur désaccord. Au niveau politique, les députés de Wallonie (Belgique) ont opposé leur véto à la signature du texte, craignant des conséquences nocives sur l’agriculture et les normes sociales et environnementales. Ces hommes et femmes courageux-ses sont aujourd’hui soumis.e.s à d’importantes pressions, voire à des menaces.

 

Youlie, habillée en Marianne lors de la manifestation contre le CETA à Paris
Youlie, habillée en Marianne lors de la manifestation contre le CETA à Paris.

Qui soutient le CETA ?

Les raisons de s’opposer à la signature d’un traité qui va libéraliser les échanges entre l’Europe et le Canada ne manquent pas. Elles sont expliquées de façon très ludique et pédagogique dans cette excellente BD ainsi que dans le guide de l’association ATTAC. Gazette Debout a donc décidé de se faire l’avocat du diable en cherchant les arguments en faveur du CETA. Et nous avons eu bien du mal.

Il faut tout d’abord se rendre sur le site de la Commission européenne, dont la dernière mise à jour date d’avril 2016. Les explications données restent assez vagues. On y apprend que l’Union Européenne « souhaite renforcer ses liens économiques avec le Canada, un partenaire qui partage les mêmes valeurs ». Un peu plus loin, le site affirme que l’accord « profitera à nos économies et contribuera à créer des emplois dans une période d’incertitude économique ». Une affirmation un peu légère qui ne renvoie vers aucune enquête précise. Les opposants en revanche multiplient les études, comme celle d’une université américaine qui explique que le CETA entraînera au contraire de nombreuses suppressions d’emplois.

Manifestation contre le CETA à Dijon.
Manifestation contre le CETA à Dijon.

L’une des principales craintes des opposants concerne la libéralisation de l’agriculture. « Grand producteur de denrées alimentaires de qualité, l’UE pourra vendre davantage à un marché de consommateurs à revenus élevés, ce qui est dans son intérêt », assure le site de la Commission européenne. Est-ce que cela signifie que le Canada ne produit pas de nourriture « de qualité » ? Rappelons que le pays autorise l’utilisation du médicament ractopamine sur le porc. Un produit qualifié de nocif par l’Autorité européenne de sécurité des aliments.

Le CETA prévoit l’importation en France de 65 000 tonnes de viande bovine et de 75 000 tonnes de viande porcine par an, avec des droits de douane nuls. Un quota qui inquiète même les Sénateurs, qu’on peut difficilement qualifier d’anticapitalistes. Le 29 septembre dernier, ils ont adopté à l’unanimité la résolution 862, estimant que ces quotas « suscitent de vives inquiétudes dans le contexte actuel de crise de ces filières en France ».

Par ailleurs, l’accord prévoit la protection de 172 indications géographiques protégées (IGP) agroalimentaires européennes au Canada, dont 42 dénominations françaises. Un chiffre bien insuffisant ; « ce sont plus de 1 400 IGP qui sont actuellement reconnues par l’UE, ou enregistrées et en voie de l’être », rappelle le Sénat.

Interrogé par France Info le 16 octobre, Stéphane le Foll, le ministre de l’agriculture, n’est même pas capable de défendre le CETA avec conviction.

– (…) donc c’est un bon accord  ? l’interroge le journaliste.

– C’est un accord qui aujourd’hui globalement offre une possibilité d’avoir des échanges en particulier sur les produits laitiers, lui répond le ministre.

– C’est un bon accord ?

– … qui nous donne les garanties nécessaires sur ce que nous avons posé comme norme…

– Vous m’avez entendu ? Est-ce un bon accord ? insiste le journaliste.

– Est-ce qu’il est bon ? répète le ministre. C’est un accord commercial qui doit être mis en œuvre avec le respect de l’ensemble des règles.

Un superbe exemple de langue de bois qui se passe de commentaires.

Manifestation contre le CETA à Amiens
Manifestation contre le CETA à Angers.

L’inconfortable position des hommes politiques

Cherchons à présent ses défenseurs du côté de l’environnement. La ministre Ségolène Royal a déclaré le 6 octobre qu’elle allait vérifier que le CETA est bien « climato-compatible » avec l’accord de Paris, signé pendant la COP 21. Elle a souligné qu’il fallait le faire « sans procès d’intention » ni « instrumentalisation politique ». Sachant que l’accord de Paris a déjà un an d’existence, on imagine qu’elle avait bien d’autres chats à fouetter plutôt que de lire les 1 598 pages d’un rapport particulièrement indigeste. Pourtant, certains chercheurs d’ATTAC et de l’Aitec lui ont mâché le travail. Un travail de recherche dont la conclusion est sans appel : le CETA n’est pas compatible avec l’accord de Paris.

Dernier espoir avec Matthias Fekl, le secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, qui devra signer le CETA avec ses homologues européens. Dans un entretien pour Alternatives économiques en mars 2015, il résume le CETA ainsi : « Simplification des contrôles et démarches administratives, oui. Alignement des normes vers le bas, non, et remise en cause des choix démocratiques, jamais ».

Il s’indignait à l’époque contre l’Article 33 concernant l’arbitrage des conflits, s’appuyant sur les mêmes exemples qu’ATTAC dans son document. « Nous n’accepterons jamais que des firmes multinationales puissent saisir des juridictions privées pour remettre en cause les choix démocratiques », assurait le ministre. Dans un entretien accordé au journal québécois Le Devoir en juin 2015, Matthias Fekl affirme que son gouvernement ne ratifiera pas sans modifications importantes du mode de règlement des différends. Modifications qui ont été réalisées depuis, même si elles restent insuffisantes pour le collectif Stop-Tafta.

Depuis, c’est silence radio du côté du secrétaire d’État, qui n’a pas tweeté à ce sujet depuis juin dernier. Vu l’ampleur de la contestation des dernières semaines, on aurait aimé qu’il sorte de son silence pour défendre un peu le projet. D’autant que début septembre, Matthias Fekl a demandé une fin « claire, nette et définitive » des pourparlers pour le TAFTA, le grand frère du CETA, soit un accord quasiment similaire, mais négocié avec les États-Unis.

« Pas facile de suivre la pensée de François Hollande en matière de commerce international », note Libération dans un article qui s’interroge sur la position du Président de la République à ce sujet.

Pendant que les gouvernements des deux côtés de l’Atlantique s’acharnent à libéraliser encore un peu plus notre économie, un petit détail me chagrine. D’ici le 10 novembre prochain, le Canada va imposer à tous les voyageurs qui arrivent sur son territoire un nouveau visa, appelé autorisation de voyage électronique (AVE). Une taxe particulièrement incongrue pour un secteur – le tourisme – qui a besoin du moins d’entraves possibles pour se développer. Mais nos hommes politiques n’en sont plus à un paradoxe près.

L-A

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Crédits photos:

  • Youlie, habillée en Marianne lors de la manifestation contre le CETA à Paris: Nuit Debout
  • Manifestation contre le CETA à Dijon.: Nuit Debout Dijon
  • stop-ceta-amiens-3: Nuit Debout Amiens
  • Manifestation contre le TAFTA à Paris.: Nuit Debout Paris

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