Nuit Debout n’est que ce qu’en font ses participants, ni plus, ni moins.

Nuit Debout est devenue une étiquette. Un groupe de gens qui se réunissent sur les places publiques et discutent pendant des heures sans prendre de décisions. C’est un processus chronophage qui n’a pas débouché sur quelque chose de concret. À Nuit Debout, on passe plus de temps à réfléchir à l’organisation du groupe qu’aux questions de fond. C’est un processus qui n’est pas efficace. Il a montré ses faiblesses : ce n’est plus ce mouvement porteur d’espoirs du printemps 2016. Nuit Debout est devenue une organisation comme les autres.

Dans les rencontres militantes, syndicales, écologistes et autres, on peut déceler une méfiance de fond, un fort a priori à l’encontre de Nuit Debout, allant jusqu’au rejet pur et simple.

Les militants cherchent du concret. Nuit Debout est un processus radical car il cherche d’abord à s’attaquer à la racine du problème, notre impuissance politique, en se concentrant à organiser la délibération en grand groupe dans l’espace public. Cette radicalité du processus est peut-être trop éloignée des aspirations d’une partie des militants qui, piégés dans une logique d’urgence, recherchent uniquement du concret. Si on prend le temps de réfléchir à la signification des mots, on peut étudier l’étymologie du mot « kon-krè » : qui a une consistance solide, en opposition au fluide. En cherchant du « kon-krè », du « solide » qu’elle place laisse-t-on à la nouveauté ? À l’ouverture ? À la construction d’autres choses ?

Nuit Debout ne cherche pas à être un processus « kon-krè » puisqu’il remet en question l’organisation politique « concrète », solide, de nos sociétés : les institutions représentatives. Au contraire, c’est un processus de lutte mouvant, fluide, qui se concentre plus sur la création de l’alternative « politique », au sens des modalités d’organisation de la société, que sur le combat contre les conséquences du système actuel. C’est un processus lent et fastidieux qui, malheureusement, en a découragé beaucoup.

Nombreux sont ceux à être passés à Nuit Debout sans y trouver leur place. Même si l’organisation «horizontale» se veut la plus ouverte possible, les mieux lotis et les plus motivés sont souvent ceux qui ont réussi à en être acteur.  C’est une des plus grosses faiblesses de Nuit Debout : la difficulté à intégrer chaque personne qui participe aux assemblées pour qu’elle puisse petit à petit trouver sa place dans le processus.

Ceux qui n’ont pas réussi à trouver leur place cherchent d’autres formes de « convergence ». La « convergence » de fond est une dynamique complexe et lente qui nécessite énormément de temps pour être construite. Les différentes commissions « convergence des luttes » s’y sont frottées. Se mettre d’accord sur ce qui fait sens « commun » entre la lutte pour le droit au logement, la lutte pour la récupération en SCOP d’une entreprise par ses salariés, le manque de professeurs dans une école de la ville ou la lutte contre la création d’un puits de forage en Méditerranée, demande énormément de temps, de bienveillance et d’humilité. Coincés dans une logique d’urgence, il est très difficile de s’ouvrir aux autres luttes sans prêcher uniquement pour sa « chapelle ».

Paris, le 4 avril 2016
Paris, le 4 avril 2016

Si la « convergence » sur le fond va demander du temps et de la détermination, la « convergence » d’action est en revanche atteignable tout de suite avec un peu d’organisation et de bienveillance entre les groupes. Elle permet de créer des réseaux d’activistes locaux, qui s’organisent habituellement sur des luttes différentes, se rejoignent, se reconnaissent et créent une confiance de groupe.

Mais l’action pour l’action a-t-elle un sens ? Qu’est-ce qui fait sens commun ? Qu’est-ce qu’on construit ? A quoi rêve-t-on ensemble ?  Peut-on se passer du temps de réflexion sur ce qui fonde nos actions collectives ?

La recherche d’efficacité à court terme, les prises de décisions en petits groupes efficaces ne sont-elles pas exactement ce qui caractérise le modèle de société que l’on cherche à dépasser ?

Est-ce que combattre les conséquences multiples d’un système – fermeture d’usines, lois précarisantes, luttes contre les expulsions – nous permet de combattre le problème à la racine ? N’est-ce pas un puits sans fond si l’on ne propose pas d’alternative cohérente et intelligible en parallèle ?

Nous risquons de continuer à nous laisser happer par les objets et les temporalités politiques imposées par les conséquences du système représentatif et du capitalisme. Certes, les enjeux climatiques, la précarisation de nos sociétés et le contexte international nous pousse à l’urgence. Mais ne retombons pas dans le piège des années précédentes de la lutte pour l’amour de la lutte.

Construisons collectivement une lutte de fond, radicale, qui nous réunit efficacement dans l’action à court terme et surtout nous permet de créer des alternatives locales, à l’image des coopératives intégrales, et nationales comme la réécriture de la constitution. Cette construction collective demande du temps, des échanges, de longues discussions et de longs débats. Il est essentiel de prendre le temps d’harmoniser nos connaissances individuelles pour faire monter celle du groupe et créer de l’intelligence collective.

Nous devons prendre le temps de nous inclure dans une logique d’ouverture, qui certes nous ralentit car elle demande à chaque fois de revenir sur les modalités d’organisation, mais qui est essentielle à l’élargissement. C’est sans doute ce que peut permettre le processus Nuit Debout compris comme un outil et non comme une organisation.

La logique d’efficacité à court terme découle plus facilement sur des actions « concrètes » mais porte le risque de refermer les groupes sur eux-mêmes. Le danger est de voir une fracture s’opérer entre les militants assoiffés d’action et ceux qui cherchent des alternatives au système, alors que tous sont dans le même combat.

Nous ne pouvons que prôner le fait de rester unis dans nos différentes visions des modalités de lutte, entre les actions concrètes et la création d’alternatives. Gagnons en patience et en confiance dans nos groupes. Prenons le temps de trouver le bon équilibre entre l’action et la réflexion collective sans en négliger l’un ou l’autre qui sont les deux faces d’une même pièce.

Nuit Debout n’est que ce qu’en fond ses participants, ni plus, ni moins.

Thomas Nuit Debout Grenoble

Crédits photos:

  • Convergence des luttes Nuit Debout: maxppp
  • ED-Plage11 attention: Nuit Debout / DR

Une réaction sur cet article

  • 19 octobre 2016 at 19 h 09 min
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    Bonsoir; quoique n’ayant pas directement participé, pour cause d’isolement géographique, j’adhère totalement aux fondements de « Nuit Debout ».. Il faut réinventer d’autres modes de mobilisation intelligents et intelligibles pour tout les salarié(ées)s, les retraité(ées)s, et les autres.. Mais, les gens sont désenchanté(ées)s, et on s’est replié sur son quant à soi; et allez donc mobiliser contre ça? Attendons que la classe politicienne nous mette la rage au coeur, et là, nous verrons se dessiner des temps nouveaux, et les gens se révolter pour de bon.. En attendant, continuons d’espérer, et entretenir la flamme militante.. Merci de continuer d’exister, parce que sans cela, sans vous, la plaine est bien morne.. « Et cependant, Elle tourne.. » Salutations..

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