De la terreur comme mode de gouvernement

Début juin, nous avions publié un texte manifeste sur le mensonge et la peur comme méthodes de gouvernement. Aujourd’hui, on en sait un peu plus, et on est forcé d’accepter le fait que ce gouvernement dont on n’ose plus prononcer le nom, ni celui de ses membres les plus ‘éminents’ (si on peut dire), ce gouvernement socialiste élu par les femmes et hommes de gauche, ce gouvernement donc, n’étant pas encore satisfait des méthodes ‘classiques’ employées jusqu’à présent pour faire tenir tranquilles ses administrés les plus remuants s’est équipé sans état d’âme de nouvelles techniques qui relèvent cette fois de la terreur.

On n’est malheureusement pas en mesure de dresser la liste des ‘manifestants de tête’ ou des participants de Nuit Debout qui ont été attaqués physiquement et envoyés à l’hôpital, ou bien menacés personnellement de cassage de gueule, liste qui s’ajoute à celle des intimidations à domicile, des perquisitions, et des interdictions de manifester. Les seuls cas portés à notre connaissance sont au nombre de plusieurs dizaines. Le message de la police, c’est à dire de l’état est clair : réfléchis bien ! On sait qui tu es, où tu es ! Si tu bouges on va te faire très mal ! Les photos des participants les plus actifs aux réunions de la place de la commune ornent les murs des commissariats. Les policiers interceptent ces potentiels dangers publics dans la rue et leur interdisent de se rendre aux manifestations. La méthode, sans aucun doute possible mise au point dans tous ses détails au Ministère de l’intérieur, est parfaitement calculée. On doit admettre maintenant qu’on a atteint ce printemps un point extrême, et probablement de non-retour, dans la montée en puissance de méthodes qui n’ont rien à envier aux périodes les plus noires de l’histoire.

Comment est-ce possible ? Comment en est-on arrivé la ? Pourquoi un gouvernement de ‘gauche’ se permet-il d’employer au grand jour des méthodes ouvertement fascistes ? Comment peut-il faire preuve d’un tel mépris de (ou indifférence à) la justice ? Une justice qui a bien quelquefois contredit voire annulé telle ou telle décision du ministère de l’intérieur, mais bien timidement. À quel point de terreur ou/et de cynisme l’ homme politique, homo politicus, est-il parvenu ? Comment le principe démocratique s’est-il inversé, de responsables mandatés (à Athènes) souvent contre leur gré pour gérer les affaires publiques, à une caste de tueurs professionnels (prenons-le si on veut au sens métaphorique, tueurs du socialisme, tueurs du lien social, tueurs des espoirs et des désirs d’une génération entière) assoiffés de pouvoir et d’argent et prêts à tout pour conserver leur position ?

L’état d’urgence, aujourd’hui en passe de devenir un état permanent, semble légitimer toutes les audaces législatives et policières ! Le parlement n’a plus voix au chapitre ! La justice est aux ordres ! L’urgence, réelle ou fictive, autorise toute décision, toute précaution, toute inquisition. L’amalgame est total entre les diverses atteintes au pouvoir de l’état. Terroristes, militants, écologistes, sont mis sans distinction dans le panier des nuisances potentielles. C’est la guerre ! Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ! La guerre de l’Occident contre les pays du sud (pour piller leur richesses en bordelisant des régions entières). La guerre des grosses compagnies pour imposer leur production (Areva, Lactalis, Monsanto, etc.). La guerre d’une petite clique politicienne contre toute contestation de son pouvoir. Si, après le 13 novembre, les déclarations présidentielles sont apparues à toute personne censée comme parfaitement dépourvues de signification et contre-productives (déclarer que nous sommes en guerre contre Daesch ne fait que légitimer leurs actes de sabotage), on en comprend maintenant l’enjeu véritable.

La guerre ! Tout les coups (donc) sont permis ! La-bas, démonstrations militaires, pillage, et ventes d’armes redoublées ! Ici, méthodes policières dignes de la gestapo. Sauf que, même au temps de la gestapo, la notion d’état avait plus de sens qu’aujourd’hui où les gouvernements ne sont plus que les équipes d’hommes de main, les hommes à tout faire, d’une implacable et insatiable oligarchie de la finance. De telle sorte que les polices d’état apparaissent de plus en plus comme des polices privées, au service de cette oligarchie, et l’état comme une plateforme prétendue ‘publique’, qui en réalité se loue au plus offrant. (Ce qu’Evgeny Morozov nomme gouvernement 2.0.)

Tout cela nous arrive, tout cela se passe dans un contexte de transformation express des méthodes policières avec l’arrivée de la surveillance et du contrôle total des interactions virtuelles. Non seulement nos gestes sont traqués par des réseaux qui s’étendent et se ramifient chaque jour (lire à ce sujet le texte déjà ancien de Mike Davis, Au delà de Blade Runner), mais nos pensées le sont aussi grâce à l’aide précieuse apportée aux gouvernements par les Google, Facebook et consorts. Potentiellement, chacun de nos clics est entré dans les bases de données et analysé et il n’existe à terme aucun jardin secret auquel les polices n’auraient pas accès. Des algorithmes surveillent déjà en permanence le vocabulaire utilisé quotidiennement dans nos courriels (sans parler bien sur de nos blogs) et les tromper demande des méthodes et une discipline quasi militaire.

Deleuze et Negri avaient prédit la fin de cette mécanique du pouvoir nommée ‘surveillance’ et le commencement de celle du contrôle, dans laquelle l’arme définitive serait finalement la disparition de toute méthode agressive et apparente de coercition, pour laisser la place à l’auto-contrôle et l’autocensure. Une application (un aspect) de cette théorie du contrôle est la éfriendly politicé qui a cours sur les réseaux sociaux et où chacun se doit d’être gentil, de ne pas dire de gros mots, de ne jamais être agressif, et en général d’être toujours content. Ils se sont trompés ! La réalité est que dans le monde d’aujourd’hui surveillance et contrôle se superposent. Et pour faire bonne mesure, il semble que les théoriciens de la ‘sécurité’ ou, si l’on veut, du maintien de l’ordre, sont allés rechercher très profondément enfouie dans les tiroirs la plus ancienne de ces mécaniques décrites par Foucault, féodale celle-ci, la souveraineté. Son principe fondamental est que le souverain, ou l’institution souveraine, dispose à sa guise du corps de ses sujets. Sortie des oubliettes de l’histoire et rapidement époussetée, la voici aussitôt qui reprend vaillamment du service.

Ces trois mécanismes, du plus brutal – la souveraineté et son droit de vie ou de mort sur ses sujets – au plus insidieux – le contrôle et auto-contrôle basé sur une pression sociale écrasante et la crainte d’être exclu et coupé de tout lien social – en passant par la surveillance permanente ne laissant aucune zone d’ombre sur nos gestes et nos pensées, se relaient à toute heure de la journée en tout espace et en toute situation de notre vie (fut-elle intérieure) pour créer une méta-mécanique dont Foucault n’a probablement jamais eu l’idée. Souveraineté, surveillance, contrôle ! Cours petit homme, cours vite, le monde nouveau est à tes trousses ! Sauve-toi, ou alors devient robot ! Quel autre choix ?

Rémi Marie.

Ce texte a été publié sur Art Debout, dont vous pouvez retrouver tous les articles sur leur site internet. 

Crédits photos:

  • manif-15sept: Nuit Debout DR

NG

http://ngng-news.blogspot.fr


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