Feuilleton Debout #34. Les frères de Mari

FEUILLETON DEBOUTLe Feuilleton donnera la légende de la Nuit.

Qu’est ce qu’Andrew avait pu trouver d’intéressant dans ces photos ? Il s’agissait surtout de portraits de Mary. Ange avait photographié les clichés avec son téléphone simplement pour ne pas perdre trace d’elle. Ange les feuilletait, quand il entendit un bruit sourd au-dessus de lui.

La douche s’était arrêtée de couler.

Avec cette anxiété en plus, il réfléchissait, seul dans cette pièce qui se refermait sur lui. Les photos n’évoquaient rien d’autre que Mary. Bien sûr il se disait que Mary pouvait soit être le nom d’utilisateur soit le mot de passe pour la session bloquée. Mais ça ne solutionnait pas grand chose, et ca paraissait bien simple. Il fit quelques essais en intervertissant les places et en ajoutant « Revolution » ou « Nuit Debout ». Rien ne se fit. Ange était perdu.

Il passa quelques heures sur internet, tentant d’aller fouiller dans l’historique. Tout était effacé. Aucun cookie, aucune indication dans la barre de recherche. Aucun favori. Ange tapa le nom Mary Stove, et l’accola à celui de Columbia, puis de riot, puis de revolution. Rien ne sortit. Tout avait été effacé. Elle n’existait littéralement plus.

Ange n’osa ouvrir aucune messagerie en ligne, ni n’en créer aucune. L’adresse IP de l’ordinateur devait être entièrement contrôlée. Tout ce qu’Ange voyait sur son écran, c’était certain, quelqu’un d’autre le voyait aussi. La clef ne pouvait pas résider en ligne, mais dans un fichier dur, physiquement présent dans l’ordinateur ou dans la pièce, qui permettrait de trouver une solution en dessous des radars de tout espionnage. Les associations d’idées trouvées sur internet étaient paramétrables, filtrables, déjà paramétrées et filtrées.

Il avait fermé le moteur de recherche et restait songeur, à fixer l’ensemble de la pièce. La disposition des choses dans l’espace n’indiquait rien. Il fit les cent pas, scrutait ce qui l’entourait d’un nouvel angle. Il s’y épuisa.

Il passa la nuit, ou ce qui correspondait à la nuit, à savoir le moment où il fut trop las pour pouvoir continuer à réfléchir, dans une position accroupie, le corps et la tête contre un mur, avec deux pulls par dessus lui. Quand il se réveilla, la seule chose qui lui indiqua l’heure fut l’écran d’ordinateur des invités, qu’il confirma en faisant une recherche sur l’horloge planétaire. Il était 5 heure du matin. Il faisait très froid. On avait du également couper le chauffage.

Il passa la journée à errer. Il but avec modération. La faim le tiraillait. Et pour se remplir le ventre il avait tendance à boire plus. Il était dur de se restreindre. Il n’avait que l’équivalent de 4 ou 5 litres d’eau. Il commença à focaliser son attention sur autre chose, pour oublier les coups dans son ventre.

Ange trouva quelques feuilles blanches, et avec un stylo commença à noter tous les mots ou les noms qui lui passèrent par la tête, et qui pouvaient être liés à Mary. Harlem, Columbia, barricade, police, NYPD… son esprit recombinait toutes ces entités et essayait d’en sortir du sens. Sur les photos, Mary était toujours dans un environnement qui ressemblait au upper west side, rien de marquant, pas un bâtiment particulièrement saillant. Elle souriait toujours, mais rien de singulier dans sa physionomie. Les mêmes cheveux bruns-ocre, les mêmes yeux de bleu pur, rien de différent de ce qu’il ne connaissait déjà.

Il refouilla tous les fichiers de la session guest de l’ordinateur. Il retourna toutes les photos des cartons, inspecta tous les éléments des machines d’impression. Rien à faire, aucun indice.

Quand il fut lassé de fouiller de ce côté là, il commença à examiner l’arrivée d’air, pour voir s’il n’y aurait pas moyen de sortir par une conduite. La plaque trouée était fixée solidement dans le plafond, aucun moyen de la faire sortir de sa surface lisse. Elle était de toute façon trop réduite pour qu’un corps put s’y glisser, ce qui présentait au moins l’avantage qu’on ne viendrait pas le surprendre Ange de ce côté là.

Il était épuisé, sa tête lui faisait mal. Il s’endormit de nouveau, sur une des chaises qui faisait face à l’ordinateur cette fois. Réveil vers 23h le soir. Ange commençait à considérer l’option de sortir par la porte, avec une arme bricolée d’éléments prélevés sur les machines à impression. On le tirerait probablement comme un lapin, mais plutôt ça que de mourir desséché dans une pièce introuvable.

Il démonta un bout de la presse, qui avait du servir à établir des faux passeports, pour réussir à en sortir une forme de bras de métal articulé. Ce n’était pas pratique, parce qu’au bout pendait une pièce tournant sur une vis, et empêchait l’objet d’être tout à fait contendant. Ange eut l’idée de prélever un grand bout de scotch qui tenait les cables d’ordinateurs afin de parvenir à fixer la partie mobile. L’arme était droite, mais très peu convaincante. Ange la reposa dans un coin de la pièce, et se rassit, cette fois en face de la télévision. Il joua à un jeu vidéo pour se renouveler les idées. Il se dit qu’il passerait encore au moins une journée à réfléchir avant de tenter une sortie.

Dehors, aucun bruit, pas une vibration, pas un cri ou un tapement. Rien. La pièce aurait rendu Ange fou s’il n’avait pas eu le bruit des ordinateurs et de la console de jeu. C’était d’ailleurs une des raisons qui avait du pousser Andrew à l’installer là. Il finit le jeu auquel il s’était attelé en quelques heures : « Megaman ». Ange le connaissait bien, pour y avoir activement joué étant petit. Andrew et lui avaient approximativement le même âge, ce qui leur avait donné probablement des goûts communs.

Quand il eut terminé, il refit un tour dans la pièce, pour se décrasser avant d’entamer « Megaman 2 ». Il but quelques gorgées, puis se rassit devant la télévision. En fouillant parmi les cassettes de jeu, il en découvrit qu’il connaissait déjà. Dans la pile, juste au dessus de celle qu’il désirait, Ange aperçut le logo facilement identifiable de « Mario Bros ».

Sous l’image, cependant, le titre était légèrement effacé. Et le premier « o » avait disparu. Ange n’en croyait pas ses yeux : « Mari Bros ».

Les frères de Mari.

— Retrouvez le feuilleton ici

Crédits photos:

  • Les slogans de la manifestation du 15 septembre à Paris.: Nuit debout DR

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