Manif du 15 septembre : trouver une troisième voie

Compter les blessés. Appeler les copains-copines pour savoir si tout va bien. Rester calme malgré les détonations. Ne pas courir. Rester groupés. Voici les automatismes que les participants aux défilés contre la loi travail ont développé ces derniers mois. Des habitudes qui n’ont pas été bien longues à réactiver le 15 septembre.

Vers 14 heures, je rejoins les Nuitdeboutistes pour retrouver le cortège qui doit partir de la place de la Bastille pour rejoindre celle de la République. Beaucoup – pour ne pas dire tous – veulent aller dans le cortège de tête. Le fameux cortège de tête, le nid à « casseurs » dont se délectent les journalistes de BFM & compagnie. Je rechigne à remonter la foule assez dense qui avance le long du boulevard. Je l’avoue sans honte : j’ai un peu peur. Mes dernières expériences en tête de cortège étaient loin d’être agréables. « Si tu as peur, c’est parce que tu n’es pas assez en colère », m’assure une connaissance.

À ma droite, deux hommes masqués s’attaquent à un abribus et détruisent la vitre. Les panneaux publicitaires étant protégés par des planches de bois, ils ne peuvent s’attaquer à leurs cibles habituelles, symboles du capitalisme honni. « Aveuglés par leur haine, leur frustration, des mois de nasses et de gazages, ces gens sont les enfants de la répression mise en place par Sarkozy et entretenue par Hollande. C’est triste à pleurer », se désole M., une Nuitdeboutiste.

Je poursuis ma route, croise bon nombre d’amis, de Nuitdeboutistes. Bref, tout le monde est là, dans ce fameux cortège de tête. Mais ses membres sont loin d’être tous des hommes/femmes en noir prêts à en découdre avec les forces de l’ordre. « Nous sommes l’avant-scène inclusive, plurielle, offensive et déterminée des luttes, manifs et occupations – convergentes » comme nous l’expliquions dans Gazette Debout.

On trouve ici toute une nébuleuse de militants, qui défilent devant les syndicats, sans pour autant avoir envie de balancer des pavés sur les CRS. Une fille avec une couronne de fleur crie des slogans contre la loi travail. Un homme aux cheveux grisonnants marche à côté de jeunes étudiants tout sourire.

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Ro., un de mes amis, me tire par le bras pour aller retrouver un de ses copains au Front de gauche. Nous reculons un peu et restons un moment derrière une banderole, bien loin des hommes en noir et des affrontements. J’essaie de me concentrer sur les slogans, sur les chansons, sur cette ambiance souvent festive qui d’habitude me galvanise. Pourtant les déflagrations continuent de me faire sursauter. Une grenade lacrymo tombe littéralement du ciel et sème la panique dans la foule. J’ai l’impression qu’elle a été tirée depuis l’immeuble. Un sentiment confirmé par plusieurs personnes autour de moi. Nous sommes face au numéro 2 du boulevard des Filles du Calvaire. Les CRS ont-ils tiré depuis cette fenêtre du 4e étage ? Un habitant peut-il posséder une telle arme et l’utiliser contre de simples manifestants pacifiques, qui ne font que crier leur colère contre un gouvernement qui refuse de les entendre ? Mon esprit est confus. Je poursuis ma marche en tremblant comme une feuille.

De la fumée noire s’élève dans le ciel. Un cocktail Molotov a dû être jeté. J’apprendrai plus tard que deux policiers ont été brûlés. Des images impressionnantes dont les médias vont certainement se délecter. Les journalistes étaient d’ailleurs très nombreux dans ce cortège, casqués et équipés de masques à gaz.

Les déflagrations continuent. J’aperçois au loin des affrontements entre policiers et manifestants. Je ne peux m’empêcher de reculer, de m’éloigner, de me fondre dans cette foule pour me protéger. « Tu rates tout le fun », m’assure un copain resté en tête de cortège.

La place de la République se dessine au loin. Au bord de la route, les badauds nous regardent passer. Je me sens comme un prisonnier qu’on va jeter dans la fosse aux lions. D’autres au contraire bombent le torse, tels des gladiateurs qui arrivent dans l’arène. La tension est palpable : la place va devenir rapidement un champ de bataille.

On me montre une tâche de sang au sol : un manifestant aurait perdu son œil. Les appels à témoignages tournent sur les réseaux sociaux. J’apprends par la presse que l’homme en question s’appelle Laurent Theron, il est syndicaliste chez Solidaires. Sur son site internet, le syndicat décrit la scène.

« Selon de multiples témoignages, rien ne justifiait de faire usage de la force à l’encontre de Laurent Theron. En effet, celui-ci se trouvait à côté du skatepark à l’entrée de la place et discutait comme beaucoup d’autres personnes autour de lui en fin de manifestation. Il n’y avait à proximité aucune action à l’encontre des forces de police. Pourtant les forces de l’ordre ont lancé une charge accompagnée de tirs massifs de grenades lacrymogènes, de grenades désencerclantes et de flash ball. C’est à ce moment là que Laurent Theron a été blessé à l’oeil, son voisin étant lui blessé aux jambes. Dans les images disponibles, une goupille de grenade est parfaitement visible dans le sang de notre camarade. Pris en charge, notamment par les « Street Medic », Laurent a dû attendre 55 minutes avant d’être pris en charge par les pompiers ». 

Le communiqué de presse diffusé par la Préfecture fait état de 8 policiers blessés et seulement 4 manifestants. Un chiffre aberrant que je peine à comprendre. Rien que dans mon entourage, je compte déjà 5 personnes atteintes. La manipulation des chiffres a déjà été dénoncée par les Street Médics que nous avions rencontrés avant l’été.

 

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La place est noyée par les gaz. Les gens courent dans tous les sens, pris au piège dans une véritable souricière. « Nous étions du gibier chassé dans tous les sens sur la place et avons mené de belles charges mais connu de douloureuses pertes. Leur démocratie pique les yeux. Elle est irrespirable » résume un Nuitdeboutiste du cortège de tête.

Face au déluge de grenades qui pleuvent de toute part, j’abandonne et je m’échappe par l’une des issues contrôlées par les forces de l’ordre. Une femme s’emporte dans une rue derrière. « Y’en a marre de toute cette violence, moi j’aimerais pouvoir aller chercher mes enfants à l’école tranquillement ».

Les policiers en feu devant la statue de la place de la République le 15 septembre.
Les policiers en feu devant la statue de la place de la République le 15 septembre.

Le calme est revenu peu avant 18 heures. Nuit Debout a pu s’installer et commencer son assemblée générale.

Un ami à qui je confiais mon malaise en fin de journée s’est étonné. « Mais pourquoi ne vas-tu pas derrière, avec les syndicats. C’est beaucoup plus calme ».

Il a raison. Mais je dois avouer que je ne me retrouve pas dans leur organisation et leur philosophie qui me paraissent encore accrochées aux logiques d’un autre âge. Tout comme je n’arrive pas à m’identifier au cortège de tête. Pourtant, il n’est pas question pour moi de me taire, d’abandonner, de laisser faire. Mais entre la violence et le corporatisme, il me faut imaginer une troisième voie pour exprimer mon dégoût, ma lassitude et ma colère.

LA.

Crédits photos:

  • Le drapeau de Nuit Debout flotte le 15 septembre: TK DR

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