Errances d’une Nuitdeboutiste à la Fête de l’Huma : où en est la convergence ?

C’était ma première Fête de l’Humanité. Je m’y étais rendue sans trop d’a priori, ne sachant pas vraiment à quoi m’attendre, si ce n’est à des concerts et aux traditionnels stands de merguez, entre lesquels se glisseraient peut-être quelques stands végétariens, de rigueur en 2016. Je fêtais pourtant ma 16e année parisienne, ma 37e année de gauche et bien que préférant les chipos aux merguez, je suis toujours partante pour un concert en plein air. J’ai dû penser sans m’en rendre compte qu’il fallait être militant pour aller à la Fête de l’Huma. Peut-être ne suis-je pas la seule.

Retour, après avoir trainé ses tongs dans la poussière sur des kilomètres
Retour, après avoir traîné ses tongs dans la poussière sur des kilomètres

Il faut dire que c’est loin, aussi – en tout cas ça paraît loin pour ces nombreux Parisiens qui, comme moi, rechignent à passer le périph sans un vaccin et un kit de secours. Peut être ma participation à la COP21 sur ce même site en décembre a-t-elle fini d’aplanir mes a priori en me faisant découvrir la ligne 7 et ses navettes gratuites au départ de Fort d’Aubervilliers. Moins de 30 minutes de porte à porte, finalement, quand la navette se fraie un chemin sur l’interminable Nationale 2. Soit moins de temps que pour trouver une table au soleil un dimanche après-midi dans Paris.

J’avais hésité aussi à cause de ce que j’avais entendu de certains débats internes stériles, si l’on peut encore appeler cela débats. L’argument ne pèse pas lourd à mon sens quand il doit en passer par des menaces, surtout disproportionnées. C’est donc décidée à lutter contre les luttes intestines, quelles que soient leurs étiquettes ou nationalités, que j’ai plongé à tête ouverte dans mon premier week-end à la Fête de l’Huma.

Le premier hall, par lequel on me fit entrer, me rappela vite la COP21 et tous les autres salons à stands intérieurs érigés en carton pâte. La cacophonie empêche toute tentation de flânerie, au grand désespoir des exposants reclus, pourtant de qualité. On cherche la sortie, l’issue, la Fête, non sans passer par la partie librairie où de nombreux auteurs vous attendent, assis par ordre alphabétique. Je me serais bien lancée dans un échange avec certains d’entre eux, mais je n’avais pas révisé. Une autre fois. Puis, on passe une porte et on retrouve le soleil, la fête et la foule.

On se perd parfois à la Fête de l'Huma...
On se perd parfois à la Fête de l’Huma…

C’est beaucoup plus grand que je ne l’imaginais, surtout quand on est perdu. J’ai traîné mes tongs dans la poussière sur des dizaines de kilomètres de dédale d’allées, d’avenues, plus ou moins arrangées par thématiques (départementales, internationales, partis de gauche). Il faut dire que personne n’a eu la gentillesse de me prévenir que le plan était dans le programme, pour ne pas dire catalogue, qu’il faut acheter en arrivant. Je me suis donc lancée espérant que les flèches et mon sens de l’orientation en viendraient à bout. Naïve. Mais quelle meilleure façon de découvrir une ville que de s’y perdre ? Car c’est une ville. Ephémère, certes, mais avec ses quartiers, boutiques, restaurants, manèges, places et points de rendez-vous.

C’est d’ailleurs un quartier touristique de rêve quand il s’agit de boire ou de s’alimenter : crêpes bretonnes, tartiflettes, fruits bio découpés, pâtisseries orientales, huîtres, mezzés, ragoûts et charcuteries corses cohabitent presque sans une once de revendication régionale ou nationaliste. On se propose, avec ses coutumes, sa musique, sa langue, ses bijoux fait main, ses messages de paix ou de révolte, tout en tolérant le voisin et les passants, qu’ils soient en jogging ou en soutien-gorge. Une France dans la France est donc possible. Et aussi étrange que cela puisse paraître, on se sent partout chez soi. Même alcoolisé. Parce qu’on l’est forcement un peu : bières, mojitos, vin régionaux, mais aussi thés bio ou traditionnels, jus de fruits frais, cafés dégrisants, soupes… le rayon boissons est tout aussi fourni. On ne meurt ni de soif ni de faim à la Fête de l’Huma, pourvu qu’on ait pensé à retirer de l’argent avant de venir. Ce n’est pas toujours donné, certes, mais franchement, qui cherche trouve. On ne peut pas tout s’offrir (de toutes façons l’estomac et le foie n’y résisteraient pas), mais j’ai bu des bières à 1€ tout à fait respectables, mangé des crêpes à 2€ ou partagé des tartiflettes à 6€ qui nourrissent facilement plusieurs personnes. Il faut dire que toute présence à la Fête de l’Huma a un prix, qui peut paraître discutable pour ceux dont les stands ne vendent rien et ne cherchent qu’à partager leurs idées, mais cela permet au journal de survivre toute l’année durant. On n’y vient donc pas pour bouder son plaisir, surtout quand le mojito est au prix du café parisien.

 

Pluie de Mojitos au stand cubain
Pluie de mojitos au stand cubain

Côté échanges, débats, recherche d’information, on n’est pas en reste non plus. De nombreux lieux permettent d’assister à des débats, discours, échanges, de l’agora au plateau de Radio France. Les révoltés de systèmes dictatoriaux sont présents aussi : Kurdes et Turcs se côtoient, l’Afrique, le Maghreb, Cuba aussi – qui d’ailleurs remporte la palme de la fête et de la visibilité. J’errai donc dans cette Fête des Voisins internationale.

Mon errance me porta chance puisque je me retrouvai par hasard et au bon horaire devant les stands du Parti de Gauche pour le discours de Mélenchon, puis devant celui du NPA, quelques mètres plus loin, pour celui de Besancenot, tous deux bondés, certains visiteurs allant même de l’un à l’autre. Je n’ai tout de même pas pu m’empêcher de leur faire remarquer qu’il était dommage de s’exprimer à la même heure, si près l’un de l’autre. On me répondit que chacun avait décidé de longue date son heure d’intervention et que le samedi 15h était un horaire logique, au pic de la présence des visiteurs. Certes.

Mais alors, où en sommes nous de cette Convergence ? Parce que nous touchons au cœur du sujet, de l’existence de la Fête de l’Huma, certes, mais aussi de NuitDebout.

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Mélenchon à la Fête de l’Humanité

Convergence régionale, nationale, internationale, malgré nos divergences parfois, sur la forme, les moyens ou la cible, mais pourquoi nous réunir si souvent si nous ne sommes pas tous convaincus de partager l’essentiel ? Si elle est possible, pourquoi ne pas tout faire pour la mettre réellement en œuvre et sinon, pourquoi en faire le cœur de nos slogans, de nos outils, de notre action ?

 

Stand "Ceci n'est pas NuitDebout"

 

Nuit Debout était présente à la Fête de l’Huma sous la bannière « Ceci n’est pas Nuit Debout ». Pourquoi ce message, alors que nous sommes Nuit Debout, précisément ? Parce que nous n’aurions jamais pu nous offrir un stand et que Diem 25, le parti citoyen de Yanis Varoufakis, nous a proposé une partie du sien. Il semble que cette proposition ait poussé quelques individus à crier au scandale, à en venir aux mains, et à menacer de mettre le feu au stand si quiconque s’y rendait. Elle est belle, la démocratie ! Il semble qu’on ait encore beaucoup à apprendre… Je ne suis pas une défenderesse de Varoufakis. Je connais ses idées – que je ne cautionne pas toujours, d’ailleurs – et j’ai eu l’occasion de le traduire lors de sa venue place de la République, pour TvDebout, ce qui résume à peu près ma connaissance de l’individu.

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Varoukafis place de la république le 16 avril 2016

En revanche, je me souviens que quand presque toutes les figures publiques politiques nous conspuaient et nous traitaient de « sauvages bobos alcooliques », il était venu à République nous encourager. Force est aussi de constater qu’aujourd’hui, à l’heure où tout le monde crie à la mort de Nuit Debout, en France ou à l’international, parce que nous ne sommes plus des milliers place de la République chaque soir, il nous tend la main en nous offrant une espace de visibilité et de représentation dans l’un des plus gros événements de gauche européens, nous cite dans ses discours et nous encourage à poursuivre nos travaux de réflexion, de mobilisation et de convergence. Voilà les faits. Pardonnez-moi, mais je ne suis ni ingrate ni amnésique.

Couv de l'Humanité "NuitDebout: ils bousculent la gauche"

Alors bien sûr, certains crieront à la récupération. Vieux réflexe de Nuit Debout « Saison 1 », comme le dirait notre cher Nicolas V. Nous étions des millions, visibles quotidiennement dans les médias, partout en France et à travers le monde, à nous soulever ensemble, à réfléchir ensemble, à devenir force de proposition. Nous le sommes toujours, un peu plus en coulisses, en tant qu’individus, commissions, citoyens, mais sommes-nous sûrs de ne pas risquer d’être aveuglés par notre propre importance et nos doutes sur notre intégrité commune ?

Sommes-nous si gros pour inspirer (encore et toujours) des manœuvres de récupération et surtout, sommes-nous si faibles pour ne pas savoir y résister ? Devons-nous mordre toutes les mains tendues pour prouver notre indépendance ? Et si oui, à qui chercherions-nous à la prouver sinon à nous-mêmes ?

Nuit Debout est la parfaite démonstration de la convergence, de ses limites et de ses difficultés.

Paris, le 4 avril 2016

 

Qui sommes nous ? Que cherchons nous ? Quelles sont nos valeurs communes, à tous ?

Si l’on pose les calques de toutes les luttes, de l’antispécisme à Hôpital Debout, du Jury Citoyen à ArchiDebout, à Paris comme à Rennes, Nantes, Nice, Clamart ou Clichy, en France et à l’étranger, qu’avons-nous en commun, tous ? Quel est le moteur fondamental de notre engagement, quelle est notre charte éthique commune aujourd’hui ?nuitdebout-je-suis

Car oui une charte existe, et de nombreux Nuitdeboutistes se sont impliqués pour la rendre possible ; mais ne serait-elle pas un premier pas à mettre à jour, à préciser, à raviver pour nous souvenir de qui sous sommes, pour être rejoints par ceux qui nous ressemblent et, enfin, aller plus loin ? Devons-nous par exemple rejeter tous les médias, intellectuels, mouvements, syndicats, partis – même amis – pour atteindre notre but ?

Ne sommes-nous pas suffisamment sensés, informés et instinctifs pour séparer le grain de l’ivraie ? Ne pouvons-nous pas accueillir en notre sein des démarches différentes mais complémentaires, qui s’enrichiraient l’une l’autre ? Ne le devons-nous pas ?

Pour revenir à la question générale de la convergence de la gauche réelle et des « bien pensants » : ne serait-il pas riche – pour ne pas dire urgent – de permettre aux citoyens d’assister à deux, cinq ou dix discours portés par des individus différents, certes, mais complémentaires ? N’avons-nous pas tous des objectifs communs ? Allons-nous longtemps continuer à fournir avec assiduité des guerres intestines qui nous poussent à couler nos propres navires plutôt que de viser ensemble la flotte incommensurable qui nous encercle ? Certes, des différences de fond – fondamentales et indépassables – existeront toujours avec ceux qui soutiennent un système défaillant et injuste, mais d’autres – de forme – ne demandent peut-être qu’à être dépassées pour créer ce « nous » protéiforme qui nous fait tant défaut.

Je pose les questions et ne prétends pas avoir les réponses.

Tentons peut-être de ne pas accuser les symptômes, pour enfin chercher ensemble la maladie. C’est d’ailleurs ce que nous sommes depuis le jour 1 : un laboratoire. On cherche, on essaie, on apprend.

L’inventeur Thomas Edison disait qu’il avait trouvé mille façons de ne pas fabriquer une ampoule électrique avant d’y parvenir, et que tout échec n’était qu’un pas de plus vers la victoire. Un pas de plus.

C’est là l’impression principale et ô combien prégnante qui me restera de ma première Fête de l’Huma, portant avec elle cette inquiétude et cet espoir de savoir si oui ou non nous saurons, individuellement puis ensemble, faire enfin ce seul pas qui, je crois, rendra tous les autres possibles.

Je pense que nous ne nous y perdrons pas. Il se peut même que l’on s’y retrouve…

Marjorie M. pour Gazette Debout

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  • Convergence des luttes Nuit Debout: maxppp
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  • Le stand de Nuit Debout à la Fête de l’Humanité.: Nuit Debout - DR

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