Feuilleton #28. Un tour de loquet.

FEUILLETON DEBOUTLe Feuilleton donnera la légende de la Nuit.

« – The hell you doin’ here ? I thought you were damn dead pal, or in Europe, which doesn’t make much difference considering how they like you ova dé !

– I need a complete check up, a complete cleaning and a fresh start. You think you could provide me with all of that ?

– Where you at moneywise ?  »

Ange sortit de sa poche un billet de 50 dollars. C’était tout ce qu’il avait. Andrew lui fit un sourire. Il alla tirer la caisse sous son bureau. Il en sortit une bonne liasse.

« – You good for tén days with those »

Cet accent de la ville démontrait qu’Andrew avait du vivre à NYC depuis la fin de la révolution. Il avait même pris les gestes de dialogue d’un hood de Brooklyn, ce qui le rendait beaucoup plus accessible et agréable que lorsqu’Ange l’avait connu. Sa vieille casquette des Nets (le club avait disparu depuis bien longtemps, après qu’une partie de l’équipe ait pris parti pour la Nuit Debout brooklynienne) le décalait cependant légèrement d’avec les ados du coin. Un geek gangsta était en train de sauver Ange.

Andrew lui demanda de le suivre, dans la pièce de derrière. Ils traversèrent un entrepôt bien singulier. Il y avait de tout sur les étagères. Ange put voir disposés en désordre conserves de fruit, de flageolets noirs, de soupes, livres, matériaux de constructions et outils de jardinage, ustensiles de cuisine, pièces d’informatique, accessoires électroniques. L’Andrew’s Market était une véritable caverne de trouvailles. Il se demandait quel type de fournisseurs pouvait lui procurer des objets si hétéroclites. Ils arrivèrent près d’un mur, avec une porte blindée et trois verrous cadenassés. Andrew les défit, et fit craquer l’enceinte en retirant cette lourde plaque de l’ouverture. Ange comprit immédiatement que s’il avait le moindre mouchard sur lui, la salle dans laquelle il rentrait désactiverait toute transmission réseau, vu l’épaisseur des murs. Il se sentit presque plus léger. Ils entrèrent dans la pièce, Andrew referma la porte sur eux, et mis un tour de loquet.

Ange contemplait. Il y avait tout ce qu’il fallait pour vivre des mois enfermé ici. Un lit près d’une machine à laver sur laquelle était empilé un sèche-linge, une penderie avec quelques pièces d’affaires de toutes sortes, et des chaussures de plusieurs tailles, surtout des baskets unisexes. Une douche se situait dans un coin de la pièce, pas loin d’un flipper, d’un billard et d’un bureau sur lequel étaient vissés trois ordinateurs et plusieurs unités centrales.  Dans un autre coin, une télévision et des jeux vidéos. Pas loin de la télé, plusieurs boîtes en cartons avec des objets dedans, qu’Ange ne reconnut pas tout de suite. Enfin, sur chacun des côtés alignés au murs de l’entrée, des sortes de postes de travail devant des machines qui ressemblaient à des grandes imprimantes, des grands scanners ou des presses quelconques. Les fils, nombreux, les reliaient aux unités centrales installées sur le bureau. Ange comprit que la réserve qu’il venait de traverser était tout autant destinée à être la réserve de vente à des clients qu’à servir de fond de ressources pour les camarades paumés dans son genre. Il était très heureux de voir toute cette méticuleuse préparation qui l’attendait. Andrew se frottait la visière de la casquette, et dit :

« – You know the drill fella » Il indiquait avec l’index de son autre main une sorte de trappe imbriquée dans le mur de gauche. Il s’agissait soit d’un dumpster, soit d’un incinérateur. Ange commença à se déshabiller, puis alla faire couler l’eau de la douche pour qu’elle se réchauffe. Andrew lui dit qu’il l’attendrait dans la devanture du magasin et sortit en refermant la porte. Ange se demandait s’il était enfermé à l’intérieur. Puis comme il  commençait à grelotter dans cette pièce fraîche, il se pressa de jeter tous ses vêtements par la trappe. En la refermant, il entendit comme un grand bruit de vapeur. Il prit une bonne douche. Des serviettes propres l’attendaient dans le sèche-linge dont la porte était restée ouverte. Ange trouva une chemise et un pantalon à sa taille. Mais pas de caleçon. Des chaussettes et des chaussures un peu grandes. Il chiffonna deux feuilles de papier épais qu’il trouva sur le bureau et coinça les petites boules dans le fond des chaussures. Il se sentait mieux.

Il alla, mécaniquement, s’asseoir sur une des chaises devant les ordinateurs, puis cliquer sur une touche de clavier. Le premier écran s’allumait. Le bureau se mit en place, et Ange vit pas mal de fichiers ouverts. Visiblement tous des programmes de gestion du commerce que tenait Andrew. Il cliqua sur la touche du second clavier. Même tarif : n’étaient ouverts sur le bureau que des fichiers sans intérêt. Ange se dit qu’il n’avait pas à s’introduire dans la vie d’Andrew comme ça et se remit debout. Il alla enfiler une veste supplémentaire, parce qu’il n’avait pas chaud. C’était une veste de tweed un peu ample. Une veste probablement récupérée dans un magasin de seconde main, ou dans un de ces fameux thrifts de Brooklyn spécialisés dans les vieilles fringues un peu rétro.

Ange plongea les mains dans les poches, tout en avançant vers la poubelle à côté du bureau. Il trouva dans celle de droite une bille de plomb, probablement restée là depuis qu’on avait acheté le vêtement. C’était une petite bille limée, de celles des roulements. Ange la lança machinalement vers la corbeille à papier. Il manqua son but et la bille alla heurter légèrement, de côté, le clavier du troisième ordinateur qu’Ange n’avait pas jugé bon de tapoter. L’écran s’alluma.

Ange écarquillait les yeux.

Sur le bureau, une photo de lui-même avec tout un descriptif biographique était affiché, et avait du être placé là avant même qu’Ange n’eût pénétré chez Andrew. Une angoisse de méfiance descendit sur lui.

— Retrouvez le feuilleton ici

 

Crédits photos:

  • Rentrée : République: Nuit Debout

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