Nuit Debout a besoin du Commun

PRÉAMBULE – L’humanité a toujours vécu dans un monde infini, mais notre Terre est devenue un lieu clos et surexploité. Il s’agit de s’y adapter de gré plutôt que de force. Autrement dit, l’effondrement écologique, économique, philosophique, politique, est déjà en cours, et Nuit Debout en est un symptôme.

CONSTAT – Nos sociétés mercantilistes se découvrent vulnérables de par leur complexité, et lancées dans des logiques de développement mortifères à l’échelle du globe. Chacun doit y maximiser son capital, mais la recherche de profit est dorénavant bridée, autant par des perturbations de l’environnement à toutes les échelles, que par la ré-émergence d’un besoin de spiritualité au-delà du contentement matériel, ou par la recherche d’un rapport pacifié à la nature et à autrui. Cette situation remet frontalement en cause une économie fondée sur la croissance et le travail, et alors que l’automatisation de la production pourrait nous en désaliéner, la question se pose à nouveau de savoir si l’on mettra au pré ou à la boucherie le cheval remplacé par un moteur.

La notion même d’État entre en crise. Il est généralement construit sur un modèle pyramidal, avec au sommet un président qui dirige un gouvernement qui dirige le peuple, comme un général commande une armée, simple reproduction à grande échelle du modèle de la tribu primitive. Pourtant, cette organisation fondée sur la coercition perd de sa pertinence à l’heure du nucléaire terminal. Par ailleurs, le cout social du chef ne plaide plus pour sa légitimité, avec son cortège de rapports de force et de hiérarchies, soit une vie politique essentiellement violente pour le titre de mâle dominant, même si c’est une femelle. Enfin, l’idée qu’une autre tête soit nécessaire en plus de la sienne ne va plus de soi, alors que le niveau d’éducation moyen et internet offrent désormais à chacun une présomption de connaissances sinon de compétences, et la possibilité pratique de se dispenser des intermédiaires traditionnels de la politique.

Comme toute institution humaine, l’État est un organisme vivant qui cherche avant tout à se perpétuer. Il n’est pourtant qu’une personne morale, et non pas sensible, dépendante de sources d’informations plus massives que qualitatives, et dépourvue des facultés communes aux mammifères que nous sommes, comme la tolérance ou l’altruisme, notions aujourd’hui cruciales pour envisager le « vivre ensemble ».

Avec la disparition du contre-pouvoir communiste, le libéralisme, devenu ultra, parasite pleinement les États nationaux, avec une élite qui va et vient du secteur privé au public, constituant une oligarchie ploutocratique au service de ses propres intérêts. Pour ce « capitalisme de connivence » reposant sur la socialisation des couts et la privatisation des bénéfices, l’individu est bien plus consommateur-objet que citoyen-sujet de droit. Il est un individu massif qu’il s’agit de maîtriser « pour son bien », alors que le travail quotidien perd rapidement sa capacité millénaire à répartir la richesse et structurer la vie sociale.

Notre maison commune devient donc de plus en plus normative, inquisitrice et autoritaire, naturellement rétive à l’expérimentation sociale. Le peuple y est un danger par définition et la démocratie devient encombrante. Dans tous les cas, faillite brutale ou longue récession, le peuple paiera cher sa dépendance au système.

Commission
Commission / Azevedo DR

PROPOSITION – Nous cherchons à :

– réunifier l’homme, l’écologie et l’économie ;
– dépasser les impasses du communisme et du libéralisme ;
– nous affranchir de tout totalitarisme, qu’il soit étatique, marchand, mafieux ou religieux ;
– réaliser la transformation systémique par la multiplication d’initiatives plutôt que sous la forme d’un Grand soir.

L’enjeu est moins d’aménager le système que de l’amender en profondeur, sans recourir à la violence. Cela impose de proposer une vision alternative du monde d’emblée suffisamment élaborée et cohérente pour être plausible et discutable. Pour y prétendre, Nuit Debout a donc le besoin existentiel de se construire un cadre idéologique solide, de quoi guider pensée et action, et fédérer ses discours. Or cette idéologie existe déjà, c’est celle du Commun.

Primordial mais riche d’un présent innovant et de vision à long terme, le Commun est une forme ancestrale de répartition des richesses, au même titre que la propriété individuelle, toutes deux également respectables dans leur champ d’application. Il porte un intérêt particulier aux ressources disponibles pour tous, puisque les communs naissent d’une délibération civile de leurs règles d’usage, à un niveau trans-frontière, aussi local ou global que pertinent.

Le potentiel de cette idéologie opère jusqu’au niveau planétaire, englobant la nature au-delà même d’une humanité trans-générationnelle. Du Peuple, l’objectif révolutionnaire du Commun s’est recentré sur un peuple concret d’individus libres, avec une captation du bénéfice à la source plutôt que par redistribution. L’économie ou l’écologie n’en sont que des sous-parties, le revenu universel ou les monnaies alternatives des outils. Cette idéologie en devenir permettrait de concilier la satisfaction des besoins du collectif par lui-même et celle des intérêts particuliers par le marché, en se dissociant du dilemme rente/risque qui paralyse notre économie contemporaine. Alors que le conflit gauche/droite est périmé, le Commun transcende aussi l’opposition souverainisme/mondialisme.

Un « bien commun » est géré en fonction de l’intérêt général, et pas seulement de l’addition des intérêts particuliers, fussent-ils majoritaires, de préférence par l’association de ses usagers. Dans ce cadre, si l’État conserve peut-être un sens à grande échelle, sa nécessité comme son pouvoir s’effacent relativement au niveau opératoire. Dans le meilleur des cas, il s’y auto-dissout. « Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. » Alexis de Tocqueville.

Le Commun version an 2000, hybride de communisme et de libéralisme, devra revendiquer une mutation de la philosophie politique, soutenue par une redéfinition anthropologique d’Homo sapiens sapiens. Ainsi, plutôt que le traditionnel « La Liberté s’arrête où commence celle d’autrui », qui évoque une confrontation réductrice, on considérera « Ma liberté commence avec celle d’autrui », qui suggère coopération et nivellement par le haut, dans un cadre où les humains et leur science revisitent la notion d’altruisme. À défaut de bénéficier de l’intelligence collective des fourmis ou des abeilles, et puisque l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, nous en savons assez sur nous-mêmes pour tenter d’orienter notre sort avant que nos robots ne s’en préoccupent.

Pour autant, on peut s’attendre à des oppositions : le Commun remet en cause l’équilibre actuel des droits et devoirs associés à la « propriété privée » – droit consacré par le christianisme, élaboré par la Rome antique et la Renaissance puis l’Angleterre et Napoléon, plus connus pour leur croissance prédatrice que pour leur durabilité -, ainsi que l’éthique du travail « à la sueur de son front » – sanctification religieuse de la souffrance, cohérente avec la mise en valeur individuelle, en se rappelant que les prêtres, auto-proclamés intermédiaires des dieux et en cela distincts des autres individus, ont été à l’origine de la notion de classe sociale.

Mezigue@free.fr
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Crédits photos:

  • Commission: Francis Azevedo
  • République: Nuit Debout - DR

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