A Perpignan, Hollande joue à cache-cache avec les militants.

Nuit Debout, c’est ailleurs, Nuit debout, c’est partout. Juste avant que la Gazette Debout parisienne ne prenne un peu de repos, nous avions reçu ce récit d’une action menée par les camarades de Perpignan pour protester contre un nouveau chantier de Vinci, la multinationale déjà responsable du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : la nouvelle portion d’autoroute dite « Catalane » qui passe près de Rivesaltes. À l’occasion de l’inauguration, François Hollande lui-même faisait le déplacement, mais les Nuitsdeboutistes perpignanais ne parvinrent jamais à l’approcher. Signe une fois de plus de la rupture croissante entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, de la dérive sécuritaire, de l’euphorie des oligarques qui ne rendent de comptes à personne. Nos camarades perpignanais racontent aussi dans l’échec leur désarroi de se retrouver seuls, sans l’appui des forces militantes. Ils appellent ainsi à la convergence des luttes !

Hollande, Vinci et « La Catalane » : Mais où sont passés les enfants du P.O.U.M. ?
Ou
Épopée d’une action manquée, une Odyssée perpignanaise.

Lundi 25 Juillet 16h30.

La journée est belle, le soleil brille et la chaleur est harassante, rien de bien gênant pour nous Perpignanais, habitués aux épisodes caniculaires : une bière fraîche – ou plusieurs – en terrasse et entre amis à l’ombre des parasols résout facilement tous les problèmes des températures élevées auxquelles le capitalisme et sa soif de pétrole nous confrontent. Il faut nourrir les chats, ces fainéants ne veulent définitivement pas apprendre à se remplir leurs gamelles eux-mêmes, et nous devons donc rentrer afin de subvenir à leurs besoins les plus primaires : eau, nourriture et câlins…
Ce cérémonial achevé, ma copine se pose donc devant l’ordinateur, se connectant sur le plus grand média de masse mondial afin de prendre des nouvelles du reste du monde.
Défilant rapidement sa page à la recherche des articles publiés par les différentes Nuits Debout de France et de Navarre, un portrait désobligeant apparaît soudain sous ses yeux. Un article du journal local annonce l’arrivée du chef de l’état le 28 Juillet, pour l’inauguration de la nouvelle portion 2×3 voies de l’autoroute 9 aussi appelée « La Catalane », construite par et pour Vinci, entre Rivesaltes et Le Boulou pour un montant de 500 millions d’euros. C’est une amie CGTiste qui a partagé l’article, socialiste libertaire d’obédience, que nous appellerons G. pour ne pas qu’elle se retrouve à nouveau sur écoute (à présent légale depuis la LOPSI2).
L’instant de stupeur passé – une grosse huile en Roussillon c’est très rare, aussi rare qu’un homme politique de la région non corrompu, c’est dire – nous caressons l’espoir d’apprendre quand et où nous pourrions aller conspuer en toute liberté notre cher président. Quelle déception : aucune précision autre que celles mentionnées dans le titre, en un mot, nada. « Pas grave » nous disons-nous « Nous aurons plus d’information sur l’agenda présidentiel ! ». Réponse : Non… nous devinons que l’inauguration se tiendra dans la matinée. Tout cela semble être organisé dans la plus grande discrétion. En règle générale, les politiques aiment à se montrer surtout quand il s’agit d’arborer une coiffure « normale » à 10 000 euros. La normalité semble se monnayer cher ces temps-ci et surtout sur le dos du contribuable. « Pas grave » nous disons-nous « L’intersyndicale fera sûrement ce qu’il faut pour le découvrir et agir en conséquence. » Nous finissons donc notre soirée comme beaucoup d’anormaux de notre époque – parce qu’on n’a pas les sous pour la normalité, nous –  en se lançant plusieurs épisodes à la suite d’une série abrutissante contemporaine.

Mardi 26 Juillet. 

En nous levant le matin, nous nous remémorons notre espérance de la veille avant l’extinction neuronale presque réglementaire et guettons patiemment la réaction syndicale qui se doit pour l’occasion d’être magistrale. Réponse : Non. La journée se passe tranquillement, nous partons à la pêche aux informations, nous en revenons bredouille, toujours aucune annonce de la part de l’intersyndicale. Nous finissons le visionnage de notre série B.

Mercredi 27 Juillet.

Enfin une réponse de l’UD est publiée ! G. nous a envoyé pendant notre sommeil la réaction des syndicats face à ce micro-événement majeur dans la vie politique départementale.

« Jeudi 28 juillet : Hollande sur la Bande d’Arrêt d’Urgence de l’autoroute A9 au sud de Perpignan ? Vu que nous ne connaissons ni l’heure ni le lieu de l’intervention de Hollande pour inaugurer les 2 fois 3 voies de l’A9 entre Perpignan et le Boulou, l’intersyndicale 66 a décidé d’appeler à un rassemblement jeudi 28 de 12h à 14h devant la préfecture. Soyons nombreuses et nombreux pour lui rappeler que nous sommes opposés à sa politique ultra-libérale et à celle de son apprenti dictateur de 1er ministre qui vient d’utiliser pour la troisième fois le 49.3 pour imposer la loi travail, en méprisant les luttes des salariés, retraités, privés d’emploi et de certains parlementaires » (source CGT66)

Le site internet de la CGT 66
Le site internet de la CGT 66

Quoi !?! Un rassemblement là où Hollande ne sera pas ? Pire même, à une heure où il ne sera plus là ? Impossible. Nous décidons donc de prendre les choses en main afin de débusquer notre proie. Nous ne sommes peut-être pas très bons pour la pêche, fi donc de la patience et de la contemplation, nous irons le chasser, notre gros poisson.
Dans l’urgence, nous nous lançons dans notre chasse à courre (présidentielle). Nous contactons notre répertoire d’activistes plus ou moins modérés, créons un groupe de discussion et commençons à plancher sur une méthodologie sur la base du peu d’informations que nous avons sous la main.
Nous savons que l’inauguration se fera entre les terres arides de Rivesaltes si propices à l’élaboration du vin du même nom, et les collines verdoyantes du Boulou, si propices a l’élaboration du vin du même nom que celui de la localité citée précédemment (Au Boulou on fait du Rivesaltes, comme à Rivesaltes… vous suivez?). Pour l’horaire, on pense que ce sera le matin, très certainement entre 9 et 10h, à l’heure où les gens normaux commencent à travailler. Pour le transport enfin, comme tout Français normal, notre président (non pas Georges Salengro, l’autre) ne se déplace qu’en Airbus privé dés qu’il s’agit de ne pas aller voir sa maîtresse.

Les communes de Rivesaltes et du Boulou se situant politiquement, respectivement à droite pour la première et à gauche pour la seconde, beaucoup pensaient que l’inauguration se tiendrait au Boulou. Toutefois, l’aéroport civil se trouve à Rivesaltes, non loin du sinistre camp de rétention Joffre, où furent emprisonnés dans des conditions inhumaines, entre vents violents et chaleur assommante, les Espagnols de la Retirada. L’aéroport militaire lui se trouvant aux sommets de la pointe Est pyrénéenne ne sera certainement pas celui où atterrira le chef des armées.

Logiquement un protocole de sécurité devrait se mettre en place tôt le matin, nous décidons donc de sacrifier nos deniers sur l’autel de Vinci pour emprunter la toute nouvelle voie fraîchement construite afin de donner une excuse à la prolongation du partenariat public/privé sur 20 ans si lucratif pour le second au détriment du premier, ce qui reste dans la normalité me direz-vous, avec l’espoir de repérer où le dispositif sécuritaire sera le plus visible. Enfin, nous estimons qu’il entre aussi dans le champ des possibles que cette cérémonie se tienne dans les locaux de Vinci Construction Perpignan.

Il est 22h30 et fiers de notre plan d’action, il ne nous reste plus donc qu’à trouver une voiture (je vous l’ai dit plus haut nous sommes anormaux) afin de le mettre à exécution.

22H31 : coup de fil d’un ami à l’accent brutal et chantant comme peut l’être le Catalan :

«- Salut, vous allez bien ?
– Oui et toi ?
– Ça va, je sors du boulot, je viens de voir votre message, c’est une bonne idée de le pister, vous avez besoin d’un moyen de locomotion ?
– Bah justement on allait demander qui pouvait et serait motivé pour le faire.
– Cherchez plus, moi ça me branche… »

Dans la vie, les grands esprits se rencontrent (tandis que les petits, eux, prennent le pouvoir). RDV est donc fixé après explication du plan d’action, pour le lendemain 5h. Nous décidons de faire une nuit blanche, à défaut de la passer Debout, ce sera facile au final vu le degré d’excitation que nous procurait l’idée d’être une épine d’oursin, ne serait-ce que pour quelques heures, dans le pied de l’oligarchie en place.

Jeudi 28 Juillet 5h30. 

Oui je sais nous sommes en retard. Mais c’est fréquent par ici, et il fallait bien préparer le café. Nous retrouvons donc J. pour partir, tels le capitaine Flint, Long John Silver et leur équipage à la recherche de l’île au trésor. Nous partons alors en direction du péage de Perpignan Nord situé à Rivesaltes, oui je sais entre le Boulou qui fait du Rivesaltes, et le péage de Perpignan qui se fait à Rivesaltes, il semblerait que les édiles roussillonnaises soient aussi douées en géographie qu’un présentateur de JT sur CNN. Face au péage, un panneau luminescent nous donne un premier indice « Travaux à 3km ». Nous prenons notre ticket d’entrée et commençons à faire avaler l’asphalte aux pneus pas encore lisses de la Clio bleue de J. Aujourd’hui la B.O. De la cérémonie sera « Highway to Hell » ou ne sera pas.

Les trois premiers kilomètres passés nous remarquons la fermeture « pour travaux » de l’aire de Rivesaltes. Derrière celle-ci se trouve la caserne de la brigade mobile autoroutière de la gendarmerie nationale. Nous sommes à présent sûrs à 99% que l’inauguration se tiendra là. Infiltrer une gendarmerie, c’est un peu de mauvais augure malheureusement. Nous continuons tout de même notre trajet. Il serait bête de nous tromper si cela ne se passait pas là mais au Sud, sur la gauche. « En travaux » : c’est sûr qu’organiser un tel événement dans une caserne des forces de l’ordre encerclée de caves viticoles, ça doit être un vrai chantier.

Aire Autoroute Rivesaltes.
Aire Autoroute Rivesaltes.

6H30 : après avoir passé l’aire de Pia nous arrivons donc à l’aire du Village Catalan situé non loin de la sortie Le Boulou, nous nous y arrêtons et admirons les couleurs roses, vertes et bleues du lever de soleil se dessinant sur les collines de Banyuls – où l’on produit là aussi depuis plus de 2600 ans l’un des vins les plus raffiné qu’il soit – si chères aux impressionnistes, qui dit-on en firent perdre une oreille au Hollandais le plus célèbre, dans la masure de Henry Comte de Toulouse-Lautrec. Sirotant notre café bien mérité après avoir minutieusement scruté le moindre signe de sécurité renforcée aux alentours, nous attendons. Il y a bien des représentant de l’Etat, mais ce sont des douaniers, lourdement armés certes, fouillant méthodiquement deux poids lourds, arrêtés pour l’occasion sur la chaussée. Pas besoin de vérifier le siège de Vinci. Nous retournerons donc sur Rivesaltes. Et si pour notre sécurité, nous ne pouvons pas nous arrêter sur l’autoroute nous décidons de trouver la seconde voie d’entrée de la caserne.

7h : Nous payons notre dîme au grand capital au péage et partons pour Rivesaltes.

7H 30: Non loin de la commune nous apercevons le premier panneau fléché titré « Inauguration de l’Autoroute A9 ». Bingo ! Nous avons notre île, nous prévenons donc nos contacts. G. est informée la première, elle s’occupera de contacter l’intersyndicale. Nous partons à la recherche de cartons et de marqueurs pour faire les pancartes. La gérante de la supérette nous les offre gentiment quand elle apprend le pourquoi de leur utilisation, nous encourageant chaleureusement du plus profond de son cœur et regrettant de ne pas pouvoir venir se faire un petit plaisir.

8h00 : Peu de personnes répondent, et pour celles qui le font, uniquement pour s’excuser de ne pas pouvoir venir. Ça commence mal, en même temps en s’y prenant la veille, on se doutait bien qu’on aurait pas grand monde, mais bon les militants pros viendront, eux. Nous nous rapprochons de la caserne dans un champ à proximité, légèrement en retrait visuel de l’embranchement menant à la réserve de gendarmerie environ 1km plus loin selon nos estimations (les réseaux téléphoniques semblent brouillés et nous n’avons pas de carte de la région sur nous), un petit dispositif répress… heu de sécurité pardon, s’installe non loin lui aussi afin de nous surveiller, et nous commençons la confection de pancartes.

« La hiérarchie c’est comme les état(s)gères. Plus c’est haut moins ça sert ! Hollande/Valls Démissions» (Je me disais que « Demis-Fions » m’aurait valu une plainte pour outrage à magistrat dans l’exercice de ses fonctions, et « Demis-Fillon », les gens n’auraient pas compris le jeu de mots) « Séparation du Medef et de l’État ! Loi Travail c’est toujours NON !» « Hollande Valls ça sent l’Sapin » « Plus de routes, moins de trains, c’est ça le futur ? » « Vinci a des milliards. Nous sommes des millions ! Un jour ils le payeront ! » « Notre-Dame-des-Landes. Notre-Dame-des-Luttes ! »

Nous effrayons les écureuils, non pas ceux qui volent mais les vrais, ceux qui dans l’inconscience naturelle sautillent gaiement, ne connaissent ni foi ni loi. Semblent-ils heureux ces petits être roux courant derrière les pommes de pins à la recherche de ces petits trésors gratuits pour eux et à 50euros le kilo pour les hommes.

8h45 : G. arrive sur place. Elle n’a pas de réponse de l’UD pour le moment… Ça commence à sentir le sapin pour nous en fait.

9H : Toujours aucune réponse de l’UD intersyndicale. Nous réfléchissons aux moyens d’actions possibles à quatre : se positionner entre l’aéroport et la caserne ? Ni l’autoroute ni les routes de campagnes ne sont bloquées, ce qui veut dire que le président quittera l’aéroport par hélicoptère. Ce voyage pour une petite sauterie de deux heures va coûter cher aux anormaux contribuables, et en bilan carbone tout autant. De notre côté, s’il part en hélico directement de la caserne, ça ne sert à rien de se mettre sur le chemin vers l’aéroport. Alors que faire ? Se poster devant la gendarmerie afin de montrer à la presse que nous sommes là tout de même et que malgré la discrétion dont ils ont fait part, des citoyens se sont tous de même motivés pour exprimer leur ras-le-bol de ce système inique ? On va finir en GAV… G. n’est pas très motivée, elle a la garde de son enfant aujourd’hui. Nous décidons donc à trois d’aller exprimer notre colère donnant rendez vous à G. à la Préfecture à 12h au cas où on ne finirait pas au poste pour une durée de 24 à 36h. Tant pis si les syndicats ne savent pas prendre d’initiatives militantes !
Nous descendons de notre jachère aux odeurs de fenouil rappelant qu’à cette heure-ci certains sont à l’anisette comme petit déjeuner, espérant que ces personnes soient, comme la sagesse populaire nous le rappelle si souvent, les petits hommes en bleu. Et soudain, c’est le drame. Au croisement, encore vide une heure avant, se tient une vingtaine de gendarmes faisant la circulation pour les invités prévenus du lieu et de l’horaire, semblerait-il, seulement une heure plus tôt. Nous remontons donc alors à la voiture espérant pouvoir nous positionner en amont de la route. Impossible, depuis la voie rapide jusqu’à Rivesaltes, une fourgonnette est positionnée tous les cents mètres. Notre opération tombe à l’eau. À 1 contre 6 environ nous serons en GAV avant même d’avoir pu être vus par la presse. Si seulement les syndicats étaient là nous aurions pu, en nombre, faire quelque chose !
De retour vers Perpignan nous passons devant l’aéroport, espérant peut-être pouvoir, depuis le bord du tarmac, tenter d’hurler de toutes nos forces. Mais le dispositif policier y est aussi nombreux, si ce n’est plus important encore qu’à l’entrée de la caserne ! Un fourgon est même garé au milieu du rond-point-quadrant-solaire à 300,000 euros + 50.000 € par an pour les changements d’horaire et qui ne donne l’heure qu’aux passagers normaux capables de se payer un vol en hélico afin de vérifier que leur Rolex est bien réglée ! Tous les conducteurs souhaitant rentrer à l’aéroport sont bloqués et leurs voitures fouillées de fond en comble.

Nous retrouverons donc G. à 12h à la préfecture, afin de faire un peu de nombre pour soutenir une action stérile menée par une grosse cinquantaine de personnes selon moi, une petite centaine selon les journalistes (il sont gentils ici, ils essayent de nous réconforter). (voir l’article de France 3) Nous proposons alors plusieurs actions pour marquer le coup, une opération péages gratuits pour fêter l’inauguration avec les usagers ? L’occupation des locaux de Vinci ? Rien ne sera retenu, il semblerait que personne ne prête l’oreille…

Bilan de la journée ?

Une petite sauterie de deux heures qui se déroule au calme pour quelques dizaines de milliers d’euros (sans compter le salaire des fonctionnaires de police et de gendarmerie) entre oligarchie (deux ministres étaient aussi présents), gros pontes de Vinci et « l’aïoligarchie » locale, tous rappelons le, tout à fait normaux.

C’est donc le cœur triste que je me suis posé cette question, mais où sont donc passés les enfants du POUM (NDLR : le POUM, Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, créé en 1935, fut très actif dans la lutte contre Franco) ? Où sont donc passés les enfants des derniers Communards ? Une chose est sûre, ils ne sont certainement plus chez moi…

Article du Midi Libre et de France 3 sur la venue de François Hollande à Rivesaltes

Voir l’article de France 3 sur la manifestation.


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