La démocratie rêvée (final #9) : « Nuit debout, jours à venir »

Suite de notre essai/feuilleton « Nuit debout, la démocratie rêvée ? » reprenant un essai de Benjamin Sourice initialement publié sur son blog Mediapart, pour mieux comprendre Nuit Debout à la lumière des différents mouvements d’occupation de places en Europe depuis 2011. Retrouver l’épisode précédent : « Nuit debout, l’occupation de places à la française« )

L’occupation des places en France a permis d’amorcer un nouveau cycle de réflexion visant d’une part la mise à jour des idées et du vocable militant, entre transmission d’un savoir plus ancien et apport de nouveaux concepts, et d’autre part à une certaine radicalisation de ces mêmes concepts, comprise comme leur consolidation intellectuelle et l’expression ouverte d’une nécessité de changer de système. Nuit debout a été également un intéressant laboratoire d’hybridation de la pensée radicale et des nouvelles formes de citoyennisme parfois tentées par un jeu d’équilibriste entre le « ni gauche, ni droite », ce ventre mou idéologique où le « citizen-washing » permet de blanchir jusqu’à l’extrême droite la plus tâche, à l’image du récent « Oz ta droite » de Robert Ménard.

« Pour éviter la récupération, il faut que les organes citoyens deviennent des organes de contre-pouvoir indépendants » nous explique Antoine de la Commission Jury citoyen, très présente sur la place de la République à travers de nombreux ateliers d’éducation populaire et d’expérimentation. « Nos réflexions nous ont conduit à dire qu’il ne s’agit plus de demander à des élus l’ouverture de nouvelles fenêtres de consultation sur un temps limité, ce que nous souhaitons c’est un système de contrôle citoyen capable de s’autosaisir qui soit à la fois dans le délibératif et la co-construction de normes. » Le concept de jury citoyen devient ainsi un organe autonome, qui revendique l’exercice d’un pouvoir et une nouvelle relation à son encontre, où la décision se veut désormais décentralisée et collectivement construite. « Il faut une remise en cause du système, ce n’est plus possible de continuer ainsi sans contrôle extérieur de la vie politique. Il est temps de mettre fin à la Ve République, il faut penser un dispositif politique de refonte institutionnelle » conclut Antoine, chef d’entreprise quinquagénaire et ancien ingénieur environnement.

C’est ainsi qu’à Nuit debout, des gens ordinaires ont basculé dans un registre politique ouvertement destituant, exprimant une radicalité qui ne cesse de prendre les atours du bon-sens. Cette nouvelle énergie ne peut que contaminer le reste d’une population désormais éveillée et tirée de l’illusion démocratique portée par une oligarchie aux abois. Dans la Gazette debout, l’auto-média du mouvement, un participant pressent également le caractère irréversible de ce regain populaire pour l’idéal démocratique : « La formule « ils ont des milliards, nous sommes des millions », avec les limites inhérentes à tout slogan, exprime pourtant cette réalité appelée à s’exacerber. Sans aucun optimisme béat on peut déjà sentir et voir que ce système dominant est à bout de souffle, en bout de course : la débauche même de moyens qu’il consacre à contrôler, manipuler, tricher, mentir, corrompre et réprimer signe son échec total. »

L’échec des uns ne signifiant pas encore la victoire des autres, il est donc primordial que toutes les composantes de Nuit debout poursuivent sans relâche leur rêve démocratique, approfondissent encore leurs réflexions, expérimentent sans crainte et agissent partout là où le grain de sable viendra enrayer la machine à cauchemarder. Beaucoup reste à faire, et faute de se placer sous un ciel toujours clément, nous pourrions dire aujourd’hui que nombreuses sont les étoiles de la Nuit debout dont la lumière ne nous est pas encore parvenue.

Les Espagnols disaient après le 15M : « Nous allons doucement, parce que nous allons loin ! ». Avec Nuit debout, la France vient enfin de faire le premier pas vers cet idéal démocratique égalitariste et participatif né sur les places occupées. C’est peut-être le début d’un long chemin, d’une nouvelle voie pour l’Europe, d’un nouveau voyage vers le progrès.

Fin du feuilleton « Nuit debout, la démocratie rêvée », mais rendez-vous est donné le 31 Août pour la rentrée de Nuit debout et le retour sur les places de France.

Crédits photos:

  • 100jours_2_07: Nuit Debout / DR

Benjamin

Auteur, blogueur, agitateur.


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