Commission Economie Politique : Revenu de Base ou Salaire à Vie ?

La commission économie politique de Nuit Debout Paris a organisé lundi 8 août un débat sur la question du travail, avec une comparaison entre revenu de base et salaire à vie. Elle a publié un compte rendu sur son compte Facebook, que nous reproduisons ici.

L’idée qui s’est imposée à nous est qu’il est nécessaire de redéfinir ce qui est considéré comme du travail dans nos sociétés. Il était clair pour nous tous que la notion de travail, de création de valeur économique, dépassait largement la vision capitaliste actuelle. Le travail domestique par exemple (s’occuper de sa famille, assurer l’hygiène d’un foyer, assurer l’éducation de ses enfants, etc.) est un travail à part entière mais n’est pas considéré dans notre modèle économique en tant que tel. Pourquoi ? Car travailler dans notre mode de production signifie mettre en valeur du capital, être exploité. Aujourd’hui, si l’on ne crée pas de profit, on ne travaille pas. Ainsi, le travail domestique ou les services publics sont considérés comme « utiles », mais non créateur de valeur. Pour le comprendre simplement, il suffit de prendre l’exemple d’une personne qui tond sa pelouse. Si elle le fait seule, c’est considéré comme un loisir, cela ne crée pas de valeur. Toutefois, si cette personne fait appel à une entreprise privée pour effectuer la même tâche, il est alors admis par tout le monde que c’est du travail, la personne qui tond la pelouse créant de la valeur économique. C’est pourtant la même valeur sociale qui a été apportée à la société : la même parcelle de pelouse a été tondue. La notion de travail dépend donc des rapports de production dans lesquels une tâche a été effectuée. Si nous voulons redéfinir ce qui a de la valeur dans nos sociétés il est donc nécessaire de redéfinir les rapports de production qui y sont attachés.

Lors de ces réunions, nous nous sommes donc intéressés à deux propositions : le revenu de base et le salaire à vie. Nous y avons trouvé des avantages et des points limites.

Collages #3-4 - Rira bien qui rira le dernier
Stéphanie Pouech / DR

1 – Définitions.

– Le revenu de base. Il n’existe pas qu’une version du revenu de base. Rien qu’en France, douze versions se font concurrence. L’idée commune à tous ces revenus de base est le fait de pouvoir cumuler un revenu garanti à tout autre revenu d’activité. Des versions que nous pourrions définir comme « de droite » et d’autres « de gauche » existent. L’une des propositions libérales du revenu de base suppose la suppression de toutes les aides sociales et services publics. Les individus seront ainsi de « libres consommateurs » et les services publics n’auront plus de raison d’exister puisque chacun aurait les moyens de subvenir à ses besoins. Une autre version libérale suppose le remplacement de toutes les aides sociales existantes par ce revenu de base ; il suffit de diviser le montant alloué à toutes ces aides sur l’ensemble de la population éligible au revenu de base. Ainsi, au lieu de cibler les personnes en difficultés, ce montant serait distribué à parts égales à tous (version proposée en Finlande).

Les versions « de gauche » parlent de créer un revenu « suffisant » et de garder en plus l’ensemble des allocations sociales et l’ensemble des services publics existants. La version de Baptiste Mylondo ajoute à cela une suppression de la propriété lucrative pour certains biens (c’est-à-dire de la capacité à tirer un revenu d’un droit de propriété) et une échelle de salaires régulée (de 1 à 4), se rapprochant ainsi du « salaire à vie » proposé par le « réseau salariat », dont l’initiateur est Bernard Friot.

– Le salaire à vie. Le salaire à vie est une proposition qui vise à étendre ce qui est « déjà là » dans notre société, à savoir la cotisation sociale. De l’étendre à l’ensemble de la valeur crée. Le salaire à vie, en plus d’une échelle de salaire (1 à 4, 1 à 6, 1 à « à débattre »), propose que le premier niveau de salaire soit inconditionnel à partir de 18 ans. Le salaire à vie implique également la suppression du marché du travail et du marché du capital. L’ensemble de la valeur créée est allouée à deux caisses : une caisse de salaires et une caisse d’investissement. On n’aurait donc plus à se vendre sur un marché pour travailler, mais l’on proposerait sa coopération à une activité déjà existante, ou l’on proposerait une nouvelle activité financée par la caisse d’investissement. Les salaires seraient non plus payés par l’entreprise mais par la caisse de salaires en fonction du grade de la personne et non plus en fonction de l’activité qu’elle effectue. De la même manière, l’on n’achèterait plus le capital sur un marché (avec taux d’intérêts) pour financer une activité productive, mais l’on demanderait une subvention à la caisse d’investissements qui déciderait de l’utilité sociale de l’investissement. L’on ne rembourserait pas la subvention ainsi reçue, car l’investissement créerait un équivalent de valeur à la somme reçue. A coté de ces caisses, différentes structures organisationnelles existeraient comme les comités de qualification qui décideraient de la vitesse à laquelle un travailleur évoluerait dans l’échelle de salaire en fonction de la nécessité sociale de son activité.

Par exemple, si personne ne voulait faire une activité quelconque, la vitesse de montée dans l’échelle de salaire serait accrue pour cette activité, ce qui permettrait d’allouer offre et demande de travail sans passer par un marché, sans passer par l’exploitation inhérente au marché du travail que nous connaissons actuellement. Une fois un niveau de salaire atteint, la théorie du salaire à vie suppose que l’on garde le niveau de salaire acquis quelque soit la reconversion envisagée. Il sera donc possible au sein d’une entreprise d’avoir un nouveau salarié mieux payé que le créateur de l’entreprise, car ils n’ont pas eu le même parcours salarial. Une personne ayant été éboueur pendant dix ans et commençant une nouvelle activité dans une boulangerie pourra être mieux payée que le créateur de la boulangerie.

Le salaire à vie casse le lien qui existe entre revenu et emploi et assure, comme dans la fonction publique, un niveau de revenu selon un grade et non selon une activité. Ces décisions prises par les caisses de salaires, d’investissement ou les comités de qualification ne sont pas fixées au préalable. Les modes de décisions de ces différentes caisses sont à investir démocratiquement autant sur la composition des décisionnaires que sur les critères de décision de ces caisses. Ces caisses et comités sont des moyens de redéfinir démocratiquement ce qui a de la valeur dans nos sociétés, ce que l’on doit produire et comment, dans quelles conditions le produire. Ce n’est donc plus le profit qui est l’aiguillon qui détermine l’investissement, mais l’utilité sociale. Utilité sociale qui est elle-même à redéfinir par le réinvestissement démocratique de ces structures décisionnaires.

"Paradis pour les Uns, pas un radis pour les autres"
« Paradis pour les Uns, pas un radis pour les autres »

2 – Avantages

 – Revenu de base

  • Hausse du pouvoir d’achat.
  • Supprime partiellement le lien entre revenu et emploi.
  • Idée humaniste de survie même si non productive. Garde la structure d’incitation au travail, d’incitation à la production, puisque ce revenu s’ajoute au revenu d’activité ou au revenu du capital.
  • Redéfinit le rapport capital/travail en faveur du travail au niveau microéconomique de l’entreprise comme au niveau macroéconomique de la redistribution. Ceci permettrait, en augmentant le pouvoir de négociation des travailleurs, d’augmenter les salaires et d’améliorer les conditions de travail. Autrement dit, un travailleur, en ayant l’assurance d’un revenu de base, aurait moins peur de se faire licencier s’il essayait de défendre ses droits. Cela permettrait donc d’aider à la démocratisation de l’entreprise, de diminuer l’armée de réserve sur les tâches “ingrates” (et donc augmenter les salaires et les conditions de travail de ces tâches), voire même de pousser à la mécanisation de ces tâches, celle-ci devenant plus profitable au vu de l’argument précédent.
  • Certaines versions du revenu de base proposent une échelle de salaire et la suppression de la propriété lucrative.

–  Salaire à vie

  • Supprime le lien entre revenu et emploi. Le salaire dépend du grade et non de l’activité. Redéfinition profonde de la notion de valeur (quoi produire et comment le produire est définit démocratiquement et non plus dépendant du profit individuel espéré), prise en compte de la valeur « non productive » au sens capitaliste. Semble résoudre l’ensemble des inefficacités des marchés : externalités, monopolisation, inégalités, biens communs…
  • Pleine maîtrise de son travail (au niveau individuel et social).
  • Sortie du capitalisme (ceux qui ne prennent pas part à la production de valeur ne tirent pas de revenus à titre individuel du travail des autres sur la base d’un titre de propriété en profit ou taux d’intérêt). Pas d’exploitation.
  • Échelle de salaires. Le fait de conserver le marché des biens et des services permet de garder l’information sur les besoins sociaux que représentent les signaux prix, ce qui permet d’aiguiller les caisses d’investissement, de salaires et les comités de qualification dans leur action.

3 – Limites.

– Revenu de base

  • Ne remet pas en question l’exploitation ni le mode de production. Le profit individuel reste ce qui détermine l’investissement, le signal qui alloue les facteurs de production vers telle ou telle activité. Or ce n’est pas qu’un problème de morale, mais d’efficacité économique. Le fait que le profit soit l’aiguillon qui détermine l’investissement et l’emploi pose des problèmes plus larges d’efficience des marchés, de biens communs, de monopolisation, d’externalités et de crises.
  • La question de la compétitivité se pose si l’on finance ce revenu sans réduire les aides sociales existantes. L’effet à la hausse sur le salaire se paye en perte de compétitivité dans un environnement capitaliste. Cette perte de compétitivité entraîne des questions plus larges, comme la taxation aux frontières des biens & services, du capital et la question du rapport à l’Europe doit être soulevée. (Les keynésiens parleraient du soutien de la demande comme solution à la crise économique.)
  • En redéfinissant le rapport capital/travail en faveur du travail, cela réduirait les profits des entreprises capitalistes. Cette baisse de profit peut créer une fuite du capital ou une crise de profitabilité. Cette proposition du revenu de base ne règle pas les crises de profitabilité du capitalisme, cela risque même de les aggraver ?
  • La fixation des prix reste dans les mains des entreprises privées. La question de l’inflation se pose alors. L’inflation réduit le pouvoir d’achat associé au revenu de base.
  • Une fois un revenu de base assuré, il y a la possibilité pour les partis de droite de proposer la suppression de toutes les aides et services publics, en argumentant que la liberté individuelle du consommateur doit primer maintenant que chacun a les ressources nécessaires à sa survie. Paraît risqué en termes de stratégie politique, même si ce n’est pas l’objectif du revenu de base de gauche que de supprimer les aides parallèles.
  • Si le revenu de base est inconditionnel, alors il ne permet pas la réduction des inégalités. D’ailleurs, certaines versions du revenu de base se financent par la suppression des autres aides préexistantes. L’effet serait donc une hausse des inégalités, le montant des aides préexistantes ciblées sur les populations « pauvres » se retrouveraient diluées sur l’ensemble de la population, quelque soit le niveau de revenu des individus.

– Salaire à vie

  • Si l’entreprise ne paye ni le capital ni le travail qu’elle utilise (ce sont les caisses qui payent pour elle), sur quels critères va-t-elle déterminer sa combinaison productive (combien de machines pour combien de travailleurs ?). En quoi le choix qu’elle fera sera le bon en termes d’accumulation du capital, de hausse de la productivité du travail…
  • Une fois au plus haut niveau de l’échelle de salaire, les incitations au travail ne fonctionnent plus. Comment se fixent les prix dans un tel mode de production si l’entreprise ne paye ni le travail ni le capital ? Comment se fixent les prix si la quantité de travail socialement nécessaire à la production d’un bien n’entre pas en ligne de compte pour l’unité de production ?
  • Comment concilier la volonté de fixer les prix de manière comptable (conso intermédiaires + X%) et le maintien du marché des biens qui est censé fixer les prix et donner de l’information sur les offres et demandes sociales?
  • Comment gérer la création monétaire si le crédit n’est pas remboursé lors d’investissements, autrement dit si le crédit laisse place à la subvention ?
  • Comment gérer les échanges internationaux ?
  • Si certains biens rivaux sont sortis de la logique marchande (logements, produits de première nécessité), comment gérer leur allocation ? Qui habite au centre ville ? (cette même limite se pose au revenu de base en fonction des biens que l’on décide de sortir de la propriété lucrative, du “marché”).
  • Le revenu de base parait plus applicable immédiatement que le salaire à vie, quelle stratégie politique de court et moyen termes pour y arriver ?

 

 

Crédits photos:

  • Collages #3-4: Stéphanie Pouech / DR
  • Paradis pour les Uns: Gazette Debout - DR
  • Manifestation sauvage 24 Juin 2016: Raphaël Depret – DR

3 réactions sur cet article

  • 28 août 2016 at 15 h 29 min
    Permalink

    Une « petite » allusion au MFRB aurait été sympa ! (Mouvement Français pour un Revenu de Base)
    Vous faites référence à « Réseau Salariat » et B.Mylondo (que nous respectons !) Nous aurions souhaité voir notre définition d’un revenu de base (notre charte) citée plutôt que de lire  » Il n’existe pas qu’une version du revenu de base. Rien qu’en France, douze versions se font concurrence. L’idée commune à tous ces revenus de base est le fait de pouvoir cumuler un revenu garanti à tout autre revenu d’activité »
    Merci pour votre retour…
    Amicalement,

    Reply
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