Témoignage sur la libération de la forêt de Bure

L’été nous rappelle souvent qu’il est nécessaire de sortir de nos villes pour aller prendre l’air au plus proche de la nature. Le 19 juillet dernier, Gazette Debout publiait les aventures des « Ziradiés » dans la forêt de Bure. Les résidents de la maison de la Résistance ont publié sur leur blog un témoignage de cette occupation, qu’ils préfèrent apeller « libération ».

Ce texte fait resurgir des instants de vie que l’on a pu observer les premiers jours du mouvement Nuit Debout, et auxquels on prête toujours attention sur la place de la République. Évidemment le lieu change et le contexte est différent, mais l’espace de vie créé en toute liberté par les « habitants » de Bure réveille d’heureux souvenirs. La forêt est pour le moment encore réservée à l’usage exclusif de l’ANDRA (Agence Nationale des Déchets Radioactifs) et de la gendarmerie. Ils sont tellement bien installés qu’ils y construisent un mur d’enceinte pour garder les lieux. Les travaux sont en cours, et les « Ziradiés » comptent bien recourir à tous les moyens légaux et juridiques pour essayer d’empêcher la déforestation de ce lieu qu’ils ont habité avec tant de bienveillance.

C’est avec cet esprit que la maison de la résistance et que l’ancienne gare de Lumeville ont décidé d’organiser une grande rencontre anti-nucléaire le week-end du 12 au 15 août. Le programme est en construction (à voir sur le site) pour rythmer ces quatre jours qui déboucheront, peut-être, sur une belle action.

Gazette Debout publie aujourd’hui le témoignage de la libération du bois Lejuc où pendant 18 jours, c’est le projet de poubelle nucléaire qu’on a enterré et nos désirs qu’on a plantés dans le sol.

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Nous sommes rentrés dans le bois le 19 juin 2016. Le jour même il y a eu une manifestation d’animaux divers déguisés en humains (des hiboux surtout), la mise en cage de sept ou huit vigiles fantomatiques, un banquet collectif et un joyeux sabotage de masse des clôtures déjà installées sur plusieurs kilomètres. Des gosses cherchaient des scies à leur taille, des habitants du coin jouaient de la pince, on construit déjà des barricades avec les morts de l’Agence. Un préau en bois massif est érigé au milieu d’une plateforme, moche et déserte encore le matin : « Salamandre » (ou Salle-à-Mandres), on l’appelle aussi le « couarail », ce qui désigne dans le patois lorrain le lieu de sociabilité villageoise.

La Salamandre, la Gaie Pierre (à peine moins pacifique que l’abbé), la Rue-râle, la Hutte des classes… Des noms qui remplissent nos souvenirs et nos imaginaires ! Pour le monde, ces lieux n’ont jamais existé. Une ou deux mentions indifférentes dans “l’actualité” (ou dans l’oubli). Et pourtant, n’importe quel architecte, ingénieur, journaliste ou touriste les aurait sans doute trouvées ridicules, ces cabanes, ces préaux, ces barricades : si fragiles mais tellement plus précieuses que leurs immeubles en béton, leur laboratoire ou leur centre d’enfouissement ultra-sophistiqué. Presque tout lieu aujourd’hui est destiné à nous vendre des services. Mais quiconque est passé par le bois connaît la différence entre un lieu fait pour nous et un lieu qui est fait par nous. Par nos foutues mains, grâce aux savoir-faire qu’un ami ou qu’un inconnu partage avec nous, grâce aux matériaux trouvés là autour – comme les arbres abattus par l’ANDRA – ou que des voisins nous apportent en quantité.

Bon gré, mal gré, la cohabitation s’organise avec les oiseaux, les chiens, les hiboux et les tiques. Avec les humains au moins, il y a une complicité tenace : la complicité des fugitifs, des amis, des baroudeurs, ou des enfants qui jouent quand le (radio)chat de l’ANDRA n’est plus là. On n’aime pas trop parler de ZAD. Pour l’ANDRA, c’est une Zone d’Intérêt pour la Recherche Approfondie. Un jargon presque mignon. Parmi tant d’autres détours, on s’est appelés lesZIRAdieux, habitants de la Zone d’Insoumission à la Radio-Activité.

Personne ne parle de paradis, l’image de carte-postale faite pour les luttes en phase de récupération. On parle d’une auto-organisation qui avance à force d’expériences et de leçons, d’attention aux comportements sexistes entêtants, de fatigue due aux veilles prolongées sur les barricades. Mais au moins rien n’est jamais définitif puisque c’est une histoire écrite par nous-mêmes.

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Cette courte vie en forêt n’aurait rien signifié de plus qu’un caprice sans l’engagement politique, amical, combattif et logistique de villages voisins ou de la région, de Nancy, de Metz, de Verdun, des Vosges, de Reims, et souvent de plus loin encore. Des habitants du coin ont semblé dépasser une certaine gêne pour venir prendre l’apéro dans le bois libéré. On projette des films, on fait des balades, on plante des potagers, on construit au sol ou en haut d’un grand arbre, on gère un poil, on sabote encore un peu, on s’enhardit à caillasser un mannequin pendant des heures. On apprend à connaître les bois et reconnaître les plantes, on partage des savoirs d’auto-médecine, on parle stratégie, on se murmure autour du feu des histoires de lutte et de cœur, on fait des conneries, on transe en musique sur les énormes tuyaux métalliques laissés là par l’Agence. De foutues fêtes où tu vois des bolas voltiger, une disqueuse sabotée, des copains-copines jouer, danser et hurler à la lune pleine.

Quand j’ai dû partir une ou deux fois de la forêt, c’était pour m’enfoncer dans les tubes souterrains, crasseux et trop lumineux du métro parisien. Ce n’est pas qu’un problème de paysage. C’est plutôt que dans la forêt, l’abolition momentanée du contrôle nous rend à une vie infiniment plus intense et concrète. On n’a pas cherché à en faire une place-forte, mais plutôt une place de village qui se ramifie au creux les arbres. Avec enthousiasme, frénésie, fatigue ou douleur, nous avons tenté d’y ménager la place pour que s’y épanouisse quelque chose qu’on appelle la liberté. Lorsqu’à l’expulsion, nous avons nous-mêmes brûlé une partie des habitations pour ralentir un peu le rouleau compresseur de la gendarmerie, après avoir fui, après qu’un copain a été brûlé, après qu’un paysan ami a vu son tracteur et sa bétaillère saisis, avant qu’un copain ne soit bientôt interdit de territoire, il a semblé que ces déchirements douloureux étaient le prix à payer pour avoir osé sentir ce que vivre veut dire.

A présent, quand on retourne dans le bois, on n’entend rien d’autre que l’inlassable et mortel ronronnement des machines du Progrès. Jusqu’à ce qu’on y mette un grain de sable assez puissant.

De ces fêtes, et de ces abris de fortune, il reste peu de photos, peu de textes, mais un souvenir qui restera longtemps tapi dans nos tripes et prêt à resurgir pour enfanter d’autres rêves et d’autres combats.

Pour suivre l’actualité des Ziradiés, vous pouvez vous rendre sur leur site internet vmc.camp. 

Crédits photos:

  • Bure-16-17-juillet_13: Mathieu DR

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