La démocratie rêvée #7 « Ne rien revendiquer, prendre le pouvoir »

Suite de notre essai/feuilleton « Nuit debout, la démocratie rêvée ? » reprenant un essai de Benjamin Sourice initialement publié sur son blog Mediapart, pour mieux comprendre Nuit Debout à la lumière des différents mouvements d’occupation de places en Europe depuis 2011. (Lire l’épisode précédent : « La démocratie pour organiser la solidarité« )

Ne rien revendiquer, prendre le pouvoir

Un des slogans récurrents dans l’occupation des places est, comme nous l’avons vu à Nuit debout, « nous n’avons rien à revendiquer », indiquant par là une force destituante disant aux gouvernants « nous ne vous considérons plus comme des interlocuteurs légitimes ». Par cette affirmation les gouvernants cessent donc d’être les « dépositaires du pouvoir » selon la légitimité démocratique, cette dernière étant confiée désormais au peuple réuni sur les places. Cette dualisation, c’est à dire l’existence des deux pouvoirs parallèles et opposés, conduit le dirigeant politique non plus à « représenter les intérêts de la majorité », mais à « assumer ses responsabilités », c’est à dire devoir exercer un pouvoir personnel, direct et non dissimulé. Cette posture a ceci de dangereux qu’elle place le décideur dans une posture égotique qui le coupe des mécanismes traditionnels de négociation. Le renoncement à cette posture d’autorité équivaut alors le plus souvent à un renoncement personnel au pouvoir, par la démission ou la sanction électorale.

Le mouvement social français débuté en février 2016, auquel on peut greffer la grande manifestation contre l’État d’urgence et la déchéance de nationalité du 30 janvier, a justement contribué à placer le gouvernement français dans une posture d’autorité et d’isolement intenable. La victoire obtenue sur le retrait de la déchéance de nationalité a été un premier succès dont seul le président Hollande a dû prendre la responsabilité, profitant de la hauteur de sa fonction pour servir de fusible au reste de son gouvernement. Après plus de cent jours de mobilisation contre la « loi travail et son monde », les Nuits debout ont été lancées sur le mot d’ordre de « convergence des luttes » pour accentuer la dualisation et la confrontation des pouvoirs, le populaire contre le bureaucratique, le politique contre l’économique.

Le mouvement social du printemps 2016 couplé aux revendications de démocratie réelle portée par Nuit debout, auront donc eu ce mérite de révéler au plus grand nombre de Français la réalité du pouvoir dans notre pays : l’agonie tragique des institutions de la Ve République et le renoncement à l’idéal démocratique. Cette déliquescence institutionnelle entraîne une hyper-personnalisation du pouvoir et une rupture avec l’idée même de représentation. Il ne peut découler de cette situation qu’un isolement idéologique de la classe dirigeante. Les 70 % de salarié.e.s de moins de 50 ans se déclarant contre la réforme du droit du travail attestent de l’abysse séparant désormais les gouvernés des gouvernants. Ces derniers placent désormais leur légitimité dans une hypothétique responsabilité individuelle du pouvoir, faisant de toute réforme un « devoir personnel » traçant une voie nouvelle vers l’autoritarisme. Ces postures de matamore du 49.3 n’en masquent pas moins le fait qu’il s’agit avant tout d’une lutte pour garder le pouvoir, le retrait de la loi travail à ce stade ne pouvant se faire sans la démission de ses promoteurs et un vaste remaniement ministériel.

Inversement, le mouvement social français se positionne désormais, en partie grâce à l’apparition de Nuit debout et de sa dynamique citoyenne, dans une logique d’agrégation des intérêts, de convergence des luttes, pour construire une nouvelle entité aspirant à faire peuple afin d’affirmer sa légitime puissance constituante et l’accès à une démocratie authentique comme corollaire immédiat.

Prochain épisode : « Nuit debout, l’occupation de places à la française »

Benjamin

Auteur, blogueur, agitateur.


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