Nuit Debout c’était ma drogue

L’autre soir j’ai aperçu mon visage dans le miroir. Mes yeux étaient rouges, cernés de noir. J’ai pensé que mon maquillage avait coulé alors j’ai frotté pour le nettoyer. Sans effet. C’étaient des cernes. Celles que l’on voit sur les visages des fêtards, des toxicomanes, des taulards. Mais pour moi, c’étaient des cernes de Nuit Debout.


Depuis le 31 mars dernier, mes heures de sommeil se font rares, sacrifiées sur l’autel de la République. Les premières semaines, j’y passais tous les jours, me promettant de n’y rester qu’une heure ou deux. Un vain serment. Chaque fois je me laissais emporter par les débats enflammés de l’assemblée. Je découvrais de nouvelles commissions dont je ne soupçonnais pas l’existence. J’ai rencontré des gens incroyables, dont certains sont devenus des amis. J’ai ri, j’ai rêvé, j’ai bu, j’ai écrit, j’ai parlé, j’ai aimé. Constamment galvanisée par cette énergie nouvelle, par ces utopies brandies en étendards, par ces passants qui sont devenus des « Nuitdeboutistes ». La place de la République s’est transformée en village où je me sentais chez moi. Un village d’irréductibles résistants aux puissants.

Les rares fois où je ne pouvais m’y rendre, je restais accrochée aux lives de TvDebout et Radio Debout. Aux Periscopes des streamers, ces Reporters Debout toujours dans le feu de l’action. Il aura suffi de quelques jours pour que Nuit Debout devienne une drogue. J’en rêvais au point de me réveiller pour noter des idées dans un carnet. J’en parlais toute la journée à mes collègues. J’en délaissais mon travail.

Les 100 jours d'occupation de la République par Nuit Debout
Les 100 jours d’occupation de la République par Nuit Debout

Je suis devenue accro à Telegram, cette application de messagerie instantanée utilisée par les Deboutistes pour échanger et débattre. D’interminables discussions qui ont eu raison de mon téléphone. Car oui, nous avons beaucoup parlé pendant ces longues soirées. Est-ce un tort ? Pourquoi les grands médias ont-ils refusé de nous considérer comme un think tank à ciel ouvert, un laboratoire d’idées comme il en existe tant en France et dans le monde ? Perclus de stéréotypes, ils avaient décidé que nous devions produire quelque chose, être efficaces à l’instar d’une entreprise capitaliste. Comment leur en vouloir, eux dont l’esprit a été formaté pour faire entrer la réalité dans un cadre aisément « consommable » par tous ? Nuit Debout était inédite, insaisissable et parfois ingérable. Les journalistes n’ont pas su par quel bout nous étudier, nous analyser.

Même mes amis n’ont toujours pas compris pourquoi je n’avais plus de temps pour eux sous prétexte de terminer un article pour Gazette Debout. Ils se sont gentiment moqués lorsque je leur ai parlé de poser les bases d’une nouvelle société. « Tout cela ne servira à rien, ce n’est qu’un simple feu de paille », me disait l’un. « Une belle utopie entretenue par de doux rêveurs », renchérissait un autre.

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Au fond, peut-être ont-ils raison ? Que reste-t-il aujourd’hui après quatre mois de lutte ? La réponse se trouve dans la question. Quatre mois d’occupation ! Avec une météo aussi déplorable, c’est déjà un exploit.

Une centaine de commissions se sont créées sur la place, donnant naissance à une multitude de lobbies citoyens. Elles ont produit des textes, des réunions, des actions. Les passants ou les militants qui ont participé à leurs comités ont réfléchi aux problématiques sociales, politiques et économiques de notre société. Un travail que l’équipe de Gazette Debout, née le soir du 12 avril, s’est efforcée de rendre plus visible. Nous avons écrit, collecté et publié près de 700 articles, témoignages, tribunes et analyses. Nous avons relayé la naissance de nombreux journaux en lien avec Nuit Debout. Une modeste contribution pour mettre en valeur les réalisations d’un mouvement qui n’aurait prétendument « rien donné ».

Certes, il est vrai que ces dernières semaines, l’occupation erratique de la place n’offre plus d’écrin aux virulents débats. Les Nuitdeboutistes historiques sont épuisés, éreintés, à la recherche d’un nouveau souffle. Mon village bien-aimé s’est aujourd’hui dépeuplé. Même les policiers censés nous « protéger » sont repartis vers d’autres combats.

Malgré tout, je ne puis me résoudre à perdre espoir. Ce que nous avons construit ici, sur cette place, ce que nous avons vécu en quatre mois, personne ne pourra nous l’enlever. Nous avons été gazés, nassés, méprisés par le pouvoir qui a tout fait pour nous décourager. Nous sommes revenus le lendemain, plus motivés que jamais. Comment reprendre le cours de notre ancienne vie ? Comment ne pas être marqués par le sceau de la Nuit ?

indignez-vous

J’ai rencontré des jeunes, des vieux, des étudiants, des salariés, des précaires, des paumés, des enfants gâtés. Des militants de longue date, d’autres récemment engagés. Des immigrés, des intellos, des déclassés, des voisins gênés. Ensemble, nous avons tissé un vaste réseau qui va bien au-delà des frontières de la place de la République. Car le débat n’a pas disparu, il est devenu plus numérique, plus virtuel. Un semi-sommeil estival en attendant la Saison 2.

Depuis le 31 mars, Nuit Debout est devenue une véritable drogue, consommée jour après jour par des centaines de personnes pour exprimer leur malaise envers une société qu’ils ne comprennent plus. Une « came » particulièrement addictive que les autorités ont échoué à prohiber. Ces dernières doivent d’ailleurs se sentir soulagées par l’apparente déliquescence du mouvement. Mais qu’elles se tiennent sur leurs gardes. La pause estivale, plus que nécessaire, va nous permettre de recharger nos batteries. De rassembler nos forces pour revenir à la rentrée plus que jamais motivés. Car Nuit Debout est une drogue à laquelle je suis loin d’être la seule accro. Pas sûre que l’été suffise à m’en désintoxiquer…

L-A

Crédits photos:

  • 100jours_2_13: Nuit Debout / DR
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