Comment les Français s’inspirent d’Occupy Wall Street pour créer un nouveau mouvement de protestation

Fusion est un nouveau média américain. Jeune, divers, il veut porter toutes les voix du pays. Avec une équipe à 60 % non blanche, Fusion ne se contente pas de parler de diversité, il l’incarne. Fusion cherche à créer du contenu intelligent, irrévérencieux, distrayant et authentique. Il a publié un article sur Nuit Debout Paris le 1er juillet dernier intitulé : « Comment les jeunes français s’inspirent d’Occupy Wall Street pour créer un nouveau mouvement de protestation ? » En voici la traduction.

PARIS – La Place de la République était sous haute tension mardi après-midi

La police anti-émeute, en uniforme noir et visière baissée, se prépare à affronter de jeunes contestataires qui sortent de la station de métro en tenant banderoles et drapeaux. Le bruit des explosions de grenades défensives lancées par la police retentit sur la place, pendant que les manifestants affrontent en criant les forces de l’ordre.

Pierre Lalu, jeune homme charismatique de 33 ans à la barbe frisée et aux yeux bleus ciel, monte sur un banc pour mieux voir la scène. « On ne veut pas causer de troubles », dit-il, « mais on le fera si on le doit ».

Lalu et les jeunes contestataires qui affrontent la police font partie du mouvement Nuit Debout. Depuis le 31 mars, ils occupent la Place de la République, une des plus grandes de Paris. À son apogée, des milliers de personnes se regroupaient sur la place toutes les nuits. Des groupes similaires se sont formés dans d’autres villes du pays.

Ça ressemble à une version française d’Occupy Wall Street : de gauche, passionné et jeune, mais pas vraiment organisé et ne disposant pas d’objectifs clairs. Les contestataires revendiquent une démocratie horizontale, sans leader ni porte-parole. Le groupe marche aussi sur les traces du mouvement des Indignés espagnols, dont les membres occupèrent une place du centre de Madrid pour protester contre les politiques d’austérité.

« Prendre la place est une façon de rompre le mur social entre les gens », raconte Lalu, en tirant sur sa cigarette électronique. « Nous voulons regrouper les gens et voir ce qui en sort. »

Nuit debout a commencé en réponse à la Loi travail qui, adoptée ce mois-ci par le gouvernement français, desserre les règles strictes du pays sur le licenciement des employés des sociétés privées, tentant ainsi de secouer l’économie et de créer des emplois. Le taux de chômage en France dépasse les 10 % et celui des jeunes atteint presque 25 %.

Best of visuels Nuit Debout
Manifestation du 23 juin contre la loi travail-DR

Les activistes de gauche se sont opposé violemment à la loi travail, qui est selon eux une trahison des travailleurs par le Parti Socialiste au pouvoir. La plupart des jeunes qui forment Nuit Debout sont opposés à la loi, alors que théoriquement elle devrait permettre de créer des emplois pour eux. « C’est une chose d’avoir un emploi, mais c’est plus important d’avoir la sécurité de l’emploi » dit l’étudiant Matthis Diamamte en sortant d’un affrontement avec la police mardi. « Il y a de plus en plus de millionnaires en France, alors que dans le même temps les travailleurs s’appauvrissent. C’est plus important que juste avoir un travail ou pas. »

Shannon Geara, 21 ans, ajoute : « Le gouvernement n’écoute pas le peuple. C’est pourquoi nous sommes dehors, pour faire en sorte qu’ils nous écoutent ».

Le mouvement, très technophile, s’organise en ligne pour tenir ses réunions et écrit ses manifestes uniquement sur des outils open source. Sa présence sur les réseaux sociaux est importante et les retransmissions en direct des événements de la place sont presque constantes.

Rémy Buisine, 25 ans, est très présent; il retransmet en direct sur son compte Periscope, suivi par plus de 9 millions de personnes. En avril, une de ses vidéos de la Nuit Debout a été regardée par plus de 81 000 personnes, ce qui est d’après lui le record national français. Twitter, propriétaire de Periscope, a refusé de confirmer ce chiffre.

« C’est la meilleure façon de retransmette une manifestation, c’est instantané, c’est du direct » dit Buisine pendant une pause alors qu’il filme les mouvements de la police. « Ce n’est pas coupé », ajoute-t-il, donc les gens ont confiance en ce qu’ils voient.

Manifestation 12 mai 2016
Manifestation 12 mai

Lalu décrit le mouvement comme un « laboratoire de recherche et développement » pour les contestataires du monde entier. Ils ont accueilli un hackathon où furent développées des applications qui pourront aider à l’organisation ou permettre des conversations politiques en temps réel. Ils ont de plus pris contact avec des organisations contestataires de gauche issues d’autres pays, pour coordonner leurs tactiques.

Mais les « affrontements » avec la police font aussi partie du mouvement. Les manifestations de mardi à République, suite à l’appel lancé par les syndicats, sont restées pacifiques, mais la tension était très forte. L’impressionnant déploiement de policiers en équipement anti-émeute semblait même dépasser le nombre des manifestants. Criant et portant des banderoles, de nombreux jeunes se sont élancés à plusieurs reprises contre les lignes de police. « Après le dernier épisode de Game of Thrones, on est tous très inspirés », observe Lalu avec un sourire. Au cours de cette journée, 41 personnes en tout ont été arrêtées.

Lorsque j’avais assisté à un rassemblement de Nuit Debout, quelques jours plus tôt durant une fraîche soirée, la place était beaucoup plus calme. Environ 350 personnes se tenaient debout ou assises en cercle resserré, pour écouter des  discours passionnés, diffusés au mégaphone, sur les dangers du capitalisme, Au lieu d’applaudir, les participants levaient et agitaient leurs mains en signe d’approbation – une sorte de kermesse socialiste.

Le groupe allait parfaitement avec ce qui l’entourait : une partie de football improvisée, des skaters allant et venant, des passants entrant et sortant de la bouche de métro, la statu-allégorie de la république française surplombant la place, dont la base est couverte de graffitis contre la guerre au Moyen-Orient ou le changement climatique.

Marianne devant la statue
Marianne devant la statue

Michel Lussault, professeur de géographie à l’université de Lyon, spécialiste des mouvements sociaux comme Occupy Wall Street, dit que ce qui distingue Nuit Debout c’est l’utilisation des « espaces publics comme outils de protestation ». Il ajoute que la contestation aurait pu être plus efficace si l’occupation de la place avait été permanente, comme à New York pendant Occupy Wall Street, au lieu de servir à de simples rassemblements de protestation.

Mais il porte au crédit du mouvement d’avoir choisi un espace public portant une symbolique forte et une résonance émotionnelle réelle pour les habitants de Paris. En effet, au lendemain des attentats du 13 novembre durant lesquelles 130 personnes ont été tuées, dont beaucoup à des terrasses non loin de la place, des milliers de Parisiens s’y sont rassemblés. Sur le piédestl, une statue de lion est drapée de bleu blanc rouge en mémoire des victimes.

Comme Occupy, Nuit Debout est presque exclusivement blanc. Houria Bouteldja, militante fondatrice d’un parti politique d’extrême gauche portant les problématiques des minorités et des immigrés, le PIR, pense que le mouvement doit s’intéresser davantage au racisme structurel, aux violences policières contre les minorités et à l’islamophobie.

« Ce n’est pas assez radical », dit-elle de Nuit Debout. « Nous voudrions être avec eux, mais ils doivent d’abord transformer leur organisation, qui est entièrement blanche. »

Les organisateurs de Nuit Debout, eux disent qu’ils travaillent à développer des groupes dans les banlieues de Paris, ou qu’ils ont parlé du racisme lors des contrôles de police, même si Lalu reconnaît qu’ils ne communiquent pas assez sur leurs efforts en ce sens.

Durant les dernières semaines, il y a moins de monde sur la place et les organisateurs suspendre leurs événements durant l’été. Mais ils ajoutent que c’est loin d’être fini.

« S’ils nous prennent la place, nous en prendrons une autre », dit Lalu. « Nous reviendrons ».

Article traduit par Julien pour Gazette Debout. 

Crédits photos:

  • Best of visuels Nuit Debout: Nuit Debout / DR
  • Manifestation 12 mai: Stéphane Burlot/DR
  • Marianne devant la statue: Nuit Debout
  • 100jours_2_13: Nuit Debout / DR

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *