Motion de censure citoyenne Nuit Debout : les députés sont-ils Couchés ?

Au sein du Palais Bourbon, les logiques partisanes priment malheureusement sur la défense des grands principes démocratiques : telle est la conclusion que l’on pourrait retenir de l’histoire de la motion de censure citoyenne, lancée par la Commission Économie Politique de Nuit Debout.

Fin juin dernier, ses membres, accablés par l’utilisation du 49.3 pour passer en force la loi travail, ont décidé de rédiger une motion de censure citoyenne transpartisane.

« Normalement, ce sont les députés qui doivent écrire ce genre de texte, mais tout le monde sait que ce sont leurs assistants parlementaires (non-élus) qui se chargent du boulot. Nous avons décidé de le faire à leur place », explique Liova, de la commission économie politique.

S’ils ont décidé d’agir ainsi et de proposer une motion transpartisane, c’est tout d’abord pour critiquer le déni de démocratie que constitue l’usage répété du 49.3, mais également par réalisme politique, car une motion de censure portée uniquement par la gauche n’aurait aucune chance d’être votée par l’opposition.

Motion de censure citoyenne
Motion de censure citoyenne – DR

Un projet qui n’a pas vraiment fait mouche auprès des députés contactés. Seul André Chassaigne (Parti communiste français) a bien voulu recevoir les membres de la Commission le 5 juin, ainsi qu’Alexis Bachelay (PS). Le premier a assuré les Nuitdeboutistes de son soutien, tout en leur promettant de présenter ce texte aux 10 députés du groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine (GDR). Quant à Alexis Bachelay, il a trouvé le projet « intéressant individuellement » et a promis lui aussi d’en parler à ses collègues. Contactée par téléphone, Isabelle Attard (ex-EELV) assure également de son soutien.

Mais il faut faire vite, car la motion de censure doit être déposée au plus tard 24 heures après l’utilisation de l’article 49.3 pour la seconde fois le 5 juillet.

Le lendemain de ces deux rendez-vous, le 6 juillet, les relances des Nuitdeboutistes restent sans réponse et ils apprennent en parallèle l’échec de la motion de censure de gauche à deux voix près.

« Personne n’a parlé de notre texte », remarque Kévin, membre de la Commission Économie Politique. Personne sauf Jean Lassalle. Le député a en effet publié un tweet sur son compte le 6 juillet  » Déception face à l’échec de la motion de censure citoyenne que j’avais signée et que je soutenais! #loitravail« , croyant avoir signé la motion citoyenne, alors qu’entre-temps celle-ci avait été remplacée par une motion de gauche destinée à échouer… Bien que la motion ait été vidée de son sens, Chassaigne avait quant à lui respecté son engagement en diffusant le texte auprès des autres groupes parlementaires.

 

A ce stade, les membres de la Commission Économie Politique de Nuit Debout sont un peu déçus. Mais ils savent que la loi doit repasser devant l’Assemblée Nationale le 20 juillet pour être définitivement adoptée.

En cas de nouvel usage du 49.3, ils auraient alors jusqu’au 21 juillet pour déposer cette motion de censure transpartisane devant l’Assemblée.

Ils activent alors leurs réseaux pour solliciter à nouveau les parlementaires. Plus de 200 mails ont été envoyés et des centaines d’appels ont été passés. En parallèle, une intense campagne se joue sur les réseaux sociaux de Nuit Debout.

Plusieurs députés leur promettent des rendez-vous, avant d’annuler en dernière minute. Il faut dire que l’actualité ne joue pas en leur faveur, avec les attentats de Nice et le vote sur la prolongation de l’état d’urgence.

Seul Jean-Pierre Blazy (PS) accepte de les recevoir et leur assure être intéressé « à titre personnel » tout en promettant d’en parler à ses collègues. Au passage, il les flatte sur leur engagement militant au sein du mouvement Nuit Debout. Le 19 juillet, Benoît Hamon leur assure être prêt à signer le texte « des deux mains ». Quant aux écologistes Cécile Duflot et Eva Sas, elles semblent également intéressées et promettent d’en parler à leur famille politique.

Grâce à leur ténacité, les membres de la Commission Économie Politique obtiennent le mardi 19 juillet un rendez-vous avec Christian Paul, le chef de file des frondeurs au PS, Fanélie Carrey-Conte (PS) et Denys Robiliard (PS), auxquels s’ajouteront par la suite l’attachée parlementaire de Pouria Amirshahi ainsi que Jean-Luc Laurent et Christophe Léonard, tous du PS. Benoit Hamon et Aurélie Filippetti avaient également annoncé leur présence, mais ne vinrent pas au rendez-vous.

L’échange dure une quarantaine de minutes. Une discussion animée durant laquelle les trois Nuitdeboutistes choisis pour les rencontrer ont le sentiment que les parlementaires sont particulièrement intéressés par Nuit Debout. Ils leur proposent même de « travailler avec eux » par la suite, « sur le long terme ».

La question de la motion citoyenne et transpartisane passerait presque au second plan. D’ailleurs, les arguments des élus sont assez confus. Ils voulaient savoir avec qui ils allaient signer et, pour certains, ne voulaient pas se mélanger aux votes de la droite. De plus, selon eux, se présenter à moins de 56 signataires (nombres de députés ayant signé la motion du 5 juillet), représenterait « un coût politique » en exposant au grand jour leur faiblesse.

Bref, selon les trois Nuitdeboutistes, la discussion est infructueuse et les arguments assez fallacieux. D’autant qu’à la fin de la réunion, tous refusent leur soutien.

En parallèle, deux autres membres rencontrent André Chassaigne, leur soutien historique, qui leur renouvelle son appui, et confirme la signature de 9 des 10 membres de son groupe Gauche Démocrate et Républicaine. Il les aide même à démarcher d’autres députés.

rdv députés
Demandez à votre député de voter une motion de censure contre le gouvernement

À ce moment-là, les perspectives sont plutôt encourageantes. Ils comptent sur l’appui du groupe GDR, des Verts et de certains indépendants comme Isabelle Attard et Jean Lassalle. Un vrai progrès après les désillusions de leur première tentative. Mais surtout, ils ont atteint l’un de leurs objectifs : mettre les députés s’offusquant du déni de démocratie face à leurs contradictions. Des parlementaires, qui sous pression de leur parti, ne joignent pas les actes à la parole.

Mais quelques heures plus tard, retournement de situation. En fin de journée du 19 juillet, l’assistant parlementaire d’Eva Sas (Europe Écologie Les Verts) explique au téléphone ne pas avoir réussi à trouver une position commune au sein de son groupe. Quelques minutes plus tard, c’est Benoît Hamon qui se désiste pour rallier la position des « Frondeurs » rencontrés plus tôt.

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Nouveau rebondissement : le lendemain, 20 juillet, ils découvrent dans le Journal du Dimanche une tribune signée par 58 députés critiquant l’usage du 49.3.

Ils estiment certains passages particulièrement hypocrites de la part d’élus qu’ils n’ont eu de cesse d’alerter depuis plusieurs semaines, sans avoir de nouvelles et après avoir essuyé plusieurs refus. Dans le texte publié par le journal, les députés assurent :

« Nous ne renonçons pas à porter la voix des citoyens mobilisés pour défendre leurs droits, leurs convictions, leur vision de la société et du monde du travail. »

Il faudrait peut-être commencer par répondre aux mails desdits citoyens…

Un tantinet agacés, les Nuitdeboutistes ont donc passé leur nuit à écrire un droit de réponse collectif aux parlementaires qui a été publié par Mediapart en bonne place sur la une du site et qui a été largement relayé par les réseaux sociaux avec le mot-dièse #motioncitoyenne et #DesParolesAuxActes

Plusieurs personnalités ont également apporté leur soutien sur Twitter : Edwy Plenel de Mediapart, les deux femmes politiques Caroline de Haas (fondatrice d’Osez le Féminisme !) et Clémentine Autain (élue Régionale d’île de France) et même Yanis Varoufakis, l’ancien Ministre des Finances grec et fondateur du mouvement Diem25.

Isabelle Attard a eu quant à elle le courage d’interpeller ses homologues par un tweet sur l’incohérence entre leurs déclarations dans la tribune du JDD et leurs actes.

Un mail expliquant la démarche de la Commission Économie Politique a été envoyé en parallèle aux 104 000 personnes qui ont signé la pétition Nuit Debout au tout début du mouvement. Un envoi efficace, puisqu’il aurait généré 20 000 clics.

Ce harcèlement viral, couplé à la tribune de Mediapart, a porté ses fruits. Le député Pouria Amirshahi, dont l’attaché parlementaire était présent lors de la réunion du 19 juillet qui s’était conclue sur un refus généralisé, est le premier à confirmer son soutien. Il est suivi par l’écologiste Danielle Auroi.

Le cas de Cécile Duflot est particulièrement intéressant à analyser. Dans un premier temps, l’ancienne ministre du logement s’était montrée enthousiaste. Mais faute d’un accord global au sein du groupe écologiste, elle n’avait pas signé. Sur son compte Twitter elle a poliment décliné à deux reprises, précisant avoir voté les deux premières motions de censure de gauche et regrettant leur échec.

 

https://twitter.com/Com_Eco_Paris/status/756074251581530112

 

 

Finalement, après un tweet de Nuit Debout lui dévoilant le nom d’un papillon qu’elle admirait, elle accepte enfin de parapher le document.

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D’autres ont rejoint le mouvement in extremis, comme Patrice Prat (PS). Une liste de neuf noms est arrivée sur la boîte mail du groupe à 16 heures, soit 30 minutes avant l’heure limite pour déposer la motion de censure. Elle comprenait tous les députés déjà rencontrés dont Christophe Léonard. À 21h54, celui-ci a déclaré sur son compte Twitter avoir signé la motion.

Or, à ce moment, les Parlementaires savent qu’offrir leur signature à la motion de Nuit Debout n’est plus engageant, puisque l’heure limite est quasiment dépassée. De même, ils ont conscience que le projet n’arrivera pas à réunir les 58 signatures nécessaires à son dépôt.

C’est ainsi que le vendredi 22 juillet à 19h30, Kévin, l’un des membres de la commission, a reçu un message de l’attachée parlementaire de Jean-Pierre Blazy, lui demandant d’ajouter son nom à cette motion « symbolique ». Un beau mépris pour un projet citoyen qui devrait être considéré avec autant de sérieux qu’une motion de gauche n’ayant pas recueilli les 58 signatures nécessaires.

« Nous irons donc voter pour lui 24 heures après la fermeture des bureaux de vote lors des prochaines législatives », conclut Camille.

Gazette Debout. 

REPERES

L’article 49.3

Depuis 1958, l’article 49.3 a été utilisé à 86 reprises, sur 51 textes. 50 motions de censure ont été déposées.

Pour faire passer la loi Travail, Emmanuel Valls a utilisé trois fois l’article 49.3

Une première fois le 10 mai, une seconde fois le 5 juillet et une dernière fois le mercredi 20 juillet.

La motion de Censure

La Constitution de 1958 a prévu deux types de motions de censure : la motion de censure spontanée ou offensive (art. 49 al. 2) et la motion de censure provoquée (art. 49 al. 3). Dans notre cas, il s’agit d’une motion de censure spontanée qui résulte de la seule initiative des députés.

Elle doit être le fruit d’une volonté collective afin de rendre plus difficile le renversement du Gouvernement. Son dépôt nécessite ainsi la signature du dixième des membres de l’Assemblée nationale, soit 58 députés. Quarante-huit heures séparent le dépôt de la motion de censure de sa discussion. Ce délai se justifie pour permettre au Gouvernement de convaincre d’éventuels indécis et aux députés de se prononcer dans la sérénité. Le règlement de l’Assemblée nationale précise que le débat et le vote ne peuvent avoir lieu plus de trois jours de séance après l’échéance de ces 48 heures. Ceci permet d’éviter que la motion ne soit jamais inscrite à l’ordre du jour.

Crédits photos:

  • motion-censure-citoyenne_1: Nuit Debout DR
  • dessin rdv députés: Nuit Debout / DR
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  • motion-censure-citoyenne_2-medipart: DR
  • Ceci n’est pas une démocratie: Nuit Debout Caen / DR

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